Santé

Allô Giulia ? « J’ai passé la nuit avec une fille et depuis, je suis complètement chamboulée »

« Chère Giulia,

Je vous écris parce que je suis complètement chamboulée. J’ai eu, il y a quelque temps, ma première aventure avec une fille. Sur le moment, c’était le feu d’artifice, et le lendemain matin… La débandade complète : j’ai ramassé mes affaires sans faire de bruit, et j’ai filé ventre à terre. Depuis, je suis morte de trouille – c’est bizarre, hein ? D’autant pour une fille comme moi, persuadée d’être la nana ultra-ouverte d’esprit sur toutes ces questions-là… Mon cerveau sait que ça peut arriver. Et que rien n’est grave, entre deux adultes consentants. Mais mon bide est tout noué et je n’arrive plus à rien avaler depuis quelques jours. C’est un peu comme si j’avais fui une évidence toute ma vie et qu’elle me pétait au nez maintenant, à 34 ans.

Adolescente, je sortais avec des garçons, et j’étais vraiment amoureuse d’eux. Mais je me souviens aussi d’avoir eu le cœur qui battait un peu trop fort pour des nanas censées être mes amies, et rien que mes amies. Une fois, même, j’ai failli embrasser l’une d’entre elles, Johanna – j’en avais tellement envie !!! Mais je me suis retenue, à la dernière minute, pensant que c’était vraiment n’importe quoi. À la fac, j’ai fait semblant de trouver ça juste très cool d’embrasser d’autres filles en soirée, et je n’allais pas plus loin. J’ai rencontré Félix assez tôt, on est très vite tombés amoureux, et j’ai mis ça dans un coin de ma tête. On a eu un enfant, on a été très heureux, et puis beaucoup moins : on s’est séparés. J’ai eu ensuite une petite période free style, où j’ai eu envie de tout tester, pour goûter à une forme de liberté retrouvée. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Alex, que j’ai passé cette nuit incroyable et que, depuis, je suis pétrifiée : qu’est-ce qu’il m’arrive ? Qu’est-ce que je dois faire ? Et surtout, je suis qui, je suis quoi, moi ? Je ne sais pas si je me suis menti toute ma vie, ou si c’est cette nuit-là, qui était un mensonge… Bref, aidez-moi. » – Marion, 34 ans. 

« Chère Marion,

Je ne sais pas s’il y a des choses « à faire ». Je crois même le contraire : laissez ces pensées contradictoires, ce chaos émotionnel, même, traverser, pour une fois, votre corps. Vous l’avez contraint, vous avez tenté de le faire taire… Le moins qu’on puisse dire c’est que ça n’a pas marché : il a continué à parler. On fait tous la même erreur : penser que notre désir, notre plaisir, passent par les canaux bien balisés de notre cerveau, de ses croyances et de ses préjugés. C’est oublier que la chair, que le sang, que le cœur et même les tripes, sont au moins autant sollicités. Alors, de l’un à l’autre, c’est parfois un peu rock’n’roll. Comme tout le monde, vous êtes née dans un monde aussi riche, aussi divers, qu’il est engoncé dans une somme de préjugés.

Au premier rang desquels se trouve l’idée selon laquelle il y aurait une seule sexualité valable, une seule façon d’aimer qui soit dicible – l’hétérosexualité, pour faire court. C’est le prince et la princesse de nos contes de fées, ce sont les héroïnes de Jane Austen, et de toute une littérature romantique, reproduite, par la suite, au cinéma, à laquelle nous avons été biberonnées. Et le reste n’existait pas. Sans être ouvertement homo, lesbo, ou bi-phobes, nous avons grandi dans un monde où les autres sexualités n’existaient tout simplement pas : ni dans nos imaginaires, ni dans nos pratiques – pour la plupart d’entre nous. Celles et ceux qui décident de vivre d’autres vies que la norme, s’en trouvent, de fait, écartés. Et il faut une sacrée dose de sécurité intérieure pour tailler sa route, sereinement, malgré l’exclusion du groupe dominant. Bien sûr, il y a une créativité, une inventivité, et même, une sacrée liberté, à vivre plus en marge. Mais c’est un long, très long chemin avant de le comprendre, et de le goûter.

Nous vivons aujourd’hui à une époque où les codes s’estompent

Vous l’avez fait, ce chemin, sans même vous en rendre compte : aujourd’hui, vous avez effleuré cette possibilité. Cette fois, vous avez osé franchir le cap. Passer à l’acte. Pire (mieux ?) : vous avez aimé ça. Votre peur est même exactement proportionnelle au plaisir que vous avez ressenti. Ce plaisir, c’est aussi celui de la transgression, celle qui fout les chocottes autant qu’elle attire. À l’arrivée, ça nous fait donc une bien belle tempête sous un crâne. Pendant un temps, seulement – du moins, je vous le souhaite. Vous méritez que tout s’apaise, vous méritez que tout se calme. Vous le dites, et vous avez raison : vous n’avez rien fait de mal. L’adulte qui est en vous, le sait. La petite fille à qui on a montré les limites à ne pas franchir en doute encore un peu. Calmez-la, rassurez-la. Dites-lui que le grand méchant loup n’existe pas. Et que tout le monde – elle la première – s’en remettra, si elle ajoute cette nuance à sa palette de couleurs. Car c’est bien de cela, dont il s’agit. Nous vivons aujourd’hui à une époque où les codes s’estompent, où les cadrent se floutent, et où les étiquettes se décollent – bonne nouvelle, en général, on respire mieux après : bisexuelle, pansexuelle, hétérosexuelle, qu’importe ? Vous êtes vous. Vous l’avez toujours été. Vous le serez toujours. Identité mouvante, enrichie, peu à peu, par les rencontres et les années, mais vous. Et, vous, c’est aussi cette capacité à vivre de prodigieuses nuits d’amour – petite veinarde, va ! »

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