Santé

Peur d’être imposant : « Si je parle trop, je ne laisse pas la place aux autres d’exister », témoignage

Compenser une forte présence

Quand il rentre d’une soirée entre amis, on ne s’imagine pas ce qui inquiète Joseph, ce jeune homme extraverti de 25 ans : « Et si l’un de mes amis avait eu quelque chose d’important à me confier et n’a pas pu le faire ? » S’il se pose cette question, c’est parce qu’il craint avoir tant parlé que les autres n’aient pas eu la place de le faire. « Je parle fort, je rigole fort, et j’adore raconter des histoires à mes proches. Alors souvent, après une soirée, je fais le point et je me dis : là, tu as trop pris la parole, il faut que tu laisses parler les autres ! Cette pensée me heurte parfois comme une piqûre de rappel. Je ne veux pas que mes amis pensent que je ne suis pas à leur écoute. Je ne veux surtout pas les écraser en prenant trop de place. »

Lui qui estime pourtant avoir une bonne intelligence émotionnelle, craint de passer à côté de signaux et de ne pas savoir se taire quand il le faut. « Je me souviens du soir des élections présidentielles de 2017. On s’est retrouvés entre amis pour attendre les résultats électoraux… » Joseph étudie les sciences politiques. « J’étais dans l’euphorie d’une élection, je courais partout ! Mes amis, eux, étaient très déçus des résultats. Mais je n’étais pas assez concentré sur eux, je n’ai pas compris qu’ils étaient si peinés par le sujet. Mon comportement n’était pas du tout approprié. » Ses proches lui ont d’ailleurs reproché son attitude. « J’étais déçu de moi. Je veux être un ami qui sait écouter les autres, être là pour eux. Savoir que je n’ai pas su leur laisser l’espace pour s’exprimer… cela écorne vraiment mon estime de moi. »

Je parle donc je suis

Pourquoi Joseph a-t-il si peur d’écraser les autres par sa personnalité ? « Si je prends trop de place, j’ai l’impression de forcément prendre celle d’un autre. Et je ne supporte pas d’invisibiliser quelqu’un. » Si le jeune homme est tant attentif à ce que chacun de ses proches puisse s’exprimer comme il le souhaite, c’est parce qu’il a lui-même un temps souffert d’être invisible. « Je comprends la frustration que l’on ressent quand on ne nous donne pas la voix au chapitre. Mon père a une très forte personnalité. En famille ou lors des repas entre amis, il parle fort, il rigole fort, et il aime donner son avis. » Jusqu’à ses 6 ans, Joseph a également souffert de bégaiement et de zozotement. « Toute mon enfance, j’ai été frustré de ne pas pouvoir m’exprimer à 100 %. Je sais ce que la parole vaut. Ne pas parler, pour moi, c’est presque ne pas exister. Je ne voudrais jamais faire subir cette sensation aux autres. »

La peur de Joseph est assez récente. « Quand j’étais enfant, je n’avais pas confiance en moi, je ne faisais pas autant de blagues, donc je n’avais pas la même présence qu’aujourd’hui. À l’adolescence, ça a changé, et vers mes 18 ans, je me suis rendu compte de mon attitude : je voulais sans arrêt raconter l’histoire qui ferait réagir, la blague qui allait faire rire tout le monde… J’ai commencé à être un élément moteur dans mon groupe d’amis et au sein de ma famille. C’est par ce constat que ma peur de prendre trop de place est née. »

Un dilemme interne

Aujourd’hui, marqué par de telles situations, le jeune homme tente de se réguler, parfois à outrance. « Si j’ai la sensation d’avoir pris trop de place lors d’un café entre amis, la prochaine fois que je les revois, je ne vais pas du tout parler, et je vais leur poser plein de questions sur eux. J’essaie de compenser le fait d’avoir été trop présent la fois d’avant. » En soirées, il peine souvent à ne pas se laisser envahir par sa crainte. « Il m’arrive de m’auto-flageller. Je vais me dire : maintenant tu fais le roi du silence, pendant 20 minutes, tu ne parles plus. Tu parles depuis 45 minutes, maintenant arrête, tais-toi, tu n’es pas le centre du monde ! » En se taisant, il espère réussir à mieux sentir les moments où il ne faut pas faire de blague, où il faut avoir une discussion plus sérieuse.

Pourtant, le jeune homme sait aussi faire preuve d’une grande écoute. « J’ai l’impression qu’il y a deux Joseph. L’un est attentif à ses amis, sait équilibrer une conversation. Et l’autre va être too much, crier et danser partout. J’aime être les deux, mais il y a un combat constant entre mes deux personnalités, celles que j’ai eues lorsque j’étais tout petit et calme, puis adolescent et très extraverti. Aujourd’hui, ces deux facettes cohabitent difficilement. Et j’espère à terme réussir à calmer la partie de moi qui prend trop de place, qui adopte encore des manières de se comporter immatures. À mon sens, se remettre en question permet d’évoluer et de grandir, et cela passera par le fait de quitter ce Joseph adolescent. »

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