Santé

Charge mentale de Noël : « Le cadeau c’est un geste de contrôle autant que d’amour »

« L’étau se resserre », avoue-t-elle en grimaçant, lorsqu’on l’appelle début décembre. Gabrielle est entrée dans la zone rouge, celle qu’elle redoute par-dessus tout chaque année. Il y a un moment idéal pour avouer tout haut qu’on déteste les cadeaux et c’est maintenant, à quelques encablures de Noël. Mais la hantise des présents accompagne cette blonde taiseuse 365 jours par an. « J’appartiens à une famille nombreuse, mon mari aussi, et chez nous, chaque fête est célébrée au grand complet, y compris Pâques avec cadeau pour tout le monde, ce qui me semble complètement daté en 2023, de même que tous les anniversaires évidemment. Plus le temps passe, plus on est nombreux, entre les enfants, beaux-parents, grands-parents, cousins et +1. Et plus les cadeaux s’entassent quand ils ne tapent pas à côté. Financièrement et mentalement, c’est devenu irrespirable. » 

À LIRE ÉGALEMENT >>  Cadeaux, déco, repas… Quand la charge mentale des fêtes de Noël plombe les femmes

DE L’ABONDANCE AU MALAISE

À Noël dernier, le mari de Gabrielle oubliait dans son garage pendant un mois les cadeaux qu’il avait reçus. Tandis que son épouse, elle, se demandait où entasser une énième cargaison de linge de maison. « Je suis tout sauf une fée du logis. Alors je me demande ce que je suis censée comprendre : soit on persiste à très mal me connaître et ça m’attriste. Soit on ne me connaît que trop bien et on cherche à me remettre dans le droit chemin. Ce qui m’attriste aussi. Pour moi, autant qu’un geste d’amour le cadeau est un espace d’incompréhension et de contrôle. Notamment tous ceux qui impliquent des soins, genre une plante, et donc de penser régulièrement à la personne qui vous les a offerts. Je trouve ça assez contrôlant, oui. »

Tout de suite elle module, se désole de ce constat. « Je sais à quel point c’est indécent de confier des trucs pareils, quand on a la chance d’être choyée. Mais justement, c’est bien une question d’indécence. Je m’étais juré que mes garçons ne déchireraient pas hystériquement un paquet après l’autre et je les vois prendre exactement ce chemin tellement ils sont submergés. Quant à moi j’ai 39 ans et passé l’âge de m’encombrer, même si j’ai le privilège de pouvoir m’offrir une grande maison. Tout arrive comme si le déluge de cadeaux était forcément indexé au niveau de vie, alors que non. Je dirais même l’inverse : plus on a une situation confortable, moins ça a de sens et d’impact, cette abondance. » 

Articles similaires

TRAHIR LES VALEURS FAMILIALES

Ce n’est pas faute d’avoir essayé d’y mettre le holà. Mais Gabrielle l’assure : toutes ses tentatives de dialogue ont échoué. « J’ai tout essayé. Les suppliques pour privilégier les cadeaux immatériels ou faire un « Secret Santa », un tirage au sort avec un paquet par personne, pas plus. Il y a tellement de gens autour de moi qui le font, sont ravis de le faire, ça rentre dans les mœurs, ça arrangerait tout le monde, y compris mon frère ou mon beau-père qui ne roulent pas sur l’or. Mais rien à faire, les deux fois où j’en ai parlé, j’ai scandalisé tout le monde. Chez nous, on se voit, on se gâte, c’est comme ça. Vouloir faire autrement, c’est manquer d’amour, c’est trahir les valeurs familiales. » 

Des valeurs avec lesquelles Gabrielle se souvient d’avoir grandi émerveillée. « Forcément, quand j’étais petite, cette féérie des paquets m’enchantait, tout me faisait plaisir et je n’avais pas conscience de l’effort et de l’enjeu qu’il y avait derrière : l’idée que la vie est dure, et qu’on se serre les coudes en saisissant chaque occasion de festoyer. J’ai repris le flambeau innocemment quand j’ai commencé à gagner ma vie, à coup de tableaux Excel pour lister mes repérages, ne pas offrir le même genre de truc à la même personne d’une année sur l’autre. À la Toussaint, les courses de Noël étaient pliées. C’était presque un challenge agréable. » 

ENVIE DE FAIRE MOUCHE

Une logistique qu’elle a vu s’effriter en devenant elle-même mère de famille, tante, bru, marraine et parent d’élève. « Si vous y ajoutez la fête des mères, pères, grands-mères et grands-parents, plus un mois ne passe sans un cadeau à faire, y compris ceux des copains de classe pour nos fils, mais aussi des maîtresses, des ATSEM, du centre aéré… Avec un budget pour chacun divisé d’autant, ce qui m’a déjà valu quelques moments de solitude, comme mon aîné lâchant devant son copain « on t’a pas pris le marteau de Thor parce que c’était trop cher » ou de constater qu’on a budgétisé trop bas par rapport aux autres parents. » 

Le budget plafonné, c’est à la fois une bénédiction et une malédiction pour Gabrielle. « D’un côté, ça évite de s’éparpiller. De l’autre, ça peut vous obliger à multiplier les petits cadeaux pour que l’impression de « gâter » la personne y soit, et alors là c’est foutu. Moi passé un certain stade, je ne suis humainement plus capable de faire des choix éclairés, surtout à Noël quand il faut statuer sur plein de monde à la fois. » Une fatigue décisionnelle qui vient gâcher un peu plus la période des fêtes, car Gabrielle l’admet, elle a sa « fierté » et ne se voit pas offrir n’importe quoi : « j’ai quand même envie de faire mouche et c’est aussi ça qui me perd. »  

STRESS ET PROCRASTINATION

Au final, ce mélange d’exigence et de déplaisir d’offrir a également contaminé celui de recevoir. « Je sais, c’est absurde. J’ai un mari et des copines formidables qui savent comment me gâter. Mais leurs cadeaux me gênent quand même, parce que je me sens tout de suite redevable. Et que l’angoisse de ne pas leur rendre la pareille, de faire le mauvais choix faute de temps, d’énergie et d’argent, me rattrape. Résultat : plus je vieillis plus j’oublie les dates de naissance. Comme par hasard ! Comme si mon cerveau faisait un black-out pour ne pas avoir à affronter le sujet. Le geste-même du cadeau est devenu laborieux pour moi, je m’y prends de plus en plus tard, de plus en plus stressée. Un comble, pour quelqu’un qui a fait une école de commerce, non ? Je devrais avoir la bosse du shopping », sourit-elle, avant d’ouvrir son agenda, brutalement. « Il faut aussi que je sanctuarise la demi-journée pour emballer les cadeaux de Noël dans mon retroplanning. L’année dernière, j’ai fini les paquets à la dernière minute, le dos en compote, et je n’avais qu’une envie, filer chez l’ostéo. Et pourtant je ne suis pas du genre à faire de super paquets écolo qui prennent un temps fou. »

À quand un Noël en petit comité, pour éviter cette débauche de temps, d’énergie, et de moyens ? « Oh on a déjà essayé, on est partis aux Canaries pour les fêtes de fin d’année. Ça nous a évité le jour J mais pas les cadeaux en soi, puisqu’il nous a fallu caler des festivités à notre retour, à la demande générale, soupire Gabrielle. On n’y échappe pas. À part en affirmant haut et fort qu’on n’en peut plus, qu’on n’en veut plus. Et croyez-moi si vous voulez mais à bientôt 40 ans, je ne m’en sens pas encore capable. Pour mes 50 ans peut-être ? »

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page