Santé

Mères atteintes de phobies d’impulsion de nature sexuelle : « Ce qu’elle avait dans la tête ne lui appartenait pas »

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Une jeune maman change précautionneusement son bébé qui gazouille sur la table à langer. Une scène banale de la vie parentale, en apparence, mais qui peut se transformer pour certaines femmes en véritable calvaire. Chez certaines d’entre elles, la vision du sexe du bébé peut déclencher instantanément des phobies d’impulsion, de nature sexuelle. En d’autres termes, elles vont s’imaginer – à leur plus grande horreur – des actes pédocriminels. Depuis qu’elle pratique, de nombreuses patientes affolées ont débarqué dans le cabinet de la psychiatre Muriel Salmona en racontant toujours le même scénario, à quelques détails près. Et toujours avec la même question lancinante au bout des lèvres : « Docteur, suis-je un monstre ? » 

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« La réponse est non », tranche aussitôt la spécialiste des psychotraumatismes. Le tourbillon d’images violentes décrit par toutes ces femmes serait en réalité le symptôme d’un traumatisme plus ancien. En psychiatrie, on parle de phobies d’impulsion. « En clair, cela revient à être envahi par de multiples images qui nous laissent penser qu’on va faire quelque chose de criminel. Ces visions résultent de la peur intrinsèque que l’on ressent à l’idée de passer à l’acte. Le patient a l’impression qu’il risque de faire du mal à quelqu’un », explique la psychiatre.  

Passer sur un quai de métro et s’imaginer pousser quelqu’un sur les rails, tenir un nourrisson entre les bras et se voir le jeter à terre dans un coup de folie ou même conduire tranquillement sur l’autoroute jusqu’à ce qu’on pense subitement à provoquer un accident …Sans jamais passer à l’acte, évidemment. Si vous avez déjà eu ce genre de de visions terrifiantes, vous avez vécu une pulsion phobique. Ici, en l’occurrence, les patientes de Muriel Salmona se projettent le plus souvent en train d’imposer des sévices sexuels à leur propre enfant. Bouffée d’angoisse immédiate. 

Une colonisation mentale de l’agresseur 

Des visions inopinées qui ont souvent saisi d’effroi Adélaïde Bon, une mère de famille de 42 ans, à des moments d’intimité avec son petit garçon, comme elle l’écrivait en 2018 dans « La petite fille sur la banquise » (Éditions Grasset). Sous la plume de cette ancienne comédienne, les phobies d’impulsion prennent tour à tour la forme d’ « une boue envahissante », ou bien de « méduses ». « Mon fils, mon tant aimé, mon tendre, il les lira peut-être un jour, ces mots. Il aura mal et je ne sais pas si je saurai le réparer, le consoler, le mal de ces mots-là, écrit la jeune femme. Ces mots pourtant, je vais les écrire, je me les dois, je les dois à la petite fille qui m’attend sur la banquise, je les dois à toutes les vies de douleur […] Le sexe gonflé dans le bain peau à peau avec son nourrisson, s’imaginer le masturber vouloir s’arracher la tête du buste ou boire la bouteille de Javel… » Pendant longtemps, Adélaïde Bon ne parvient pas à comprendre ce qui la pousse à être traversée par l’innommable. Mais tout bascule à sa rencontre avec Muriel Salmona, qui décrypte aussitôt l’origine traumatique du phénomène. Avec l’accord de celle qui est sa patiente depuis quelques années, la thérapeute nous livre une analyse de ce témoignage bouleversant dans lequel d’autres femmes pourraient se reconnaître.  

Un jour, en rentrant de l’école, Adélaïde Bon a été violée dans la cage d’escalier de son immeuble. Elle avait neuf ans. Avec la découverte des pulsions phobiques, les images insupportables qui l’assaillent ont trouvé une explication. L’esprit de la jeune femme est perpétuellement colonisé par son agresseur. « Les phobies d’impulsion suivent le même mécanisme que la mémoire traumatique. Autrement dit, ces images contiennent tout ce que les gens ont subi, tout ce que l’agresseur leur a fait », détaille Muriel Salmona. De fait, ces troubles obsessionnels du comportement sont le plus souvent liées à des violences subies dans l’enfance. En ignorant les causes de ces hallucinations passagères, les femmes qui souffrent de phobies d’impulsion portent toujours en elles le poids d’une lourde culpabilité. La peur d’être à son tour une personne pédocriminelle n’est jamais loin.  

Une peur panique de passer à l’acte 

Dans son livre, l’ancienne petite victime qui s’ignore verbalise notamment cette crainte de passer à l’acte, puis cette envie irrémédiable de se punir pour avoir eu de telles pensées. « Dans le bain, tenter de se noyer, changer la couche du petit bébé, son sexe est tout dur, s’imaginer le lécher avec la langue, vouloir se coudre les paupières, se cramponner à la table à langer », se remémore-t-elle au détour d’un chapitre. « C’est d’autant plus difficile que toutes ces images ne lui ressemblent pas et ne représentent en aucun cas sa réelle volonté. C’est comme si tout ce qu’elle avait dans la tête ne lui appartenait pas », observe de son côté Muriel Salmona. Ses pensées et ses gestes sont colonisés par le moment traumatique de l’agression. Est-ce que ces anciennes victimes en deviennent pour autant des pédocriminels ? Loin de là.  

« Tout est dans le terme, on parle bien de pulsion phobique, donc d’une pulsion habitée par la peur. » 

Dans les faits, l’immense majorité des personnes souffrant de ces troubles obsessionnels ne passent jamais à l’acte. « Tout est dans le terme, on parle bien de pulsion phobique, donc d’une pulsion habitée par la peur. Ces femmes n’ont pas envie de le faire puisqu’elles ont ces visions parce qu’elles en ont peur », fait observer l’experte. Le seul moyen de fuir cet « enfer au quotidien » réside ainsi dans les stratégies d’évitement qui se transforment rapidement en stratégies de survie. Dans le cas d’Adélaïde, elle ferme les yeux, chantonne toutes sortes de musiques pour détourner son attention.   

Des stratégies d’évitement qui deviennent un moyen de survie 

« Changer la couche et chanter, raconter une histoire, faire des blagues, surtout remplir les interstices mille fois par jour, serrer les dents très fort, planter les ongles loin dans la peau pour que les gros doigts se retirent de son sexe », écrit Adélaïde Bon. Pour sa thérapeute, le stratagème permet de mettre en place un « système de défense pour être certaine de ne pas nuire à son enfant ». L’idée derrière cette mise en scène ? Chanter pour ne pas être à l’écoute de cette voix à l’intérieur de soi. D’autres préfèrent anesthésier leurs sensations en tombant dans la drogue ou l’alcool. « Nous ne sommes jamais responsables des violences que nous avons subies, mais nous sommes responsables des stratégies de survie que nous mettons en place », conclut la psychiatre.  

Être envahi par de telles images est souvent synonyme de honte pour les personnes concernées. Pourtant, la seule solution pour annihiler ce mécanisme inconscient est de consulter un spécialiste des psychotraumas, même s’ils se font rares dans l’Hexagone. De fait, une personne qui a vécu un traumatisme aussi violent a forcément eu des atteintes neurologiques très importantes. « Dans ces cas de figure, on ne doit surtout pas laisser les choses se réparer d’elles-mêmes, alerte Muriel Salmona. Si on fait ça, c’est comme si on décidait de ne pas soigner une fracture. »  

Le défi est ensuite de comprendre les faits pour intégrer les événements passés. La psychiatre ajoute : « En thérapie, tout le défi est de faire réaliser au patient que les images qui l’envahissent ne sont pas le reflet de sa volonté. Souvent je leur demande si ce sont leurs mots, leurs gestes qu’ils voient dans ces visions. La réponse est toujours non. Il ne s’agit pas d’eux… Jamais. » 

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