Allô Giulia ? : « Je suis tombée enceinte en pleine relation toxique »
« Chère Giulia,
Quand j’ai rencontré Nico, il y a trois ans, je sortais d’une relation très compliquée… J’avais passé trois ans à aimer un fantôme, avec qui j’avais pu m’éclater au départ, mais qui s’était mis à me filer entre les doigts, et refusait de s’engager. Au moins, Nico était là. Vraiment là. C’est quelqu’un qui prend beaucoup de place, toujours au centre du groupe, mais aussi parce qu’il est très drôle. Et cultivé. Et super généreux – il n’a aucun problème à inviter toute la tablée, même si pour lui, les fins de mois sont difficiles. Il a jeté assez vite son dévolu sur moi, moi qui me tenais un peu à l’écart. J’avais besoin de me remettre de la énième rupture avec mon ex, donc j’étais un peu méfiante. Mais Nico a tenu bon. Et il m’a fait rire. Et quand je fermais une porte, il rentrait par la fenêtre ! C’est ça, je crois, qui a marché : j’avais le sentiment de compter pour quelqu’un, et franchement, ça n’a pas toujours été le cas.
Quand j’ai compris à quel point on se ressemblait, j’ai commencé à me projeter
Donc au bout de quelques mois, je donne un bon coup de pied au fond de la piscine, et je fonce dans cette nouvelle histoire, pour ce qu’elle peut avoir de plus fou et de plus solaire : Nico a dix mille idées à la minute, toujours plein de projets sur le feu, et pour moi, qui suis du genre terre à terre, il rêve pour deux. En pratique, il galère toujours un peu, mais il y croit et ça me bluffe. Alors, je le suis. Avec le temps, il s’est ouvert à moi, et j’ai découvert un Nico plus sensible, plus fragile que ce qu’il donne à voir aux autres. En fait, il avait grandi tout seul, comme moi, avec des parents pas vraiment là, et il en tirait un gros manque de confiance en lui – d’où ce besoin d’être au milieu du groupe, pour être sûr que tout le monde le voie. Quand j’ai compris à quel point on se ressemblait, j’ai commencé à me projeter : forcément, on allait être heureux ensemble ; forcément, on allait pouvoir vivre ensemble, et tout partager, et ce serait super ; forcément, un jour, on allait faire un bébé. Au même moment, je crois, il a commencé à rétropédaler.
Un jour, j’ai appris qu’il me trompait
Comme mon ex avant lui, il s’est mis à me poser des lapins. Pas grand-chose au début, et puis il a pris l’habitude de disparaître, un jour ou deux. Quand il revenait, les bons jours, il se confondait en excuses, les mauvais, il m’engueulait parce que je lui avais mis la pression… Quand il avait bu, c’était pire, il explosait. Et il buvait de plus en plus. Faisait la fête de plus en plus. Mentait de plus en plus. Un jour, j’ai appris qu’il me trompait. Un vague plan d’un soir, mais ça fait super mal. Évidemment, je lui en ai tout de suite parlé. Il n’a même pas cherché à nier – à mon avis, il planait encore de la soirée de la veille, et il m’a dit : « donne-moi envie, si tu ne veux pas que ça arrive ». Je lui ai foutu une baffe, et je l’ai viré de chez moi. Deux jours plus tard, il était à ma porte, me jurait qu’il m’aimait, et qu’il se ferait soigner. Alors, on a recommencé, et des cycles comme celui-là (je te trompe/tu me quittes/ je m’excuse / tu me reprends), on en a eu, je sais même plus combien, en trois ans.
Je l’aimais. Et il m’aimait, ça, je le savais. Alors je le croyais. Et j’aurais fait n’importe quoi pour retrouver le bonheur des débuts. Il a été là, ce bonheur. Il est quelque part, je le sens. Enfoui sous plein de trucs, mais je sais que ça peut revenir. Là où ça se complique, c’est que, sur une de ces retrouvailles (où il est toujours aussi fantastique) je suis tombée enceinte. Je l’ai appris il y a trois semaines. D’abord, il a vu rouge : on était dans un bar, il est sorti en trombe, est revenu avec un test de grossesse, qu’il m’a forcé à faire sous ses yeux, dans les toilettes du café. Je me suis exécutée, et je suis partie en larmes. Deux heures après, il était chez moi, en larmes aussi, et il me disait qu’on allait l’élever ensemble, ce bébé. Le lendemain, il disparaissait. Trois jours plus tard, il était de nouveau là. Mais, de nouveau, il m’avait trompé. J’ai mis ça sous le coup du choc provoqué par ma grossesse, et je lui ai conseillé d’aller quelques jours se mettre au vert, pour prendre le temps de réfléchir à ce qu’il veut vraiment. C’est ce qu’il a fait – il est chez sa mère, là. Et moi, j’en profite pour réfléchir aussi. Et pour vous écrire. En fait, ce que je veux comprendre, c’est : à votre avis, est-ce qu’il est sincère quand il me dit qu’il veut que je garde l’enfant ? Est-ce qu’il est plus lui quand il me trompe ou quand il me dit qu’il m’aime ? Et si vous avez une baguette magique pour faire revenir le Nico du début, je prends… » – Clara, 31 ans.
« Chère Clara,
Au risque de vous décevoir, je n’ai pas de baguette magique. Et au risque de vous piquer un peu, ce qu’il est, lui, je m’en contrecarre un peu. Parce que des Nico, il y en a, dans nos vies, et au doigt mouillé, autant que des punaises de lit – ils sont aussi nuisibles, d’ailleurs… Au départ, ils sont fascinants. Et encore plus charmants que tous les princes des contes de fées dont on nous a gavées quand on était petites : intelligents, drôles, pleins de vies, de projets, de rêves, et tant pis si, dans la réalité, la plupart de ceux-là ne se concrétisent jamais. Aveuglées par les paillettes, nous ne nous en apercevons même pas.
Vous vous souvenez du temps, pas si lointain, où tout était merveilleux entre vous
Et puis, ils nous ont choisies, nous, petit asticot de caniveau, alors, vous vous rendez-compte ? Personne ne résiste longtemps à l’envie d’être l’élue. Moins encore si, en plus, on est celle qu’il a choisie pour nous montrer ses failles, à nous, et à personne d’autre. En fait, il est fragile. En fait, il a souffert. Et nous, c’est fou, on lui fait tellement de bien… La corde de l’infirmière/nounou/saint-bernard s’est mise à vibrer en nous, à qui, dès les premiers mois de vie, on a mis un poupon dans les bras : notre rapport au monde, quoiqu’on en dise, est celui du soin, de l’écoute et de l’empathie. Tous les Nicos du monde le savent. Et vous, vous êtes foutue. Ferrée. Accrochée. Aimantée. C’est bien, à partir de là, il peut vous montrer sa Face B : vous mentir, vous tromper, vous planter. Il est fragile, vous vous souvenez ? Alors, vous comprenez. Vous vous souvenez surtout du temps, pas si lointain, où tout était merveilleux entre vous… Alors, vous ferez tout pour qu’il revienne.
Oui, c’est à vous de le faire. Parce que c’est votre faute si aujourd’hui, entre vous, c’est rêche – il vous le répète assez souvent pour que vous en soyez convaincue. Plus les semaines passeront, et plus vous encaisserez. Plus vous serez fragilisée, moins vous trouverez la force de partir. Pourtant, Clara, c’est la seule chose à faire, avec ce genre d’individu. Et au plus vite. Il ne changera pas. Vous ne le changerez pas. La magie des débuts n’était là que pour vous faire connaître la suite.
Voilà pour Nico. C’est vous, Clara, qui m’intéressez. Vous qui appelez « amour » une relation dans laquelle il y a, surtout, beaucoup de souffrance… Qui vous a dit que c’était ça, l’amour ? Comment pouvez-vous continuer à aimer quelqu’un qui vous ment, vous trompe, vous humilie, et vous force à faire un test de grossesse aux toilettes ? À quel moment avez-vous pu penser qu’un galérien fuyard et alcoolique pourrait faire un bon père ? Je ne vous juge pas, Clara. C’est une vraie question. Je me demande, au fond, pourquoi le simple fait qu’on s’intéresse à vous, vous rende prête à endurer de tels mauvais traitements. La réponse est en vous, Clara. Mais tout au fond de vous. Il vous faut absolument de l’aide pour casser ces schémas qui vous entravent. Vous avez déjà vécu une histoire similaire. N’attendez pas d’en vivre une troisième. Vous méritez mieux, beaucoup mieux ».
