Santé

Cyberviolences au sein des jeunes couples : « c’est un angle mort des violences conjugales »

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« Ceci n’est pas un message d’amour. » Voici le nom de la campagne de sensibilisation lancée par l’association de lutte pour l’égalité et la fin des violences sexistes et sexuelles En avant toute(s), mercredi 13 décembre. Le film réalisé par Edith Chapin et co-écrit avec Morgane Ortin met le doigt sur un angle mort des violences conjugales au sein des jeunes couples : les violences psychologiques et les cyberviolences. L’héroïne principale semble vivre une histoire d’amour passionnée. Mais les SMS que lui envoie son compagnon lèvent progressivement le voile sur une relation d’emprise, qui envahit son quotidien. Une situation malheureusement courante.

Selon une enquête ENVEFF, une jeune sur sept est victime de violences conjugales. Depuis la création de son tchat en 2016 – celui-ci permet de répondre à des jeunes victimes de violences au sein de leur couple – l’association a comptabilisé plus de 19 900 échanges. Généralement, ces personnes sont des jeunes femmes, âgées de 16 à 25 ans. Et les conséquences sont dramatiques. Éclairage avec Louise Delavier, directrice des programmes de l’association.

ELLE. – Pourquoi avez-vous décidé de lancer cette campagne ? 

Louise Delavier. – C’est une campagne extrêmement importante, parce que c’est le cœur de ce que l’on traite à travers notre activité associative et sociale au quotidien, dans l’aide aux victimes. Sur notre tchat, les personnes victimes de violences nous rapportent des insultes, des menaces de diffusion de photos prises ensemble, des textos qui ne s’arrêtent jamais. On avait donc envie de montrer à notre public quelque chose qui lui ressemble. 

C’est aussi un moyen de poursuivre notre action, avec une campagne d’appel aux dons, qui permet à tout le monde de s’engager. D’ailleurs, la plupart de nos donateurs sont des jeunes de moins de 30 ans, qui n’ont pas forcément le plus grand pouvoir économique.

ELLE. – Cela veut dire que les personnes plus âgées n’ont pas forcément conscience de cette forme de violences ?

L.D. – C’est tout à fait possible. Quand on discute de ces problématiques avec des experts plus âgés, ils se rendent compte que cette question de la cyberviolence est un angle mort. Souvent, les professionnels ne pensent pas à demander aux victimes ce qu’il se passe sur le volet numérique, alors qu’aujourd’hui, tout le monde communique par le digital. Quand on pense un phénomène de société, on ne peut pas le penser sans le volet cyber, et en particulier la question des violences conjugales.  

« Chez les jeunes, menacer, insulter, harceler se fait beaucoup plus par le biais des outils numériques »

ELLE. – Comment se manifestent les violences psychologiques et les cyberviolences au sein du couple ? 

L.D. – Il y a plusieurs aspects. Les violences psychologiques visent à affaiblir la personne, pour qu’elle ne soit pas en mesure de riposter, et qu’elle soit plus encline à accepter des comportements de plus en plus contrôlants. Les personnes qui agissent de cette manière-là le font pour obtenir ce qu’elles veulent. Or, les humains ne sont pas censés être contrôlés, chaque personne est libre et capable de faire ce qu’elle souhaite. Dans le cadre des violences psychologiques, il s’agit d’humilier, de rabaisser pour se sentir supérieur à l’autre, de frapper, de violer, de faire en sorte d’exercer une domination. 

Concernant les cyberviolences, chez les jeunes, menacer, insulter, harceler se fait beaucoup plus par le biais des outils numériques. Cela renforce les violences, parce qu’elles ne s’arrêtent plus : les messages peuvent être envoyés toute la soirée, la nuit, le lendemain. C’est très difficile d’y échapper. 

ELLE. – Pourquoi les jeunes femmes sont-elles plus victimes de ce type de violences ?

L.D. – Dans le cadre des violences conjugales, sur notre tchat, les violences psychologiques y sont tout le temps. Souvent, c’est parce qu’il y a eu des violences psychologiques qu’il y a d’autres types de violences – physiques ou sexuelles par exemple. Comme les jeunes femmes sont plus souvent victimes de violences conjugales que les hommes, du fait de la perspective de genre, elles sont aussi plus victimes de violences psychologiques. Et quand on est jeune, on est aussi plus facilement manipulable. Les jeunes filles n’ont pas forcément de repères, elles sont encore en construction. Ce sont des cibles de choix pour les agresseurs qui, d’ailleurs, sont parfois un peu plus âgés qu’elles.

« Plus on est jeune, plus on a tendance à subir des conséquences sur le long terme, parce que ça façonne les schémas relationnels. »

ELLE. – Quelles sont les conséquences sur les femmes victimes de violences psychologiques et de cyberviolences ? 

L.D. – Ça marque beaucoup. Souvent, ces personnes vont être en hyper vigilance, à se demander d’où peut venir le danger. Quand on a vécu des violences dans sa sphère intime, c’est plus difficile après de trouver des endroits refuges pour se sentir bien, pour se reposer, pour se changer les idées. Cela entraîne aussi de la perte de confiance en soi, et c’est plus compliqué de refaire confiance à quelqu’un amoureusement, amicalement ou encore professionnellement.  

Plus on est jeune, plus on a tendance à subir des conséquences sur le long terme, parce que ça façonne les schémas relationnels. Quand on a vécu des violences, on a tendance à se remettre avec des hommes violents, parce qu’on a l’impression de ne rien mériter. 

ELLE. – Quels sont les signes à repérer par les victimes et par les proches ? 

L.D. – Pour les victimes, ça peut être une impression d’étouffer dans sa relation, un sentiment de culpabilité, le fait de se sentir obligée de faire des choses. Il y a aussi la peur de son compagnon, la crainte qu’il nous quitte. 

Pour les proches, ce qu’on peut repérer, c’est l’isolement. Une copine que l’on voit moins que d’habitude, qui doit rentrer tôt pour éviter la colère de son petit copain, qui perd le moral ou qui est souvent sur son téléphone. Ce sont des signes assez forts. Parfois, ça peut être des demandes liées à de la surveillance : « Tu étais avec tes copines ? Je ne te crois pas, tu es avec un mec c’est sûr, filme-toi, montre-moi où tu es. » Si l’on voit une copine dans cette situation-là, c’est important de lui dire que ce n’est pas normal, qu’on la soutient, qu’on peut être là pour elle.

« La première chose à faire, c’est d’en parler avec quelqu’un. »

ELLE. – Justement, quels conseils donnez-vous aux victimes pour se protéger ?  

L.D. – La première chose, comme chaque situation est différente, c’est d’en parler avec quelqu’un. On peut se confier à ses proches, ses ami·es, ses parents, mais ce ne sont pas eux qui vont pouvoir agir à 100 %. Il est donc important de se tourner vers une aide professionnelle. Notre tchat, par exemple, permet de venir discuter de ce qu’il se passe, d’obtenir des conseils. 

Nous écoutons les victimes avec la plus grande bienveillance et sans jugement. On leur donne des conseils adaptés à la situation, on leur propose des structures en fonction du lieu de résidence et des besoins. Si l’on sent que la victime est en danger, on l’aide à se rapprocher de la police, pour qu’elle puisse déposer une plainte, avoir accès à une ordonnance de protection. Il y a plein de mesures qui existent. Par exemple, le Téléphone grave danger, c’est comme un mobile que la préfecture délivre, qui permet d’appuyer sur un bouton d’urgence en cas de confrontation avec l’agresseur, pour déclencher les secours immédiatement. Il n’est pas toujours évident pour les jeunes de se tourner vers la police, alors on les accompagne dans les démarches administratives. 

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