Santé

C’est mon histoire : « J’ai fui un pervers narcissique »

Relation toxique

« Toujours pas d’amoureux ? Et les enfants, tu y penses ? Parce que, bon, tu es encore jeune, mais il ne faudrait pas tarder à trouver quelqu’un. » Qui aurait cru, moi la dernière, qu’un jour ce genre de phrases tellement banales me jetterait dans un avion. Que je mettrais 16 000 kilomètres entre moi et ces mots-là, leur tic-tac infernal. 16 000 kilomètres pour ne plus entendre cette horloge encore plus sociale que biologique, et pouvoir écouter enfin celle qui crève d’être entendue : moi. Moi seule. Moi l’anxieuse, la pas téméraire ni roots pour un sou, moi dans un Roissy-Papeete avec tout ce que j’ai, personne qui m’attend ni ne m’accompagne.

J’ai 26 ans, j’ai tout plaqué, je suis fébrile et terrifiée. Un an plus tôt, rien n’aurait pu présager ce départ. Comme beaucoup de petites filles de ma génération, j’ai été biberonnée dès le plus jeune âge aux princes charmants de Disney et aux intrigues à l’eau de rose. Programmée pour rêver, moi aussi, à mon « Happily Ever After ». À 16 ans, ce sont les passions déchirantes, vibrantes, à la Bonnie and Clyde, à la Chuck and Blair de « Gossip Girl », à la Effy and Freddie de « Skins » qui me font fantasmer. Et puis, à 18 ans, je rencontre celui qui remettra en cause toutes mes croyances. Une relation – j’ose à peine la qualifier de relation – abusive, destructrice, où je plonge tête baissée, au grand désespoir de mes proches qui l’ont vu venir. Tromperies, clichés, mensonges, dénigrement, la totale. « C’est ma cousine, c’est pas ce que tu crois » ; « Je ne veux pas que tu sortes en soirée, tu me fais honte » ; « Toi, au musée ? Tu me fais bien rire » ; « Ah bon, parce que tu lis maintenant ? » ; « Il serait temps que tu fasses quelque chose de ta vie. » S’y ajoutent les messages de ses potes. « Excuse-moi de te déranger, Alba, mais Tim est désolé pour hier. Il voudrait savoir si tu peux prendre la pilule du lendemain ? »

PLUS JE L’AIME, plus je me déteste

Je me perds à travers lui et pourtant je m’accroche. Devenir plus belle, plus intelligente, plus drôle, plus tout. Si ça ne fonctionne pas, c’est ma faute, n’est-ce pas ? Pendant que mes proches construisent, je fais du surplace, j’ai la maladie de l’attente. Attendre qu’il se réveille, qu’il me regarde comme au premier jour, qu’il m’approuve. J’ai 25 ans quand l’humiliation ultime a lieu. Une nuit, je cherche sa présence dans le lit et finis par le surprendre avec une de ses ex dans le canapé du salon. Les cris et les assiettes volent, il me renvoie la faute : « Tu es folle, tu as vu l’état dans lequel tu mets Vanessa ? » Je suis escortée jusqu’à la porte, talons à la main, yeux noircis par les pleurs. Fin de l’histoire. Dire stop, choisir de se donner la priorité, c’est une chose. Se pardonner d’avoir accepté l’inacceptable, c’en est une autre. Je me sens comme une ville sinistrée, avec tout à reconstruire. Quand mon cœur et ma tête ne peuvent plus me porter, mes béquilles sont là, celles qui me soutiennent sans me juger depuis le collège. Joséphine, Lou, Rose, Camille. À leurs côtés, je comprends ce que Carrie Bradshaw avait compris bien avant moi, que mon grand amour, ce sont d’abord elles.

UNE LUNE DE MIEL… avec moi-même

Au fil des mois, une nouvelle Alba émerge. Un peu cabossée et qui ne s’excuse plus. D’être trop ceci, pas assez cela. Et qui n’attend plus rien, surtout pas l’approbation des autres. Mais est-ce qu’il suffit de le décider pour que tout s’aligne ? Non. Un an après ma rupture, j’ai le rire et le cœur plus légers, mais quelque chose dissone. Comment reconnecter avec mon désir, mon corps, mes choix dans un monde qui continue de me chanter le même refrain : achat, mariage, bébé ? Cette petite musique m’oppresse, ces couples qui s’embrassent comme des gamins dans le métro, ceux qui ne parlent qu’en disant « nous » et dont l’individualité se dissout, ces interlocuteurs bien intentionnés qui n’imaginent pour moi, encore et encore, que le même horizon : « Oh, tu verras, ça te tombera dessus le jour où tu ne t’y attendras pas. »

Ce qui me tombe dessus, ce sont ces désirs métropolitains qui m’étouffent et cet horizon qui doit changer. Ma renaissance m’attend beau- coup plus loin, dans cette France du bout du monde qui m’a toujours fait rêver, dans laquelle j’ai envie de me projeter. Toute seule. C’est décidé. Tahiti, ce décor de voyage de noces sera celui de mon indépendance. Ma lune de miel avec moi-même, la récompense de mon long travail intros- pectif. Le travail tout court ? Je suis attachée de presse, je trouverai sur place. Finalement, je trouve un emploi avant même de partir, dans une start-up hyper-créative qui semblait n’attendre que moi. Tous les voyants sont au vert, et puis… le tic-tac recommence. 

Je me fais violence une nouvelle fois, je m’écorche, mais je ne cède pas

Trois mois avant le grand déménagement, l’angoisse me reprend. Suis-je folle de tout quitter ? Vais-je trouver ce que je cherche, si je cherche réellement quelque chose ? Moi qui suis si entourée, si protégée par mes proches, je doute… Jusqu’au bout, j’hésite, à deux doigts de me dégonfler, de rentrer penaude à la case départ. Mais je ne veux pas donner raison à cette petite voix qui m’a déjà tant de fois empêchée de me réaliser, ni donner raison à mon ex, à tous ceux qui me croient incapable de me réinventer. Je me fais violence une nouvelle fois, je m’écorche, mais je ne cède pas. Le jour du départ est un cocktail Molotov d’émotions. Je suis en ébullition, submergée par l’amour de ma petite sœur, de ma mère et de mes amies… et noyée sous la culpabilité, l’effroi. Je suis dans un tourbillon, je suis dans le brouillard. Après un périple de vingt-deux heures, j’arrive épuisée en terre tahitienne.

La première bouffée d’air est lourde de chaleur, humide, dépaysante. La peur laisse place à l’excitation. Moi qui craignais de suffoquer sur une île minuscule au milieu de l’océan, je me sens apaisée, libre. À travers les vitres du taxi, je regarde les paysages verdoyants défiler et m’imagine la vie que je vais créer ici. J’ai mille questions et zéro réponse pour la première fois de mon existence. Les premières semaines sont intenses… Les Polynésiens sont si accueillants, si joyeux, que pour une exilée parisienne, ça en devient presque étrange. La facilité des rencontres ne cesse de me frapper. Les gens se parlent, s’écoutent (vraiment), s’attachent vite. Peut-être parce que, comme le résume un de mes nouveaux amis, « ici on fuit ou on cherche tous quelque chose, c’est ce qui nous lie ».

NE PLUS DEPENDRE DU REGARD d’un homme, enfin

Au travail, je ressens chez mes collègues la même quête de sens, de bien-être. Et découvre l’impact direct que mes actions peuvent avoir localement, une gratification si rare en métro- pole. Entourée de paysages paradisiaques, je gagne en confiance. Moi, la citadine peureuse, je nage avec les requins. Entre randonnées, surf, Jet-Ski, je savoure l’instant et m’allège chaque jour un peu plus. Moi qui me cachais derrière mes vêtements sophistiqués, mon maquillage et mes cheveux soigneusement bouclés au fer, j’apprends à m’apprécier au naturel, en maillot de bain.

À chaque baignade, la petite voix s’efface un peu plus, ces éternels « Cambre-toi, rentre le ventre »; « Il va voir que je suis mal épilée »; « Il va me trouver horrible avec ma cellulite »… Ici, je déconstruis tout, mes complexes, mes préoccupations, les injonctions familiales et amoureuses. Cette idée qu’être seule est une maladie et qu’il faut être deux pour être complète. Je ne suis pas devenue anti-couple non plus, je laisse la vie me surprendre. Si quelqu’un partage les mêmes envies, la même vision sur le monde, pourquoi pas ? Mais même si cela n’arrive pas, ce n’est pas grave, je sais que tout ira bien. Ma valeur ne dépend pas du regard d’un homme, mon happy ending non plus.

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