Santé

Santé mentale : « Les petits traumatismes peuvent conduire à des symptômes graves »

Les petites blessures sont plus puissantes qu’on ne le croit. Dans son ouvrage « Surmonter ces petits traumas qui minent notre quotidien », paru aux éditions First le 17 mai dernier, l’autrice et psychologue britannique Meg Arroll lève le voile sur les micro-agressions, les blessures morales, la positivité toxique, les humiliations subtiles ou encore les ruptures amicales – ces microtraumatismes qui peuvent affecter notre santé mentale et physique.

Pour y faire face, la docteure en psychologie, diplômée de l’université de Survey au Royaume-Uni, a développé ce qu’elle appelle la « méthode AAA », à appliquer en trois étapes : la prise de conscience, « qui aide les personnes à démêler leur constellation unique des petits traumatismes, et à découvrir comment ceux-ci peuvent influencer l’expérience vécue, y compris les pensées, les croyances, les attentes et les comportements », l’acceptation, et l’action. Interview.  

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ELLE. Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?  

Meg Arroll. J’ai observé un phénomène courant dans ma pratique : les clients disent souvent qu’ils n’ont rien vécu de majeur qui pourrait expliquer pourquoi ils se sentent mal. Nous avons beaucoup progressé dans nos sociétés au sujet des « grands traumatismes », qui sont très souvent évoqués, mais pas de l’impact des expériences plus petites qui s’accumulent au fil du temps.  Pourtant, lorsque nous explorons les microtraumatismes en reliant les points de vie d’une personne, cela permet de donner un sens à ses émotions.  Il est profondément libérateur de savoir que les petites choses peuvent avoir et ont un impact significatif – la recherche montre que les petits traumatismes peuvent conduire à des symptômes plus graves que certains événements majeurs. 

« Les petits traumatismes arrivent à tout le monde, mais cela ne veut pas dire qu’ils touchent tout le monde. »

ELLE. Heureusement, tout le monde ne vit pas de grands événements traumatisants au cours de son existence. En revanche, est-ce que les petits traumas concernent tout le monde ?  

M.A. Les petits traumatismes arrivent à tout le monde, mais cela ne veut pas dire qu’ils touchent tout le monde. S’il y a un point que j’aimerais souligner, c’est que le traumatisme est lié à l’impact qu’il a sur l’individu, et non pas à la façon dont il est perçu par les autres. Ainsi, un microtraumatisme qui affecte une personne n’en affecte pas nécessairement une autre. Cela signifie que nous devons nous efforcer d’accepter les sentiments des autres par rapport à ce qu’ils ont vécu, sans porter de jugement.  

ELLE. Quelles peuvent être les conséquences des microtraumatismes sur la santé mentale et physique ? 

M.A. Les traumatismes mineurs s’accumulent au fil du temps et contribuent à l’apparition d’une série de problèmes de santé sous-jacents, tels que l’anxiété généralisée, l’émoussement affectif, le perfectionnisme inadapté, le syndrome de l’imposteur, les troubles du sommeil, l’alimentation émotionnelle ou encore la difficulté à gérer les transitions de vie. 

ELLE. Le stress et l’anxiété sont-ils forcément liés aux petits traumatismes ?

M.A. Le stress est lié à des microtraumatismes instantanés, tandis que l’anxiété est liée à des schémas cognitifs qui peuvent se développer lorsque nous avons subi une accumulation de traumatismes de faible intensité. Le stress est une réponse innée et adaptative aux menaces de l’environnement, qui nous aide à survivre en tant qu’espèce – en d’autres termes, nous en avons besoin !  

Les schémas de pensée anxieux nous amènent à ruminer le passé et à nous inquiéter de l’avenir ; pour gérer ces processus cognitifs, il est donc préférable d’utiliser des techniques cognitives. 

C’est pourquoi la différenciation est importante : l’utilisation de techniques corporelles telles que les exercices de respiration est plus adaptée à la réponse au stress, tandis que l’utilisation de méthodes cognitives pour les pensées anxieuses est plus efficace lorsque nous repassons en boucle un événement passé dans notre tête de manière critique, ou lorsque nous nous engageons dans d’autres distorsions cognitives telles que les scénarios catastrophe.

« Nous sommes câblés pour nous « comparer », c’est-à-dire pour nous juger par rapport à ce que l’on croit être la perfection. »

ELLE. Dans votre livre, vous parlez de la tendance des « dents parfaites ». De quoi s’agit-il exactement ? 

M.A. Il s’agit de la pression que nous ressentons pour être parfaits, renforcée par des comparaisons constantes. Nous sommes câblés pour nous « comparer », c’est-à-dire pour nous juger par rapport à ce que l’on croit être la perfection, ce qui nous donne un sentiment d’insécurité, d’insignifiance, d’anxiété et, parfois, de dépression. Cependant, si nous prenons conscience de ce mécanisme, nous pouvons commencer à briser le cycle du sentiment de ne jamais être assez bien grâce à la méthode AAA. 

ELLE. Comment expliquez-vous que l’on se compare à des gens sur les réseaux sociaux, tout en sachant que les photos ont été retouchées ?   

M.A. La recherche montre que même si nous savons que les photos ont été retouchées, elles ont le même effet néfaste que celui décrit dans ma réponse précédente. En effet, notre réaction émotionnelle est beaucoup plus rapide que la partie rationnelle de notre cerveau. Il est donc important d’alimenter les réseaux sociaux avec des comptes et des images qui nous font du bien, et de contrôler l’utilisation des plateformes. 

ELLE. Vous parlez également de traumatismes par procuration. Jusqu’à quel point la compassion peut-elle affecter notre santé mentale ? Comment l’expliquez-vous ?  

M.A. L’usure de la compassion est un phénomène que l’on retrouve souvent chez les professionnels de santé, mais qui s’est accentué pendant la pandémie de Covid-19, car nous avons tous observé le bilan catastrophique et déchirant de cette crise sanitaire. Les gens ressentent souvent un profond sentiment de culpabilité et de honte lorsqu’une sorte d’engourdissement se produit face à la souffrance, mais il s’agit d’un mécanisme d’autoprotection. Cependant, lorsque nous prenons conscience de ce que nous vivons et l’acceptons, nous pouvons utiliser des approches plus appropriées pour gérer l’usure de la compassion, telles que la fixation de limites saines.  

« Certains des comportements humains les plus néfastes se manifestent derrière un écran et un clavier. »

ELLE. Finalement, l’être humain est-il plus exposé aux petits traumas à notre époque qu’auparavant ? 

M.A. Il y a certainement plus de risques de subir des petits traumatismes dans notre monde rapide, pressurisé et numérique – il y a plus de connectivité, mais nous sommes moins connectés émotionnellement. La technologie a évolué beaucoup plus vite que nous n’avons pu le faire et, malheureusement, certains des comportements humains les plus néfastes se manifestent derrière un écran et un clavier. Je crois que nous trouverons un moyen de nous en sortir, et le fait de connaître l’importance des petits traumatismes est un premier pas vers la création d’une résilience psychologique au sein d’une communauté mondiale. 

ELLE. Prendre conscience, accepter et agir sur nos petits traumas nous permet-il vraiment d’être heureux.se ou d’accéder au bonheur ? 

M.A. L’objectif n’est pas d’être heureux tout le temps, mais plutôt de s’accepter tel que l’on est et de construire un système immunitaire psychologique solide, de sorte qu’en cas de traumatisme, quel qu’il soit, nous disposions de mécanismes d’adaptation robustes pour gérer les inévitables difficultés de la vie. 

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