Santé

Allô Giulia : « Je veux sauver la nouvelle petite-amie de mon ex toxique »

« Chère Giulia,

je vous écris parce que (pour une fois), je sais ce que j’ai à faire, mais je n’arrive pas à sauter le pas. Peut-être qu’avec vous, j’aurais le déclic… Il y a bien six semaines maintenant, mon meilleur ami m’appelle avec une espèce de voix d’outre tombe. Il a des nouvelles de mon ex affreux (c’est comme ça qu’on l’appelle), et elles ne sont pas bonnes. La copine actuelle de Philippe a fait plusieurs tentatives de suicide, et, d’après la bande, je suis la seule à pouvoir la sauver. En menaçant Philippe de le balancer aux flics. Aucun de mes amis n’a vraiment le détail de ma relation avec lui, mais tout le monde se doute que c’était pas génial, et de toutes façons, ils n’ont jamais pu le blairer.

Je crois qu’aujourd’hui, je pourrais sans problème parler de relation toxique. Mais à l’époque, j’avais tellement le nez dedans, que je ne voyais même pas que ça n’était pas normal, ce que je vivais. Je vous épargne les détails – et je préfère ne pas trop m’en souvenir non plus, mais disons qu’en gros, il me fliquait. Que sa jalousie m’a fait beaucoup trop flipper, comme ses coups de colère. Et que, oui, il y a aussi eu des problèmes de consentement au lit. J’ai mis cinq ans à m’en extirper – la loose, hein ? Et j’étais, malgré tout, fière d’avoir reconstruit ma vie : aujourd’hui, j’ai un boulot et un mec que j’aime, une fille que j’adore… Franchement, vu l’état dans lequel je suis sortie de mon histoire avec Philippe, c’était pas gagné ! Bref, je devrais être suffisamment forte pour l’appeler. Pour lui dire un truc du genre : « tout le monde sait ce que tu m’as fait, si tu ne veux pas que je parle aux flics, elle, tu lui fous la paix. » Mais rien que l’idée, de composer son numéro, d’entendre sa voix, me fait frémir… Et même un texto, j’en ai les doigts qui tremblent – je vous promets, j’ai essayé ! Je me filerai des gifles de ne pas réussir à faire ça, à protéger cette fille… Je ne la connais pas, ok. Mais imaginez qu’il lui arrive un truc parce que je n’ai pas pu l’en empêcher ? » – Sophie, 45 ans.

« Chère Sophie,

alors d’abord, sur les gifles, on va se calmer : en terme de violence, vous avez eu votre compte, non ? Et puis c’est fascinant, quand même, d’assister à cette inversion de la culpabilité à absolument chaque histoire de violences faites aux femmes… Il y a un seul coupable, c’est lui. Si cette jeune femme arrive au bout de son geste, il en sera le premier responsable. Elles, et vous, êtes ses victimes. Point. Que vous soyez restée deux jours ou dix ans dans cet enfer, peu importe. C’est lui le prédateur, et c’est vous la proie. Le problème, c’est que ce genre de crapule sait faire exactement ce qu’il faut pour que le piège se referme autour de vous – imprimer votre peur si fort que, des années après, elle est toujours aussi vive – tout en assurant leur totale impunité : c’est vous, c’est sa nana d’aujourd’hui, qui êtes folles. La preuve ? Elle fait des allers et retour à l’hosto. La preuve ? Vous en avez encore les doigts qui tremblent quand vous pensez seulement à lui écrire… Mais, Sophie, votre corps se souvient de ce qu’il a enduré… Et pas qu’un peu.

Il se souvient de la peur, oui, comme il se souvient de la contrainte qu’il a subi. Et je crois qu’en terme de contrainte aussi, on peut dire que vous avez assez donné. Évidemment, je ne suis pas en train de vous dire de laisser cette jeune femme s’enliser dans le pire. Mais si vous agissez, faites le d’abord pour vous. Vous avez réussi à vous faire une belle vie : bravo ! Et, je suis d’accord avec vous, ces vampires là sucent tout notre sang, nos neurones, notre énergie vitale. Quand on trouve la force d’échapper à leurs griffes, il ne reste pas grand-chose de nous… Or, malgré cela, la plus belle des revanches, vous l’avez : vous êtes, aujourd’hui, une femme heureuse et épanouie. Alors vraiment, Sophie, il n’y a rien de rien de rien dont vous puissiez avoir honte, dans cette histoire… Maintenant : reste une petite poche de douleur, quelque part en vous, qui mériterait d’être vidée, pour alléger le reste du voyage. Vous avez survécu, vous avez construit des remparts solides autour de vous (votre job, votre famille) : peut-être est-il temps de vous colleter à ce que vous avez réellement vécu avec l’ex affreux. Peut-être auriez-vous droit à une forme de reconnaissance, ne serait-ce qu’en posant les bons mots sur ce qu’il vous a fait. Des « problèmes de consentement », Sophie, je suis désolée, désolée, désolée, mais ça s’appelle un viol. Et je sais, ça pique. Ca pique très fort, même. Mais, comme disait Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ».

Ne pas dire que ce qu’il a commis, avec vous, est un crime, puni par la loi, c’est vous nier une deuxième fois. Vous méritez d’être entendue, et entendue vraiment Sophie. Mais ne le faites pas seule : ne mésestimez pas le pouvoir de nuisance de ces salopards, et faites vous aider – la vraie force consistant toujours à identifier quand on a besoin d’aide… Et quand vous aurez fait la paix avec votre histoire – avec votre histoire, avec vous, pas avec lui, attention ! Alors seulement vous aurez la solidité nécessaire pour venir efficacement en aide aux autres. Et puis, en attendant d’être engagée dans un travail thérapeutique en profondeur, n’hésitez pas à faire le 39 19 : les appels y sont anonymes et gratuits. Vous y trouverez des professionnelles formidables, les mieux à même de vous conseiller, en ce qui vous concerne, comme en ce qui concerne cette jeune femme. Courage à vous, chère Sophie. Vous êtes au début de ce chemin, mais je vous le promets : il vaut le coup ».

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