Santé

Allô Giulia ? : « Est-ce qu’on peut passer une vie sans sexe ? »

« Chère Giulia,

Je t’écris parce que je me demande si on peut passer une vie sans sexe – honnêtement, je ne vois pas beaucoup d’autres options, en ce qui me concerne… Je suis avec Sam depuis dix ans, et il n’a jamais été fou-fou de ce côté-là, mais entre nous, c’était tendre, c’était joli, et ça m’allait bien. Sam m’offrait une sécurité affective que je n’avais jamais connue – ni avec mes parents, ni avec mes ex.

C’est toujours le cas, d’ailleurs : il suffit qu’il soit là, et je me dis que rien de grave ne pourra m’arriver. Et puis on rit beaucoup. On a toujours beaucoup ri tous les deux. Enfin, là, depuis quelques mois – un an ? Beaucoup moins. Sam a perdu sa meilleure amie il y a deux ans (je fais le lien avec ça parce que c’est le seul que je vois) et depuis, quelque chose, en lui, a bougé. Je sais pas comment vous dire ça, mais pour résumer, il est plus lourd (d’ailleurs il a un peu grossi) et tout est plus lourd.

Les sorties, les voyages, les dîners en amoureux, c’est plus compliqué qu’avant : sur le moment, tout va bien, vraiment, mais je dois toujours le pousser à se bouger. Et pour le sexe, c’est pareil : il n’a plus envie. Il me dit qu’il est juste fatigué – comme pour tout le reste, d’ailleurs, et que ça n’a rien à voir avec moi, mais j’ai de plus en plus de mal à le croire. En un an, j’ai tout fait : le laisser dormir et lui foutre la paix ; me mettre des petites tenues sexy et l’emmener dans un super restau ; les massages, les temps à deux, tout… Mais rien. Et dès que j’aborde le sujet, il se ferme comme une huître.

À force, ça crée des tensions entre nous, et moi, je ne suis pas toujours très fière de celle que ça me fait devenir : je le cherche, je le provoque, je suis parfois très dure avec lui, et puis je le piste, parce que je me dis que, forcément, il a quelqu’un d’autre. Au fond, je ne le crois pas. Mais alors : est-ce qu’il était amoureux de cette amie, et ça expliquerait pourquoi il ne se relève pas de sa mort ? Parfois, je me dis que c’est ça. Mais du coup, je fais quoi : je le force à me parler ? Il est tenace, pas sûre que ça marche… Je me barre, parce que quand il n’y a plus de sexe, ça ne veut plus rien dire ? Sauf que ma vie sans lui, je ne peux pas. D’où ma question : une vie sans sexe, c’est possible ? » – Emma, 38 ans

« Chère Emma,

Bien sûr qu’on peut vivre sans sexe. Sans eau, à terme, ça peut devenir un chouille compliqué, mais le sexe n’est pas un besoin. À la rigueur, c’est une nécessité pratico-pratique, quand on veut faire un enfant, et que, biologiquement, on peut – mais vous n’en parlez pas, donc je doute que le fond du problème, soit celui-là. Et puis c’est surtout une envie : chez certain.e.s, elle est immense, et celles ou ceux-là auraient beaucoup, beaucoup de mal à s’en passer. Mais, tout le monde n’a pas le même enthousiasme pour la sexualité et tout va bien – est-ce qu’on pourrait décemment reprocher à quelqu’un de ne pas aimer le violon ? Le ski ? Les maths ? Le sexe, c’est pareil.

À ceci près qu’on est toutes et tous soumis.e.s depuis des siècles, à des injonctions qui nous font vivre la sexualité collectivement. J’ai pas dit « partouze » Emma… Je dis juste que vous, et vous seule, êtes à même de déterminer si une vie sans sexe, mais avec Sam, vous rend suffisamment heureuse pour y rester.

Après, chez vous, comme souvent, le sexe n’est qu’un symptôme, un détail parmi d’autres – peut-être le plus cuisant, le plus douloureux, mais l’un des éléments qui vous fait dire qu’entre vous, en ce moment, quelque chose ne va plus. Sam ne va plus bien. C’est aussi simple, et aussi difficile que ça à admettre : nous ne pouvons être tout pour l’autre. L’autre a eu une vie avant, et il la poursuit même avec nous. Attention : je ne pense pas du tout à un possible amour caché pour sa meilleure amie (en un an, il aurait explosé et vous l’aurait dit) mais au fait que sa mort ait pu faire résonner en lui une corde… Qui n’appartient qu’à lui. Une personne tout le temps fatiguée, et qui n’a plus envie de rien, c’est une personne déprimée – et même les plus belles guêpières n’y pourront rien.

Vous n’êtes pas son infirmière, vous n’êtes pas sa psy, vous n’êtes pas lui : il a une histoire, qu’il se trimballe, un espace psychique qui lui est propre, une douleur qui est la sienne et contre laquelle vous ne pouvez pas grand chose. Ça, c’est sans doute le plus douloureux : l’autre deuil à faire dans cette histoire, il est pour vous. C’est celui de votre osmose, parfaite jusqu’ici, qui vous a si bien protégée… Peut-être que le voir vaciller, votre pilier, vous effraie, Emma. Peut-être que cette inversion du « qui prend soin de qui » entre vous, vous déstabilise plus que tout autre chose. Mais le couple est mouvement : ce qui le tue, c’est de le figer dans des dynamiques immuables.

Appuyez-vous sur la sécurité que Sam vous a offerte pour prendre (un peu) le large : laissez-le faire son chemin, tracez un peu le vôtre, octroyez-vous, vous aussi, un espace (psychique et physique) qui ne soit qu’à vous. En un mot (voire plusieurs) : foutez-vous la paix, faites-vous confiance à tous les deux, et faites-vous du bien, à vous. Ça reste le meilleur chemin pour que la légèreté revienne – et en général, le désir n’est plus très loin. Je vous embrasse, Emma »

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