Santé

Cancer du sein : « Il est difficile de parler de sexe, encore plus pour les femmes malades »

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ELLE. Vous aviez 28 ans quand vous avez appris que vous étiez atteinte d’un cancer. Trois jours après votre diagnostic, alors que vous commencez votre traitement, une autre patiente assise à côté de vous vous prévient : « Il va ruiner votre vie sexuelle. » Aviez-vous anticipé cela ? 

Rebecca Stewart. Non, pas du tout et c’est pour cela que j’ai réalisé ce film. Le sujet de l’impact d’un cancer sur la vie sexuelle des femmes n’est pas du tout abordé, les gens n’ont pas envie d’en entendre parler. Les seules informations que j’avais étaient celles que je trouvais dans les films, les romans, ou les magazines et ne concernaient que la perte des cheveux, les nausées, la perte de poids… personne ne parle de la vie sexuelle.   

ELLE. Pendant les premières semaines de traitement, vous avez vu le sexe comme une réaffirmation de la vie… 

R.S. Je faisais alors beaucoup de tests pour savoir si le cancer n’était localisé que dans un sein, c’était très angoissant. J’ai trouvé refuge auprès de mon compagnon, et c’est encore le cas aujourd’hui quand j’ai des périodes de paranoïa où je pense que le cancer est revenu. Il sait alors que j’ai besoin de faire l’amour avec lui, d’une manière particulière. C’est cliché, mais c’est comme si j’avais besoin d’absorber sa vie à travers un rapport sexuel, de connecter avec quelqu’un qui est présent, vivant, en bonne santé. Le sexe me permettait aussi de ressentir à nouveau de l’excitation, de l’énergie, du plaisir, cela m’aidait à me souvenir que j’étais vivante, dans un moment où la mort est dans l’air tout le temps. Le sexe était un moyen de revenir à mon corps, de me connecter à lui.   

ELLE. Quelles ont ensuite été les plus grosses difficultés ?  

R.S. Les trois premiers mois, mon copain et moi étions comme deux ados qui viennent de découvrir le sexe. Nous couchions tout le temps ensemble car c’était ce dont j’avais besoin. Puis le traitement a commencé à agir, j’étais fatiguée et j’ai perdu du poids. Ma libido psychologique était toujours là, j’avais toujours envie de sexe car je savais que c’était bon pour ma santé mentale et physique. Mais un jour, mon vagin a juste dit « Non ! Les portes sont fermées, tu ne rentreras pas ! ». Ça ne m’était jamais arrivé, je ne comprenais pas pourquoi j’avais aussi mal. C’est ce qui est terrible avec le vaginisme : plus tu essaies, pire sont les douleurs car il y a une grande partie qui est très psychologique. Il y a aussi eu une période où je n’arrivais plus à jouir, ça a été très frustrant mais j’ai appris à vivre avec, et à ne plus me concentrer uniquement sur l’orgasme.  

ELLE. Avez-vous réussi à en parler et à recevoir de l’aide ? 

R.S. Oui, j’en ai parlé à ma docteure, qui marchait totalement à l’aveuglette. Elle a été géniale, elle m’a dit qu’elle pensait que c’était normal, mais qu’elle n’avait pas de statistiques sur le sujet parce que personne ne lui en avait jamais vraiment parlé…  Elle m’a proposé de faire une pause de deux mois, et d’en parler à un·e sexologue ensuite, si besoin. Son conseil était de ne pas m’inquiéter et d’être patiente. J’ai alors dû arrêter de me mettre la pression à moi-même, et pendant quatre mois nous nous sommes interdits tout sexe pénétratif. Arrêter d’y penser m’a beaucoup aidée, et nous avons expérimenté beaucoup de choses. Cela a permis à mon copain de devenir expert en sexe oral… ce dont je profite encore aujourd’hui !   

ELLE. Finalement, cette période vous a permis de repenser votre sexualité… 

R.S. Pour de nombreuses personnes, le sexe pénétratif est l’action principale d’un rapport sexuel. Mettre cela de côté a changé les choses. Cela m’a aussi aidée à me recentrer sur mon propre plaisir. Le sexe oral a pris une grande place, et parfois il ne s’agissait que de mon plaisir, et j’étais en paix avec le fait de dire, « Je suis fatiguée, bonne nuit ! », sans avoir touché mon partenaire. La société a tendance à faire passer le message selon lequel le plaisir masculin est plus important. Quand j’étais plus jeune, j’avais même du mal à accepter un cunnilingus parce que l’attention n’était pas centrée sur l’homme. Et si je recevais cette attention, je la rendais en retour alors que dans d’autres scénarios, je faisais une fellation à mon partenaire sans rien attendre, et sans m’en plaindre. Je pense que ce déséquilibre en termes de plaisir concerne beaucoup de femmes.   

Wash Me

ELLE. En 2010, une étude montrait que 43% des personnes atteintes d’un cancer avaient des problèmes liés à leur sexualité. Seules 13% d’entre elles avaient reçu une aide psychologique et/ou médicale. Comment penser la question du sexe chez les femmes atteintes d’un cancer ?  

R.S. Nous devons en parler plus, notamment aux docteurs, car plus ils en entendront parler, plus vite ils réaliseront que c’est un vrai problème. De ces discussions pourront naître des recherches médicales, des études scientifiques, peut-être un médicament ou des programmes psychologiques. Il est difficile de parler de sexe, encore plus pour les femmes, et encore plus pour les femmes malades. La société n’est pas prête à entendre que les femmes attendent et exigent d’être satisfaites sexuellement. Si vous êtes malade, les gens pensent que vous devez vous préoccuper uniquement d’aller mieux. Mais les hommes diagnostiqués avec un cancer des testicules ou de la prostate, sans même avoir à demander, obtiennent une ordonnance pour du viagra. Le fait qu’un homme ne puisse plus avoir d’érection est inadmissible dans notre société, qu’il soit malade ou non. En revanche, il est tout à fait acceptable qu’une femme n’ait plus d’orgasme, ce n’est pas grave. C’est très frustrant, et cela s’explique par le fait que nous n’avons fait que parler de la sexualité masculine pendant trop longtemps. La sexualité féminine est encore si méconnue. On nous donne des médicaments pour garder l’appétit, cela devrait être pareil avec le sexe.   

ELLE. Diriez-vous que le sexe vous a aidé à surmonter toute cette épreuve ?  

R.S. Oui, il m’a permis d’interagir avec mon corps de manière positif et de mettre un peu de côté les aiguilles, les nausées, les médicaments… C’était essentiel pour moi de pouvoir appréhender les choses de cette manière. Je ne pouvais plus travailler, voyager, nager, je pouvais manger, mais sans réel plaisir. Coucher avec mon copain et, parfois, me masturber, était tout ce qui me restait. C’était une manière de constater que je pouvais toujours jouer avec mon corps, qu’il n’était pas complètement condamné, ou là que pour me causer des problèmes.   

ELLE. A-t-il été compliqué, une fois le traitement terminé, de vous réapproprier votre corps ? 

R.S. Le plus difficile, c’est de refaire confiance à mon corps. C’est une lutte, encore aujourd’hui. Ce qui est dur, c’est qu’il n’y a jamais de rendez-vous où le médecin vous annonce que vous êtes guérie et que tout est fini. Vous allez de révisions en révisions, pour le reste de votre vie. Mon image n’est pas si importante à mes yeux, j’ai appris à aimer mes cicatrices, elles font partie de mon histoire, et j’ai eu la chance de ne pas subir de changements physiques drastiques. L’année de traitement n’a finalement pas été la plus dure, car j’étais en mode survie, j’allais d’un rendez-vous à l’autre, très entourée par les médecins. Puis tout s’arrête, et tu attends juste de voir si le cancer revient, ou non. C’est vraiment dur psychologiquement de rester forte et vigilante. Tu dois connaître tes seins parfaitement, savoir les toucher pour détecter si quelque chose va mal, tout en évitant de sombrer dans la paranoïa. Je ne compte plus les fois où j’étais persuadée d’avoir un cancer des poumons, des ovaires, ou du cerveau parce que j’avais eu une migraine…  C’est dur de faire de nouveau confiance à ton corps alors que tu avais toujours pensé que tu étais en pleine santé et qu’un jour, tout d’un coup, tu ne l’étais plus. Les médecins ont tatoué un petit point entre mes seins, pour que les lasers soient parfaitement alignés à chaque session de radiothérapie. Esthétiquement, il ne me dérangeait pas, mais à chaque fois que je le voyais, il me rappelait les traitements, les machines, l’angoisse… Je ne l’ai pas fait enlever, j’ai fait tatouer un mot dessus. Il est à l’envers pour tout le monde, mais il est parfait pour moi. C’est un message à moi-même, qui dit « foi » en espagnol. Il me rappelle de faire confiance à mon corps à chaque fois que je suis nerveuse, ou que j’ai des douleurs. Je regarde vers le bas, et je me souviens que tout va bien, que mon corps va bien.   

ELLE. Dans votre film, vous avez choisi le bain comme scène principale, pourquoi ce choix ?

R.S. C’est inspiré de ma propre expérience. Après l’opération de mon sein, entre les bandages et les douleurs : je ne pouvais plus me doucher seule. Mon partenaire m’aidait donc, et c’étaient des moments très intimes, très tendres, qui m’ont aidée à me réapproprier mon corps. Je dois reconnaître que ça finissait rarement de manière aussi intense que dans le film…

ELLE. C’est votre premier film en tant que réalisatrice, quel était votre objectif en le réalisant ?R.S. J’avais envie de faire quelque chose qui ne soit pas dramatique, quelque chose que j’aurais eu envie et besoin de voir quand j’étais malade. 

6. Cover Art_Wash Me_XConfessions_by Erika Lust

*  « Wash Me » est disponible gratuitement sur le site XConfessions tout le mois d’octobre, à l’occasion d’Octobre Rose, le mois de la lutte contre le cancer du sein.  

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