Santé

Allô Giulia ? « J’ai l’impression d’être la vieille fille de la famille »

« Chère Giulia,

Je vous écris parce que je ne suis pas hyperfière de moi, et je ne sais pas trop où déposer ça, mais il faut que ça sorte. Ma sœur aînée, Marie, vient de se remaquer. J’ai beau me dire qu’elle le mérite, qu’elle a suffisamment porté son ex à bout de bras, qu’elle en a assez bavé avec mes neveux, aussi chouettes que difficiles à driver… Bref, la voir heureuse, amoureuse, avec un mec vraiment, vraiment bien, devrait me réjouir. Mais je n’y arrive pas. Du moins, pas complètement… J’ai ce petit pincement au cœur, ou cette petite amertume dans la bouche qui remonte, à chaque fois qu’elle me parle de sa si belle histoire. Parce que tant qu’elle était seule, à galérer comme moi avec des débiles, on se serrait les coudes.

Je me sens vraiment trahie

Notre plus jeune sœur, Caro, a toujours été la plus fleur bleue des trois. Et celui qu’elle a rencontré à la fac s’est avéré le seul, l’unique homme de sa vie. On l’adore, notre beau-frère – lui aussi, c’est un chic type, et un papa super. Mais voilà, on pouvait se dire que Caro était l’exception qui confirmait la règle – la règle étant que les relations de couple, c’était la cata, et que pour vivre heureuse, mieux valait vivre seule… Je me sens trahie. C’est idiot, mais je me sens vraiment trahie. En plus, Marie a eu des enfants, elle. Pas moi. Donc la ratée de la famille… C’est moi. Alors, pas au niveau boulot : mes sœurs ne se sont jamais réellement éclatées dans le leur. Moi, j’ai toujours été bonne en cours – des sœurs, j’étais la seule à aimer ça. Et j’ai fait exactement la carrière que je souhaitais : je suis médecin, dans une ONG qui s’occupe de l’instruction des petites filles en Afrique Sub-saharienne.

En vous disant tout ce que j’avais sur le cœur, je me sentirais plus légère

J’y trouve du sens, et, j’avoue, une certaine forme de reconnaissance. Ce boulot m’a nourrie, il m’a construite, il m’a fait voyager dans le monde entier… Mais ça n’est qu’un boulot. Pas de mec, pas d’enfant, alors voilà : la vérité, c’est que la vieille fille de la famille, c’est moi. Je le réécris, et je pourrais le réécrire en boucle : ça me taraude. Parce qu’avec Marie maquée, je suis obligée de regarder la réalité en face : il y a quelque chose qui cloche, chez moi, pour qu’aucun mec n’ait voulu construire une famille avec moi. Croyez-moi, cette idée-là fait très, très mal. Sauf qu’il faut que j’arrive à la mettre au moins un peu de côté, pour ne pas gâcher la joie de ma grande sœur. Elle va finir par sentir ma tristesse, et ce serait vraiment dégueulasse de ma part. Je sais qu’on n’est pas des machines, je sais que la méthode Coué ne marche pas toujours, mais par où je commence pour changer de logiciel ? Je me suis dit qu’au moins, en vous disant tout ce que j’avais sur le cœur, je commencerais à me sentir plus légère, et donc plus ouverte à ce qui arrive à ma sœur. » – Claire, 42 ans.

« Chère Claire,

Vous avez raison, ça va souvent mieux en le disant… Je n’ai pas d’ascendant curé, mais je crois que ça a toujours servi un peu à ça, le confessionnal : se confronter à ses pensées les plus impures, s’auto-flageller deux ou trois fois, et hop, on passe à autre chose. Mais, n’ayant toujours pas, même trois lignes plus tard, d’ascendant curé, je vous dirais d’abord que – breaking news : des pensées impures, on en a tous. On est toutes parfois un peu mesquines, un peu radines du cœur, un peu rachitiques de l’empathie. À moins d’être candidat à l’auréole, ou de vouloir terminer en vitrail sur la façade d’une église, c’est pas plus mal : c’est ce qui fait de nous des êtres humains.

Alors autant l’accepter : vous n’êtes pas une mauvaise personne parce que vous n’avez pas, sur l’instant, la noblesse de réaction que vous souhaiteriez. Le simple fait de le remarquer, et de vouloir vous débarrasser de ce ressentiment, ne serait-ce qu’en m’écrivant, me raconte l’amour que vous portez à votre sœur. Qui est différente de vous. Comme Caro l’est aussi. Vous avez beau avoir officiellement les mêmes parents, vous avez toutes poussé différemment. Ils n’étaient pas exactement les mêmes au moment où chacune de vous est née. Et chacune a ensuite pu faire ses propres expériences. Ça donne trois adultes singulières, mais qui ont su, malgré tout, garder un lien très fort – ne me lancez pas, je pourrais en faire des kilomètres sur la beauté, et la puissance de la sororité.

Tout n’est jamais qu’une question de point de vue

En revanche, je veux bien aller leur poser la question à votre place : » pensez-vous que Claire soit la ratée de la famille ? » Je crois connaître leur réponse… Pour elles, vous êtes celle qui a réussi. Celle qui a fait carrière. Et sans doute même celle qui sauve le monde. La réalité objective n’existe pas. Tout n’est jamais qu’une question de point de vue. Celui que vous avez sur vous-même me paraît particulièrement dur… Et légèrement obsolète sur les bords : qui a dit qu’un boulot, ça n’était qu’un boulot ? Qui a dit qu’une femme, pour réussir sa vie, devait être en couple, et mère de famille ? Ok, ok… Le patriarcat l’a dit.

Le monde a changé, les femmes se sont émancipées

Celui qui nous a fait passer, pendant des siècles, pour des citoyennes de seconde zone, incapables de vivre par elles-mêmes, et pour elles-mêmes, passant d’une tutelle (leur père) à une autre (leur mari)… Or, ce même mouvement, toute en nous limitant l’existence aux couches du petit dernier et à la pipe de monsieur (je parle de tabac), faisait de la célibataire la figure repoussoir par excellence. La célibataire, c’est celle dont personne n’a voulu. Celle qui est si laide, si gourde, qu’elle finira seule, ensevelie par ses chats. La vérité, c’est qu’elle foutait la trouille, par son indépendance et sa capacité à s’affranchir des normes. La vérité, c’est que le monde a changé. Que les femmes se sont émancipées. Qu’elles ont, de haute lutte, obtenu le droit de faire carrière, et presque celui de ne pas avoir d’enfant. Profitez-en Claire, profitez de cette belle liberté qui est la vôtre. Et le jour où vous voudrez vous construire une vie de famille, mon petit doigt me dit que vous le ferez… Je vous embrasse ! »

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