Santé

Comment (bien) se disputer devant les enfants

« Auparavant je culpabilisais, je me disais qu’il n’y avait rien de pire que de se disputer devant les enfants. Et puis, j’ai fini par accepter que ma colère s’exprime. » Laura a 34 ans, elle est maman de quatre enfants dont des jumeaux de 20 mois. Les brouilles avec son conjoint, souvent en présence des petits témoins, c’est son quotidien, comme celui de beaucoup de parents. Lorsqu’on emménage avec une personne et qu’on fonde un foyer, on ne le sait pas encore, mais il y aura inévitablement des moments de frictions, et plus la fatigue augmente, plus la charge s’accumule sur le couple, plus il y a d’enfants, plus ces moments seront fréquents et susceptibles de déraper. « Mes enfants sont passés par une période très conflictuelle quand ils avaient deux et huit ans, poursuit Laura. C’est là que je me suis dit que j’allais me servir de notre exemple, dans notre couple, pour leur expliquer qu’on peut se disputer, se réconcilier et toujours s’aimer très fort. J’essaie de leur montrer que ce n’est pas facile de vivre en groupe. » 

Le conflit fait partie de la vie, il est même présent à l’intérieur de nous, pas étonnant qu’il s’exprime au sein du foyer familial. Les facteurs de stress sont si nombreux : selon une étude menée par Care.com au Royaume-Uni, un parent se dispute en moyenne huit fois par mois avec le co-parent au sujet de l’éducation des enfants, c’est considérable. En cas de conflit, l’écueil est de vouloir tout maîtriser, jouer la comédie de la famille parfaite et mettre les rancœurs sous le tapis. “Vous ne rendez pas service à votre enfant si vous le faites grandir dans une bulle complètement stérilisée, sans affect, totalement lisse, met en garde Marie-Estelle Dupont, psychologue et autrice de plusieurs livres*. Il risque d’être totalement désarmé le jour où il y aura un conflit dans sa classe, dans sa vie d’adulte ou de couple, il sera incapable de le gérer. »

Le respect est compatible avec le désaccord  

Les désaccords sont sains et peuvent se révéler constructifs et enrichissants, lorsque les discussions sont menées dans le respect de chacun et permettent de résoudre in fine certains problèmes. Une étude de l’Université de Washington (États-Unis) publiée en 2018, a montré que les enfants qui assistaient à des conflits sains, du début à la fin,  étaient plus enclins à exprimer leurs émotions et à s’apaiser tout seuls.   

En revanche, lorsque la querelle vire à la confrontation, que le ton devient agressif, irrespectueux, les enfants qui en sont témoins risquent d’en pâtir, d’autant plus si c’est répétitif. Il est fondamental de faire comprendre à l’enfant la différence entre la personne et le point de vue, comme le détaille la psychologue « Je ne suis pas du tout d’accord avec le point de vue de ta mère ou le point de vue de ton père, mais je ne me laisse pas aller à la violence verbale, je ne rabaisse pas, je ne disqualifie pas. Vous critiquez l’acte de l’autre parent, mais vous n’avez pas l’intention de le blesser. » 

Néanmoins, après une journée infernale, il arrive qu’un conflit flambe autour de la table et que vous n’arriviez pas à refouler vos émotions. Que faire lorsque le contrôle émotionnel fait défaut et que l’on sort du cadre du respect ? Demander pardon. « Si on a la capacité de montrer à ses enfants qu’on peut demander pardon d’avoir blessé, y compris quand on ne sait pas du tout pourquoi on a blessé, alors on a tout gagné », ajoute Marie-Estelle Dupont. Dans la mesure du possible, il est conseillé de faire un pas de côté et de revenir sur la dispute qui a dégénéré, avec les enfants, au cours d’une discussion posée. Le fait de pouvoir leur expliquer que le conflit est propre à l’existence et que par moment, il s’exprime de manière maladroite aussi chez les adultes, est extrêmement rassurant pour eux. La psychologue propose de formuler les choses de cette manière. « Les mots qui sont sortis ont dépassé nos pensées parce que nous étions exaspérés. Dans un couple, la météo n’est pas au beau fixe tous les jours, il y a des moments où le couple peut se disputer sur des sujets précis, mais aussi simplement parce qu’il y a des tensions à l’extérieur, au travail par exemple, de la fatigue accumulée aussi, autant de facteurs qui font qu’à un moment donné, on craque. »

Celui qui boude punit son partenaire, mais aussi ses enfants 

Certains n’arrivent pas à communiquer et vont se renfermer quand le conflit éclate, puis bouder pendant une période plus ou moins longue. « Avant, il pouvait m’ignorer pendant des heures, il coupait court, empêchait le dialogue, m’imposait ce silence, raconte Laura. C’était extrêmement violent et cela mettait une ambiance pesante dans la maison. » Face à des adultes impassibles qui n’échangent plus que les formules de politesse, les enfants perçoivent rapidement le malaise, sans en comprendre les tenants et les aboutissants, et se retrouvent en quelque sorte otages d’une situation dont ils ne sont pas responsables.« Vous ne pouvez pas vous permettre d’avoir ce comportement, prévient Marie-Estelle Dupont. Les non-dits ne sont pas constructifs, ils n’apprennent rien, au contraire ils marquent les enfants, ce sont des choses qui reviennent sans cesse dans les séances des adultes en thérapie. » Et un enfant qui voit son parent fuir la discussion, se renfrogner, quel message cela lui envoie-t-il sur la façon de communiquer avec autrui ? 

Régler son linge sale en prenant les enfants à partie 

Quand les enfants sont présents et assistent à l’altercation, la tentation est grande de les prendre à partie. « Tu vois je t’avais dit que ton père ne serait pas libre pour assister à ton spectacle de théâtre, il n’est jamais libre de toute manière », c’est le genre de reproche que Mélissa peut adresser à son conjoint qui a un métier très prenant. Et elle regrette souvent aussitôt ses propos quand elle voit  la mine déconfite de sa fille. 

Chez Léa, un événement plutôt festif comme des crêpes peut aussi vite tourner au règlement de compte.« Nous avions fait la pâte avec ma fille et tout à coup mon mari a décidé que c’était lui qui allait faire cuire les crêpes. Je n’ai pas compris, ma fille a insisté pour faire les crêpes avec moi. Il s’est énervé, je pense qu’il s’est senti exclu et il a fini par dire, « tu vois, tes filles, tu les montes contre moi » ». 

Il est utile de rappeler ce point essentiel : la place de l’enfant est d’être un enfant et d’être protégé par ses parents. Il ne doit pas être le témoin passif de disputes qui le mettent en porte à faux. « Il n’est pas l’avocat de son parent, le bras armé de son père ou de sa mère ou encore le psychothérapeute du couple, souligne la psychologue. Lorsqu’il se retrouve triangulé, obligé de défendre un parent, de « soigner » leur couple, il y a une inversion des places et cela peut avoir des conséquences très dommageables sur lui. Et si de son propre chef il veut intervenir, c’est important de le remettre à sa place d’enfant et lui rappeler qu’il s’agit de problèmes d’adultes qui doivent être réglés par des adultes quand bien même il aurait assisté au conflit. Il n’est ni le responsable, ni la solution au conflit. »

L’enfant risque de se sentir coupable

Qu’est-ce que ressent un enfant qui est exposé à un conflit parental qui dérape ? Il est effrayé, inquiet, il a l’impression de perdre ses repères. N’oublions pas que ses deux parents sont ses figures d’attachement principales, les personnes qui lui apportent la sécurité affective et la stabilité dont il a besoin pour grandir sereinement.  

Qu’il soit ou non impliqué dans la dispute, un enfant ou un adolescent d’ailleurs, peut se sentir responsable, se raconter que tout est de sa faute pour trouver une explication et cela peut le plonger dans une profonde culpabilité qui, potentiellement, affecte sa santé mentale. « Dites-lui, répétez-lui qu’il n’est pas la cause de votre différend, martèle la psychologue. Même si vous vous êtes disputés à propos de l’école, de sa tenue, de son bulletin de note, en aucun cas il n’est responsable. Le bulletin de note a été l’objet de la dispute, parce qu’il y a un désaccord plus profond entre vous sur votre vision de la scolarité et il est temps de régler. »

Anticiper les conflits, définir des espaces pour les mises au point 

Certains couples se disputent systématiquement le jour du départ en vacances, d’autres sur les sorties des ados ou encore sur leur temps d’écran. Comme ces moments de conflits se produisent toujours au même moment, cela peut être intéressant de les anticiper en fixant des règles de conduite et en désignant celui qui finira par trancher en cas de désaccords persistants. « Je suis favorable au contrat de ménage, explique Marie-Estelle Dupont. Il y a des choses sur lesquelles  les parents n’arriveront pas à trouver de compromis, parce qu’ils ont eu une éducation, des valeurs différentes. Mieux vaut alors décider de qui aura le dernier mot. » Mais le contrat de ménage, comme le débrief des disputes, ne se discute pas sur un coin de table pendant qu’on prépare le dîner avec un enfant qui nous sollicite pour ses devoirs et un autre qui joue au foot dans le salon. 

La clé pour des conflits apaisés, c’est de pouvoir organiser des espaces pour les mises au point : se prévoir un moment par semaine noté dans l’agenda, indéboulonnable, pour revenir sur ce qui s’est passé, en discuter tranquillement et en tirer des leçons pour l’avenir. Nos schémas familiaux nous marquent et nous les transférons dans notre couple, ce rendez-vous est l’occasion pour vous, en amont, de réfléchir au conflit, qu’est-ce qui vous a marqué dans votre enfance ? Quelle est votre gestion du conflit ? Est-ce que c’est la fuite, l’attaque ou la diversion ? Si malgré ce temps d’échange avec votre partenaire, vous n’arrivez toujours pas à vous parler posément, alors quelques séances avec un thérapeute de couple peuvent se révéler efficaces pour retrouver des outils de communication, vraiment non violents.

* « Être parent en temps de crise », éditions Guy Trédaniel – « Réussir son divorce, » éditions Larousse

 

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