Santé

Allô Giulia : « Ma mère a toujours préféré ma soeur »

« Chère Giulia

Ma mère a toujours préféré ma sœur aînée, Laurence. Quand on était petites, et qu’on faisait des conneries, c’était moi qui prenais, tout le temps. Alors oui, j’étais toujours celle qui lançait l’idée, mais elle embrayait hyper facilement. Sauf que dans les familles, on a des rôles, des places, et qu’on en sort rarement : pour tout le monde, Laurence, c’était la discrète, la timide, la fragile. Et moi, la forte tête et la tête de mule – « oh, elle, elle ira loin / elle sait ce qu’elle veut / on ne s’en fait pas pour elle », etc, voilà ce qu’on disait de moi. Et c’est cool d’être la costaud, c’est assez valorisant, c’est vrai. En même temps, on se préoccupe rarement de vous.

Mes besoins à moi, ils sont loin d’avoir été comblés

Ben oui, vu que vous êtes costaud, vous gérez ! Ma sœur, elle, avait un peu de mal… Avec tout, en fait. L’école, les copines, et plus tard, ses amoureux – tous des nazes, lui en ont fait voir de toutes les couleurs. Avec les années, ça ne s’est pas vraiment arrangé. Alors que moi, j’ai tracé. Et franchement, je me suis fait une belle vie. Du coup, ça peut paraître idiot de me plaindre, mais depuis qu’on est devenues mères, Laurence et moi, à vivre, cette différence, c’est encore plus douloureux. Parce que ma mère reproduit EXACTEMENT le même schéma. Pour les enfants de ma sœur, elle est toujours là, toujours prête, toujours disponible. Pour les miens, nettement moins. Elle a constamment un truc à faire, toujours une urgence à boucler… Mon mec pense que c’est parce que je l’impressionne. Et que je fais tout pour ne pas avoir besoin d’elle, alors forcément… Mais j’ai besoin d’elle !

J’en ai toujours eu besoin. Autant que ma sœur, sauf que, mes besoins à moi, ils sont loin d’avoir été comblés. En fait, c’est fou, mais c’est comme si j’avais manqué de mère. Alors qu’elle était là. Mais moins qu’avec ma sœur – vous voyez comme je suis en boucle ? Je devrais m’en foutre, je suis une grande fille. Je devrais ne pas compter, ces choses-là, ça ne se calcule pas. Mais je n’y arrive pas. Et plus le temps passe, plus les réunions familiales me collent la boule au ventre. Je devrais en parler à ma mère, vous croyez ? J’ai tellement peur d’être ridicule… » – Béa, 46 ans.

« Chère Béa,

Bien sûr que vous pouvez en parler à votre mère ! Me demander, à moi, ce que je pense des vertus du dialogue, c’est un peu comme demander à un coach sportif ce qu’il pense du cardio : ça ne peut jamais faire de mal. À condition de le faire sur le bon tempo. Et le jour où vous serez prête à lui parler, vous le ferez, naturellement, sans cette boule qui coince les mots dans votre gorge – et risquerait de les faire tous sortir d’un coup, dans un bordel qui n’aurait rien de franchement joyeux. En attendant ce doux moment où vous aurez avalé Bouddha en gélules, commencez par vous souvenir que vous n’êtes pas une paire de pompes : on ne préfère pas un enfant comme on s’abonne aux derbies, parce que ça nous va tellement bien.

Les rôles assignés à notre naissance peuvent évoluer

En revanche, bien sûr, on peut avoir un lien avec l’un d’entre eux, qui peut sembler, aux autres, plus évident, plus fluide, plus complice. Ça tient, en surface, à des affinités de caractère… Qui ne disent strictement rien de l’amour qu’on se porte. Au contraire : j’ai tendance à penser que qui s’aime bien, s’engueule bien. Question de dosage, évidemment, de fréquence des conflits, de violence des propos – mais je ne crois pas que vous en soyez là avec votre mère. Pour la faire courte : on n’a pas peur de se parler vrai quand on sait le lien fort. Ou l’autre, fort. Or n’importe quel parent classiquement constitué aura tendance à prendre le plus fragile sous son aile… Quitte à le priver de la possibilité de s’envoler.

Vos places, à votre sœur et vous, sont très différentes, comme elles le sont toujours pour chaque membre d’une fratrie. Mais la vôtre, Béa, n’est pas la moins enviable, loin de là : votre mère vous a laissé l’espace pour grandir, pour être qui vous êtes, et vous faire une belle vie. Tant et si bien d’ailleurs qu’elle pense sans doute, oui, ne rien pouvoir vous apporter de particulier – d’où l’intérêt de discuter de ces choses-là, pour dégommer les malentendus. C’est possible, Béa. Les rôles assignés à notre naissance peuvent évoluer. Parce que la vie avance, et parce qu’on bouge. Rien n’est jamais figé. En même temps, je crois profondément que tous nos « moi » se superposent, et que la petite fille que vous étiez est toujours là, dans un coin de votre tête. C’est avec elle, d’abord, que vous devriez dialoguer.

Du haut de votre vie de femme, de votre vie de mère, peut-être que c’est elle qu’il faut observer : pourquoi, au fond, avait-elle tant de mal à montrer ses fragilités ? À qui voulait-elle ressembler ? Qui voulait-elle épater ? Pourquoi était-ce si difficile de demander de l’aide ? Apprenez à le faire, Béa, il n’est jamais trop tard. Les rapports entre les êtres sont rarement unilatéraux. Et toutes les familles reposent sur un subtil équilibre : faites un pas de côté, changez, un peu, de place, occupez l’espace autrement, et vous verrez, votre mère et votre sœur suivront un jour le mouvement. Sauf si vous voulez continuer à jouer les costauds, bien sûr… »

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