Santé

Allô Giulia ? « Depuis l’arrivée de mes enfants, je n’arrive plus à me masturber »

« Chère Giulia,

Je ne comprends pas : avant, je me masturbais tout le temps. La première fois, j’avais 18 ans. Mon petit ami de l’époque était loin pour quelque temps, il m’a suggéré, au téléphone, de penser à lui et de me caresser quand on aurait raccroché. Ça m’a troublée, presque gênée – ce n’est pas vraiment le genre de trucs dont on discutait entre copines, à l’époque, c’était quand même un peu tabou… Mais ça m’a titillée, et j’ai essayé. Très vite, j’ai senti que ça montait, j’ai continué, et j’ai adoré. À partir de là, je n’ai plus arrêté. Si j’étais seule chez moi, tranquille, avec l’envie d’être encore mieux… Si j’avais un gros, gros coup de stress… Et puis, avec mes amoureux, si j’avais tout à coup très envie d’eux…

C’est comme si vous aviez le souvenir d’un truc qui était hyper cool et qui n’arrivait plus

Avec les années, j’osais de plus en plus. Parfois, je m’enregistrais, et leur envoyais l’audio. Parfois, même, je me filmais. Bref, la masturbation était devenue une pièce maîtresse de mon répertoire érotique. Mon compagnon actuel adorait l’idée – et pas que l’idée : son ex était ultra-rigide sur ce plan-là. Pour elle, se masturber, ça avait quelque chose de honteux. Genre : la pauvre meuf qui n’est pas capable de se trouver un mec. Ou alors : quelque part, si elle fait ça, c’est que son mec ne la satisfait pas. En tout cas, c’était une pratique très, très loin d’elle. Moi, pas du tout. Ça avait même fini par être très joyeux, très ludique entre nous. Il pouvait m’ordonner de le faire, par texto, et je faisais. Et puis le soir, il rentrait, et disait juste : « alors ? » Le sourire qu’il me faisait me donnait envie de le bouffer – et je crois qu’il avait envie de me dévorer aussi… Mais ça, c’était avant. J’essaye de me souvenir de comment, et de pourquoi j’ai arrêté. Et je crois qu’en gros, ça remonte à l’arrivée des enfants. Depuis, plus rien. Seule ou avec lui, l’idée ne me vient jamais. Ce n’est pas que ça me manque, mais c’est comme si vous aviez le souvenir d’un truc qui était hyper cool et qui n’arrivait plus. Ça fait bizarre. Je me demande pourquoi j’ai changé à ce point-là, et ce que ça veut dire… » – Juliette 38 ans.

« Chère Juliette

Ce que ça veut d’abord dire… c’est que rien, ni personne ne pourra jamais enfermer la sexualité dans un cadre fixe – et c’est plutôt une bonne nouvelle. « Ça j’aime » / « Ça, je n’aime pas », ça n’existe pas. On peut aimer cette caresse un jour, et puis plus le lendemain. Avec lui ou elle, mais pas avec le partenaire qui suivra. Vous avez adoré vous masturber à 18 ans, vous y retournerez peut-être à 48. Ou bien avant. Rien ni personne ne permet de dire quand, ni comment. C’est en cela que le désir, et le plaisir sont prodigieux : ils échappent à toute règle, à tout mode d’emploi, à nous-mêmes. Et c’est aussi pour ça qu’on a voulu les contenir, en les enfermant dans des boîtes rigides, étiquetées : « ça, on peut », « ça, on n’a pas le droit ». Or, longtemps, la masturbation, on n’avait pas le droit. Il fallait absolument freiner les pulsions féminines, qui risquaient de les emmener très, très loin de leurs devoirs d’épouses et de mères. Et la sexualité, d’ailleurs, n’était autorisée que dans un cadre strictement reproductif : avec pénétration, et avec Monsieur.

Le désir ne vient plus d’emblée, il faut, parfois, aller le chercher

Qu’une femme se donne du plaisir, pour le plaisir, toute seule, comme une grande ? Mais vous n’y pensez pas ! Et pourquoi pas leur laisser la maîtrise de leur corps, dites donc… Les révolutions féministes sont passées par là, et nous avons pu, doucement, nous réapproprier notre sexualité. Disons : en théorie. Parce qu’au fond, il reste toujours quelque chose, ancrée dans un coin de notre inconscient, de ces croyances aussi vieilles qu’Eve et sa pomme. Vous datez l’arrêt de la masturbation à l’arrivée des enfants ? Ce ne serait pas très étonnant. Nous grandissons tous avec l’idée qu’une femme ne l’est réellement que quand elle est mère… Et qu’elle cesse d’être femme. « La maman et la putain », ça vous parle ? C’est un film de Jean Eustache, ok. C’est surtout le double archétype dans lequel on s’est longtemps retrouvées coincées, et dont on a du mal à se dépatouiller. Il y aurait, d’un côté, les vertueuses, celles qui ont la tête dans les couches et les mains sur le biberon – ou le sein. Et de l’autre, les femmes de mauvaises vies, qui, certes, sont objets de désir, actrices de leur plaisir, mais restent tout de même regardées d’un très mauvais œil – et la façon dont l’ex de votre compagnon considère la masturbation ne dit pas autre chose.

Il n’est pas impossible que, sans le formuler de la même manière qu’elle, vous ayez, au fond de vous, un reste de ces croyances qui vous barrent l’accès à votre Eros, depuis que vous êtes devenue mère. Après, il y a aussi un quotidien qui s’installe dans le couple : le désir ne vient plus d’emblée, il faut, parfois, aller le chercher… Il y a cet espace, ce temps, rogné (dévoré) parce que vous avez de plus précieux au monde, mais qui ressemblent quand même à des petits vampires : le temps que vous passerez à aller les chercher à la garderie/ acheter des couches / programmer une visite chez le médecin, vous en laissera mathématiquement moins pour l’abandon à vous-même. Certes. Mais ça, c’est de la logistique. Et ça se règle. Comme le désir, ça se nourrit. Je crois vraiment que le sillon à creuser est celui-ci : au fond, qu’est-ce qui empêche la mère que vous êtes devenue de renouer avec la sexualité de la femme que vous n’avez jamais cessée d’être ? Promis, vous avez un peu plus de deux heures. »

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