Santé

C’est mon histoire de Noël : « Avec elle ce fut comme une évidence »

JaMAIS COMME MA MÈRE, jamais d’enfants

J’ai été prise d’un fou rire. On était le 24 décembre, c’était l’an dernier, et, l’espace d’un instant, je me suis crue téléportée dans les réveillons de mon enfance : le sapin trône au milieu du salon, la table est longue, la nappe est blanche. Pas peu fière, je souris, et, intérieurement, je dis à mes parents : « Vous voyez, je reste une bonne fifille malgré tout. » Malgré Marie, mon amoureuse, qui court partout, qui veut que tout soit parfait, et que j’adore. Malgré Roman, Noé, Margot, ses enfants, en grappe sur mes genoux. Et malgré le fait que, moi, des enfants, je n’ai jamais voulu en avoir…

J’ai grandi dans une petite ville de l’Allier. Mon père, commercial, était toujours sur les routes, et ma mère trimait, du soir au matin. Trois enfants, toute seule, c’est un sacré boulot ! Elle était tout le temps crevée, elle avait mal partout… Très vite, j’ai pensé : « Jamais comme elle, jamais d’enfants. » La seule chose qu’on avait en commun, toutes les deux, c’était le goût de la lecture. Et c’était le seul plaisir que je la voyais prendre, quand on était tous couchés et qu’elle pouvait enfin se poser. Dès qu’elle avait le dos tourné, j’attrapais ses livres et les lisais en cachette. Ça n’était pas de la grande littérature, mais peu importe : c’était, surtout, d’autres vies que la mienne. À l’adolescence, j’étais devenue l’intello de la famille, quand mes deux petits frères ressemblaient de plus en plus à mon père : ça parle rugby, ça rit très fort, ça se tape sur les cuisses, et, officiellement, ça ne pleure jamais – ah ben non, ça, c’est pour les « tapettes »… les « tarlouzes »… les « pédés ».

Elle m’aimait, je l’aimais, et ma honte est partie en fumé

Chez moi, on annonçait clairement la couleur : sorti du schéma hétéro avec enfants, rien n’existait, ou tout était abject. Assez vite, j’ai éprouvé le besoin de prendre un grand bol d’air… J’ai été reçue à l’IEP de Lyon. La grande ville, la politique, des centaines de kilomètres de distance entre ma famille et moi : j’ai respiré… Et j’ai rencontré Guillaume, lui aussi venu d’un bled de l’Allier, lui aussi issu de la classe moyenne : ouf. J’avais déserté, mais pas tant que ça : mes parents l’ont donc accueilli à bras ouverts… Et moi, je mourais d’ennui. À nouveau enfermée, à nouveau besoin d’air. Je croise Claire, à la bibliothèque. Venant d’une famille hyper ouverte, elle n’avait jamais eu à se cacher, elle.

À ses côtés, ma main dans la sienne, j’ai compris l’essentiel : l’homosexualité n’est pas un problème. Point. Elle m’aimait, je l’aimais, et ma honte est partie en fumée, emportée par l’intensité de nos débuts. De toutes les façons, rien ne résistait à Claire… Alors quand elle m’a dit : « Darling, on va vivre la grande vie à Paris », j’ai ri, et j’ai répondu oui.

ON S’EST SOURI comme deux bécasses

 Dix ans plus tard, on était toujours ensemble. Mes parents refusaient toujours de la rencontrer. Mais j’étais moi, heureuse. Bien dans mes baskets, bien dans mon café-librairie-salle de jeux que j’avais monté pour que les mères puissent venir avec leurs gamins sous le bras. Je savais à quoi ressemblait leur vie, je n’en avais pas voulu pour moi, je voulais leur offrir un endroit pour souffler. Le concept cartonnait, je bossais comme une dingue, et j’avoue, je n’ai pas vu Claire couler. Ma compagne avait perdu sa mère, et elle avait un mal fou à remonter à la surface. Peu à peu, je me suis mise à tout porter : elle, notre couple, la boutique. Évidemment, ce qu’il restait de désir entre nous a fini par disparaître.

Comme moi, elle avait tout quitté pour une femme

Et là, voilà Marie… Elle débarque, une après-midi d’automne, dans mon café, précédée de trois gamins plutôt sympas, plutôt rigolos, et plutôt remuants – mais pas suffisamment pour nous perturber : à l’instant où nous nous sommes vues, Marie et moi avons été hypnotisées. On ne s’est pas dit un mot, on s’est souri comme deux bécasses, elle a passé l’après-midi entière à deux mètres de moi, et puis elle est repartie. « Au revoir, peut-être à bientôt, il est super, cet endroit », voilà le genre de banalités qu’on a dû bredouiller, et, en tirant le rideau, une heure après, je croyais en avoir fini avec elle. Sauf que deux mois plus tard, je la recroise au pied d’une des plantureuses « Nanas » de Niki de Saint Phalle, au Grand Palais – un signe, certainement ! On s’embrasse comme deux vieilles connaissances ravies de se voir, et on fait la visite ensemble.

Dans l’atmosphère calfeutrée du musée, on se raconte nos vies, avec une liberté de parole que je n’avais jamais éprouvée avant elle. Comme moi, elle avait connu la vie en couple hétéro. Comme moi, elle avait tout quitté pour une femme. Chez elle aussi, les papillons dans le ventre, les frissons et les mots d’amour s’étaient fait la malle. Mais, comme moi, elle tenait à tout ce qu’elle avait construit : « Mes enfants ont déjà subi un divorce, je ne vais pas leur imposer une deuxième séparation. » Marie me balance ça à la sortie de l’expo, sans que je lui aie rien demandé. Elle se reprend, bafouille, rougit, m’embrasse tout près des lèvres et s’enfuit. Comme ça. Sans me laisser ni son numéro ni même son nom de famille. Je suis à nouveau convaincue qu’elle va disparaître de ma vie, sauf que, cette fois, ça me pince très fort au niveau du cœur.

C’EST MARIE qui a fini par sauter le pas

Six mois passent, et, un samedi matin, chez le primeur, j’entends : « Virginie ? » Marie est là, avec sa compagne, Karine. Claire est juste à côté. Les présentations faites, Marie m’apprend qu’elles ont emménagé dans le quartier. Je dis : « Génial. » Mon cerveau répond : « Et merde. » Ma bouche dit juste : « On va boire un café ? »

En terrasse, nos moitiés plongent le nez dans leur téléphone et ne desserrent pas les dents. Sans doute parce que, comme toujours, Marie et moi nous dévorons des yeux, et que le monde, autour, n’existe plus. Cette fois, nous échangeons nos numéros. Les mois qui suivent, Marie et moi nous rejoignons au moindre prétexte : plus ça va, plus nous aimons être ensemble, même si, très concrètement, il ne se passe rien. Rien de physique, en tout cas. Mais Karine, la compagne de Marie, n’a pas besoin de ça pour lui poser un ultimatum : « Tu cesses de voir Virginie ou je te quitte, et je dis aux enfants pourquoi. » Quelle garce, quand j’y pense… Marie capitule, et elle déménage à nouveau.

Moi, je suis déchirée : je sais tout ce que je dois à Claire. La quitter me semble insurmontable. Mais je sens tout ce que je peux vivre avec Marie : ne plus la voir est insupportable. Heureusement pour moi, c’est Marie qui a fini par sauter le pas : « Salut, et pardon pour mon silence. Karine et moi, nous nous sommes séparées, il a fallu trouver un nouvel appartement, un nouveau rythme avec les enfants. Mais ça y est, je suis enfin à quai. Tu aurais un moment pour un café ? » J’ai fait une capture d’écran de ce texto, pour le garder bien précieusement : je savais qu’il me donnerait le courage de quitter Claire. J’ai mis encore huit mois à le faire. Claire allait très mal, et c’était très douloureux. J’ai failli flancher dix fois. Mais grâce à Marie, à l’amour qu’elle me portait, à la paix que je ressentais quand j’étais avec elle, j’ai tenu bon. Grâce à ses enfants, aussi : entre eux et moi, c’était la même évidence qu’avec leur mère. Je découvrais, avec eux, des joies que je n’aurais jamais soupçonnées. 

Cinq ans plus tard, j’aime toujours leurs rires, leurs bizarreries, et un Noël sans eux me semblerait totalement incongru… Sans doute aussi parce que je sais que, la semaine d’après, j’ai mon amoureuse pour moi toute seule : pour moi, le rythme est juste. La distance est la bonne. Je sais que j’ai de la chance, que, dans toutes les familles recomposées, ce n’est pas aussi simple, mais moi, la casquette de belle-mère, je la porte très volontiers.

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page