Santé

C’est mon histoire : « Il m’a larguée par podcast »

Sympa et inoffensif                                         

« J’ai eu très envie de te serrer dans tous les sens du terme. » C’est en recevant ce SMS, après notre premier date, que j’ai su qu’une relation commençait. Damien venait de sortir de chez moi, un petit matin givré de décembre, des miettes de croissant accrochées à la barbe. Quinze jours plus tôt, c’est une photo de cette même barbe, mais piquée de fleurs, qui m’avait fait swiper à droite sur l’écran de mon téléphone. Il avait l’air sympa, allongé sur le gazon avec ses grands yeux clairs, ses lunettes trop sévères et sa mise en scène kitsch. Inoffensif, même. Sympa et inoffensif, ça tombait bien, c’est pile ce que je cherchais. Après vingt ans de relation, je venais de me séparer du père de mes enfants et m’étais inscrite sur une appli de rencontre pour la première fois de ma vie. Tinder, WhatsApp, resto, dodo. Ce nouveau monde de la séduction dont je ne connaissais pas les codes me faisait l’effet d’une jungle. Damien avait l’air différent. Sur son profil, aucune photo torse nu en contre-jour, pas non plus de saut en parachute, et l’expression « cherche relation sans prise de tête » n’apparaissait nulle part. Pour tout dire, je ne le trouvais pas très joli garçon, mais tout chez lui m’inspirait de la sympathie. Il me faisait l’effet d’un nounours. Idéal pour me tenir chaud à l’entrée de l’hiver.               

Nous avions commencé à discuter, c’était fluide, drôle et délicat. Entre deux confidences, de plus en plus intimes, nous nous envoyions des photos. Lui avec son chat sur l’épaule. Moi face aux vitrines des grands magasins décorées pour les fêtes. Lui avec ses copains autour d’un vin chaud… Plus je le trouvais quelconque, plus j’étais en confiance. Il n’y avait que sa voix – profonde – sur les nombreux vocaux qu’il m’envoyait qui me troublait un peu. Très vite la conversation a tourné autour des applis. Il y était depuis neuf ans. Cela aurait pu me mettre la puce à l’oreille… Fort de son expérience, il me conseillait pour les dates que j’avais alors avec d’autres hommes. Décryptant les techniques d’approche typiques de ce qu’il appelait « la masculinité toxique ». Pour parfaire son rôle de guide, il m’envoyait des liens vers les épisodes d’un podcast dans lequel il se confiait au micro d’une journaliste féministe. Son rapport à la solitude, sa quête de tendresse, ses meilleurs rendez-vous, ses déceptions, le rôle d’allié qu’il s’efforçait de jouer auprès des femmes… Chaque épisode durait une heure. La chaleur de sa voix m’incitait à poursuivre l’écoute jusqu’au bout. J’aimais sa manière d’être en phase avec ses émotions. En dehors de ce podcast, il était d’une grande discrétion sur sa vie personnelle. Suivant les conseils de mes amies, j’avais tapé son nom dans Google. Le moteur de recherche n’avait renvoyé aucun résultat. J’avais trouvé ça pour le moins intrigant, mais j’ai plutôt apprécié ce que j’avais alors pris pour un choix de vie.

Je ne touchais plus terre                                             

Les messages devenaient fleuves, on ne se lâchait plus, partageant nos petites joies quotidiennes, nos vraies ou fausses colères, et même nos insomnies. C’est comme ça qu’un dimanche, une semaine avant Noël, fatiguée de taper la dixième blague idiote de ce petit matin, j’ai fini par lui lancer : « Viens chez moi avec des croissants, ça nous reposera les pouces. » Il était 6 heures. Il a sauté dans sa voiture. Je ne m’attendais à rien de spécial, malgré l’heure saugrenue de ce premier rendez-vous. Quand j’ai vu son mètre quatre-vingt-dix s’encadrer dans ma porte, un sachet de viennoiseries à la main, mon cœur a manqué un battement. Comment deviner que ses photos mal cadrées dissimulaient une allure de Viking ? Face à cet « homme déconstruit », des idées incorrectes me sont venues. Nous avons discuté, ri, bu trop de café. À part un effleurement du tatouage que j’ai dans le creux de la nuque, rien. Il avait confié dans l’un des podcasts que c’était l’une de ses techniques de séduction habituelles. Bateau, me direz-vous, mais je ne pouvais plus douter que je lui plaisais. À la seconde où j’allais passer aux choses sérieuses, il s’est enfui dans un « J’ai envie que l’on prenne notre temps »… Je ne touchais plus terre. J’en parlais à toutes mes copines. Elles étaient perplexes. « Il t’a vraiment dit qu’il voulait te serrer ? Te baiser, très bien. Te serrer dans ses bras, admettons. Mais encore ? Te serrer pour te faire mal ? » me disait l’une. « Ça fait pas un peu punchline réchauffée son truc ? » Toute à mes papillons, je ne les écoutais pas. J’allais fêter mes 40 ans, mon cœur, lui, en avait de nouveau 14.   

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Nous nous sommes revus une fois, puis deux. Les papillons tenaient leur promesse. Le Viking aussi. Au lit, je me livrais sans réserve à sa brutalité, mise en confiance par les mots que je l’avais entendu prononcer dans le podcast. Et j’aimais ça. De ses envois, il s’était arrêté à l’épisode 4. Laissant planer un mystère sur le cinquième et dernier, dont il disait qu’il était le plus intime, qu’il me l’enverrait quand il se sentirait prêt, quand on se connaîtrait assez. Le connaître mieux, je ne demandais que ça. Mais j’étais à l’écoute de ses ressentis. Il savait si bien les formuler. Naïvement, sans doute, j’avais décidé de savourer sans me poser de questions. Je lui faisais confiance. Le deuxième soir, nous avions joué avec l’idée de partir en weekend après les fêtes, pour nous remettre de nos marathons familiaux respectifs. Il était question de bord de mer, d’un trampoline et de confidences sans tabou. Une plaisanterie qui ressemblait à un peut-être. Au réveil, sérieux d’un coup, il m’avait dit de cette voix qui me rendait chose : « Je vais t’envoyer le dernier épisode, tu l’écoutes attentivement et on en reparle. »

Pourquoi me faire écouter ce podcast ?                                             

Le lendemain, j’ai reçu le lien vers le podcast. Par mail, c’était inhabituel. Un peu formel. J’ai attendu d’être rentrée chez moi. J’ai enlevé mes chaussures, enfilé mon pantalon d’intérieur, me suis glissée sous un plaid avec un grand bol de soupe et j’ai lancé l’enregistrement. Émue de la confiance qu’il me faisait, je voulais faire les choses bien. Une heure plus tard, j’étais un peu déçue. Il racontait sa dernière relation longue. Une histoire assez banale. Il s’était épris d’une femme poly-amoureuse qui avait pourtant affiché son choix dès le départ, et il s’était senti trahi quand il n’avait pas réussi à la faire changer d’avis. Malgré sa voix profonde, l’heure passée à l’écouter m’a semblé interminable. Il ne parlait que de lui. Cette facilité à s’épancher était soudain moins séduisante. En quoi tout cela me concernait-il ? Mais les papillons étaient encore là. J’avais envie d’y croire.             

Pourquoi m’avait-il fait écouter ce podcast ? Exiger une heure du temps des autres c’est beaucoup. Qu’attendait-il de moi ? Je l’ai appelé sans attendre pour mettre les choses au clair. « Tu veux me dire que tu es encore amoureux de ton ex ? Ou que tu veux que l’on soit exclusifs ? Je ne comprends pas. » Il n’a pas répondu. Ses propos sont devenus nébuleux. Il ne savait plus si bien que ça formuler ses ressentis. Alors il m’a laissée tirer seule la conclusion : il n’avait pas envie d’une vraie histoire. Aucune de mes copines n’est tombée des nues. Aucune, heureusement, ne m’a gratifiée d’un « je t’avais prévenue ». Elles m’ont expliqué la dernière catégorie de masculinité toxique. Celle dont Damien s’était bien gardé de me parler : le pseudo-féministe. « Quand tu vois le mot “féministe” sur un profil, il faut swiper à gauche. C’est toujours du toc. Tu le sauras pour la prochaine fois ! » Mais, grâce à lui, j’ai découvert que mon cœur était capable de battre encore, et, moi, je suis devenue imbattable. Jusqu’à la prochaine fois.

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