Santé

Lubrification féminine : les femmes aussi angoissent de ne pas être « à la hauteur »

Eté 2020. Les rappeuses Cardi B et Megan Thee Stallion glorifient les femmes bien humides dans le titre « WAP », ou « wet-ass pussy » (que l’on pourrait traduire par « chatte bien mouillée » en français). A croire qu’un sexe féminin lubrifié à l’excès est un gage de plaisir sexuel intense et de relations bien menées. Une injonction qui ne va pas sans rappeler la quête du point G dans les années 2000, allant de pair avec la recherche de l’orgasme vaginal à tout prix.  

Derrière cette nécessité, il y a celle d’être une « vraie femme » – une femme qui sait recevoir et jouir. Une femme qui transforme le sexe en spectacle et prouve à son amant qu’elle n’est pas « une petite joueuse ». Si aujourd’hui, le point G et l’orgasme vaginal ne sont plus autant un sujet d’exploration intime, l’éjaculation féminine et le phénomène des femmes fontaines migrent du porno à la réalité et s’infiltrent jusque dans le transsudat vaginal – le nom scientifique de « mouille ». Désormais, mouiller n’est plus seulement une réaction physiologique à l’excitation sexuelle, c’est aussi une preuve de désir et un critère à remplir pour s’avérer excitante. Et c’est épuisant. 

Ne pas mouiller assez ou le complexe de ne pas être assez bonne 

Sexuellement, les hommes seraient sous pression : il leur faudrait tenir une belle érection. Ce devoir de performance connaît son équivalent féminin, plus discret, celui de la mouille à toute épreuve. Mais si la gent masculine semble préoccupée par la fière allure de son pénis, la préoccupation des femmes avec la lubrification est, à l’origine, avant tout une question de confort, comme le relate Camille Bataillon, sexologue et coordinatrice sur  mia.co,  plateforme de téléconsultations en sexologie à destination des femmes : « Le complexe d’un sexe peu humide naît souvent en cas de sécheresse vaginale persistante. On craint de ne pas « fonctionner normalement » et les douleurs générées renforcent le malaise. »  

Mais l’angoisse de ne pas mouiller suffisamment éclot aussi dans l’interaction avec les partenaires : « Les remarques ou attentes de certains hommes viennent perturber les femmes qui, jusque-là, ne se posaient pas tant la question », poursuit la sexologue. Un propos que rejoint le médecin Martin Winckler. L’auteur de «  C’est mon corps » (éd. l’Iconoclaste) est formel : « L’injonction à la lubrification vient essentiellement de la vision masculine. Selon cette vision, quand une femme lubrifie, c’est parce qu’elle est excitée par un homme et prête à recevoir son pénis. »  

À croire qu’au sein de la fameuse charge sexuelle, la « charge mentale du sexe » qui pèse souvent sur les femmes dans le cadre du couple hétérosexuel, la pression de mouiller sévit tout autant que la pression de jouir : on ne voudrait pas décevoir son partenaire et remettre en question sa capacité à nous procurer du plaisir. Mais cette injonction à mouiller vient aussi de ce que les femmes projettent : « Nous sommes tous soumis aux schémas tenaces qui régissent les contours d’une sexualité performante, remarque Camille Bataillon. Les couples lesbiens n’échappent pas aux diktats du corps parfait, actif, exalté. » Ainsi, pour entrer sur le marché de « la bonne meuf » – pour reprendre les mots de Virginie Despentes* – la mouille généreuse s’inscrit de plus en plus dans nos esprits comme un signe de bonne santé sexuelle, et comme un incontournable atout séduction.  

Sur le marché du capitalisme sexuel, le droit au plaisir s’est transformé en « devoir de plaisir », avec, dans son panier, une expression corporelle en guise de preuve. En réalité, tant que les rapports sexuels ne sont pas douloureux, il n’y aucune raison de se préoccuper outre mesure de sa lubrification.  

Un fantasme nourri par l’univers du porno 

Le vagin est naturellement lubrifié, à l’instar de notre bouche ou de nos yeux. C’est lors de l’excitation sexuelle que ces « sécrétions de base », comme les nomme Martin Winckler, deviennent plus abondantes : « Lors de la stimulation sexuelle, les vaisseaux de la vulve et du vagin se dilatent et la quantité de liquide sécrétée peut ainsi augmenter. Les glandes de Bartholin, qui sont les « glandes salivaires » des petites lèvres, lubrifient la vulve, et les cellules muqueuses du vagin et les glandes du col lubrifient le vagin », explique le médecin. Et point trop n’en faut : « Il n’existe pas de bonne quantité de mouille. D’ailleurs, vouloir trop mouiller est inutile. Les femmes qui lubrifient excessivement le déplorent. Ça glisse et les sensations se noient – sans mauvais jeu de mots », ajoute la sexologue Camille Bataillon. 

Il n’empêche que l’éjaculation féminine, qui vient des glandes de Skene – glandes que l’on assimile à la prostate masculine, à distinguer des glandes de Bartholin – et le phénomène de « fontaine », qui prend quant à lui sa source dans la vessie, nourrissent nos imaginaires érotiques. Une « mode » qui vient renforcer le « complexe de la mouille ». Et les films pornos se chargent de mettre à jour nos fantasmes. A travers la catégorie « éjac interne », une pratique dont le principe est d’éjaculer « au fond » du vagin pour découvrir, quelques secondes plus tard, un sexe féminin dégoulinant, ou encore des vidéos dédiées à la lubrification féminine, telle que « elle est si excitée qu’elle en mouille ses chaussettes »*, on comprend que la mouille est sacralisée. Tellement qu’elle porte un petit nom : la cyprine. « Il s’agit simplement d’un terme poétique pour désigner les sécrétions de la vulve. Il n’existe pas de sécrétion sexuelle « sacrée » qui s’ajouterait à la sécrétion vaginale « normale ». C’est la même, mais en plus abondant », recadre Martin Winkler. 

La lubrification ne dit rien de nos orgasmes, ni de notre désir 

« Si une femme n’est pas gênée et se sent bien pendant des rapports avec pénétration, c’est qu’elle lubrifie assez. Peu importe ce que dit ou pense son partenaire », poursuit le médecin Martin Winckler. Rien ne sert de vouloir mouiller à tout prix, cela ne vous offrira pas des orgasmes plus intenses. « On a tendance à croire que plus on lubrifie, plus on prend du plaisir, or la lubrification est une réponse à l’excitation sexuelle et ne dit rien de la teneur de nos orgasmes », rassure Camille Bataillon.  

La sexologue rappelle également que lubrification et désir sexuel sont, à tort, fréquemment associés. Seulement, on peut avoir envie d’un rapport et ne pas lubrifier, ou bien lubrifier sans ressentir de désir : ça s’appelle la « non-concordance de l’excitation, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de corrélation entre la réponse sexuelle et la perception subjective du désir », précise la sexologue. Mais comment se fait-il, qu’avec un tel système de lubrification, lubrification et désir ne coïncident pas toujours ? « La douleur par exemple, ou la surprise ou la peur, peuvent empêcher la lubrification comme empêcher l’érection. La première zone érogène, c’est le cerveau », informe Martin Winckler. Ainsi, en cas de fatigue ou de stress, il se peut que le mécanisme de lubrification rame un peu. Le cycle menstruel joue aussi : si en période d’ovulation, les sécrétions tapissent d’autant plus le vagin, notamment pour rendre le milieu hospitalier aux spermatozoïdes, le reste du cycle peut donner du fil à retordre. Enfin, certains médicaments assèchent les sécrétions glandulaires et les hormones contraceptives peuvent, dans certains cas, réduire les sécrétions vaginales. 

Slow sex, lubrifiant, CBD… Trouver ma bonne dose de mouille à moi 

« Le plus important est de désirer le rapport », insiste Camille Bataillon. Ensuite, le corps fait son affaire. Mais il existe des solutions aux dyspareunies (douleurs pendant les rapports), ou même aux sensations désagréables sur la vulve (le gland du clitoris n’aime pas tellement être visité « à sec »). Solutions que l’on met en place pour son bien-être, et non pas pour épater la galerie. 

« Quand on a un rapport sexuel un peu difficile avec une personne qui nous respecte, on peut faire en sorte que le rapport suivant se passe mieux, en prenant le temps de se stimuler réciproquement pour que la pénétration, si c’est ce que l’on veut, soit aussi agréable que possible », conseille Martin Winckler. Ensuite, on pense au lubrifiant, car « le lubrifiant, c’est stupéfiant », selon les mots de la médecin gynécologue canado-américaine Jen Gunter, auteure de « La bible du vagin » (éd. First). Oui, c’est stupéfiant, car il suffit d’une dose pour apporter de la lubrification et gagner en confort. Le souci, c’est que nous avons tendance à voir ce produit comme un médicament ou un accessoire purement érotique, à l’instar du sextoy. « Le lubrifiant est l’un des produits cosmétiques les plus vendus en Amérique du Nord, nous apprend Martin Winkler, qui réside au Canada. Il est considéré comme un produit aussi banal, et d’usage aussi courant, que la crème pour les mains quand on a la peau sèche. Si c’est sec, on hydrate, un point c’est tout. » 

Camille Bataillon recommande l’utilisation d’un lubrifiant à « tous les coups ». Un moyen d’apporter une touche d’humidité, toujours la bienvenue, d’autant que les deux partenaires sont gagnants-gagnants : « Quand je suggère aux hommes de se masturber avec du lubrifiant, ils tombent des nues et puis découvrent qu’une goutte peut augmenter les sensations », détaille l’experte. Pour aller plus loin, la sexologue teste également une huile à base de CBD – le cannabidiol, le « cannabis légal », dont la commercialisation est autorisée sous certaines conditions. Son caractère vasodilatateur stimule la circulation sanguine et l’afflux sanguin vers les organes génitaux, alors utiles à la lubrification. La solution de demain ? Bien entendu, comme tout support, l’huile intime à base de CBD ne doit pas être utilisée en l’absence de désir sexuel : il vaut mieux peu mouiller et prendre son pied que l’inverse. 

*Dans King Kong Théorie, de Virginie Despentes, éditions Grasset, 2006

*Sur Pornhub  

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