Santé

La flemme est l’avenir de l’Homme : éloge de la paresse

Vous connaissez le pickleball, ce nouveau sport à mi-chemin entre le ping-pong et le tennis qui est en train de détrôner le tennis aux États-Unis ? On n’a jamais vu une pratique sportive se développer avec une telle rapidité. La cause ? « C’est facile, pas fatigant, et ça ne demande pas un long apprentissage… » avoue Julia, 34 ans, adepte de la baballe en plastique jaune. Cette anecdote apparemment anodine illustre une tendance de fond dans les sociétés occidentales : nous voulons faire de  moins en moins d’efforts, fatigués, épuisés, démotivés… « Flemme ! », comme le répètent les ados à longueur de journée.

Ce syndrome du poil dans la main concernerait particulièrement la France. « Dans l’Hexagone, une épidémie de flemme touche l’ensemble des catégories sociales », explique le sondeur Jérémie Peltier, codirecteur de la Fondation Jean-Jaurès, dans une étude très sérieuse* parue l’an passé. Vous voulez des exemples ? Outre le « quiet quitting » en entreprise  (la « démission silencieuse », le fait de lever le pied au travail), il y a bien sûr le boom de la livraison à domicile (Amazon, Deliveroo, Uber Eats, avec son fameux slogan : « Adoptez l’art d’en faire moins ! »).

Nous ne sommes plus dans la performance, mais dans la « pépère-formance 

On pourrait aussi évoquer le « snacking content » et ceux qui s’informent en regardant de courtes vidéos « parce qu’ils n’ont plus la force mentale de lire un texte », dixit le community manager d’un grand journal du soir. Ou ces influenceurs YouTube qui font la promotion de l’argent facile.  Du côté des ados, on a vu récemment sur TikTok l’explosion du phénomène « bed rotting » (« pourrir au lit »), sympathique attitude qui consiste à buller dans ses draps,  et aussi le « quiet life », qui glorifie sur les réseaux sociaux des activités de paisible retraité (promener le chien, jardiner, regarder les nuages, décorer des pots de yaourt…). Ah, tout le monde n’a pas l’énergie maniaque d’un Elon Musk !

Même les essais philosophiques qui sortent ces jours-ci justifient la mollassonne attitude. « Super faible », de Laurent de Sutter (éd. Climats), explique que pendant des décennies, nous avons voulu être super forts, super efficaces, mais que nous sommes épuisés, dans une impasse, et qu’il faut accueillir la faiblesse en nous, sur le modèle des sagesses orientales. Et « La Survie des médiocres » (quel titre encourageant !), de Daniel Milo (éd. Gallimard), en librairie le 30 novembre, démontre que, non, la compétition, cette « vertu » du capitalisme, n’est pas la seule force motrice dans la société, mais « qu’il y a une place dans le monde humain pour l’ennuyeux et l’oisif ». Bref, nous ne sommes plus dans la performance, mais dans la « pépère-formance » (à moins que ce ne soit la « mémère-itocratie »…). Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Et est-ce grave, docteur ?

« Il existe un nouveau mode de vie, très sédentaire, replié sur la maison, constate Jérémie Peltier. Et cette attitude fait que l’on perd en énergie, en dynamisme, en capacité à faire face aux aléas du quotidien. » C’est bien connu : moins on en fait, moins on a envie d’en faire. Allongés sur notre canapé, smartphone et télécommande à portée de main, repas Deliveroo posé sur la table basse, habillés en « homewear », tétanisés par le spectacle de l’info, nous n’arrivons plus à lever nos fesses pour aller à la salle de sport ou dans une salle de cinéma… « Ce comportement existait déjà avant le Covid, mais il a été décuplé par le confinement, rappelle Alexandra Jubé, fondatrice du bureau de tendances du même nom. Et en même temps est apparue toute une série de services et d’innovations techniques qui ont encouragé ce repli sur soi : plateformes de streaming, applis de livraison à domicile ou de vidéoconférence. »

Un contexte qui change les règles

Le Covid nous aurait-il littéralement coupé les ailes ? Un phénomène dont on ne se rend pas toujours bien compte, nous qui croyons naïvement avoir repris le cours normal de nos vies, alors que nous serions encore en plein traumatisme post-Covid. « Le confinement a fait disparaître des habitudes, des façons de vivre, poursuit Alexandra Jubé. Toute une génération de jeunes n’a pas eu l’occasion de faire la fête et ne s’y est jamais vraiment mise. Et ceux qui sortaient ne la font plus beaucoup… » Ainsi, selon une étude américaine de février 2022, réalisée par Study Finds, « 71 % des sondés espèrent que leur soirée va s’annuler » ! Ne leur jetez pas la pierre. Qui d’entre nous ne s’est pas réjoui parce qu’une copine venait d’appeler pour annuler un dîner en raison d’un mauvais rhume ? Un refus d’obstacle devant les possibilités de s’amuser qui a été bien analysé par Jérémie Peltier dans son livre « La fête est finie ? », paru en 2021 (Éditions de l’Observatoire).

Il faut dire que le monde extérieur n’est guère riant. « Depuis cinq ans, les crises à répétition, des gilets jaunes aux émeutes de juin dernier, en passant par la crise écologique, la guerre en Ukraine ou le conflit israélo-palestinien, ont affecté profondément les individus, note Jérémie Peltier. Il y a aujourd’hui une peur de l’extérieur, de l’espace public, de l’autre, du “hors chez soi”. Tout cela nous rend encore plus sédentaires et porte atteinte à notre vitalité. » Aïe. Vous n’en pouvez plus de cet article ? Vous avez envie d’aller vous coucher ? Attendez, ne partez pas. Nous avons aussi quelques bonnes nouvelles pour vous.

La flemme, c’est la vie 

La démotivation généralisée qui nous touche peut aussi être vue comme un mouvement de survie, une saine réaction. « Les gens ne me semblent pas avoir la flemme, explique la psychologue clinicienne Jeanne Siaud-Facchin, autrice de “La Guérison émotionnelle” (éd. Odile Jacob). Ils ont plutôt besoin de se mettre entre parenthèses, de s’abstraire du monde. C’est normal. Aujourd’hui, nous devons faire face à des injonctions permanentes dans tous les domaines : être un professionnel performant, un parent exemplaire, un citoyen engagé pour la planète, un individu heureux, épanoui, qui fait du sport, du yoga et prend soin de lui… C’est épuisant. Nous multiplions sans fin les “ to do lists”. Logique que les gens jettent l’éponge. En plus, avec l’incroyable essor du développement personnel et du “self care”, ces injonctions sont souvent contradictoires. On nous dit de faire une salutation au soleil, mais aussi d’adorer la lune, de s’engager à fond dans notre job, mais aussi de lever le pied, d’être autoritaire avec ses enfants, mais aussi d’être positif et bienveillant… Ça laisse les gens dingues et déboussolés. »

Et, last but not least, il y a nos téléphones portables. Ces petites machines diaboliques, greffées à nos mains, collées à nos yeux, cousues dans nos poches nous ont rendus complètement addicts (les Français passent en moyenne quatre heures par jour dessus, selon une étude Data.ai de 2022, et nous regarderions notre smartphone près de 221 fois par jour selon une étude de la société britannique Tecmark). Notifications, messages, groupes WhatsApp, infos, réseaux sociaux, vidéos… « Avec les écrans, il y a mille sources sur lesquelles fixer notre attention en une journée !, s’alarme Jeanne Siaud-Facchin. C’est délirant. Notre cerveau est en état de saturation cognitive, d’overdose attentionnelle. Il n’en peut plus, il a besoin de se mettre en mode reset, de rêvasser, de divaguer. C’est comme ça qu’il peut se régénérer… » En cette période de vacances de la Toussaint, ne vous inquiétez donc pas. Si vous constatez chez vous une tendance à la flemme, une propension au rien foutre, une envie tenace d’enfiler vos charentaises, c’est normal. Ce n’est pas que vous soyez feignants et incapables d’efforts. Vous êtes juste en train d’essayer de survivre. La flemme, c’est la vie !

* « Les Français, l’effort et la fatigue », étude menée par l’Ifop et la Fondation Jean-Jaurès (septembre 2022).

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