Santé

Hypersexualisation des femmes grosses : « J’ai l’impression d’être un sextoy »

« Je suis grosse depuis toujours. À 12 ans, je faisais presque 1,70m et dépassais les 80 kilos. Rapidement, j’ai compris que mon corps allait être un sujet. » Virginie Grossat, influenceuse mode grande taille, est hypersexualisée depuis le début de la puberté. Elle était encore mineure quand les premiers regards d’adultes se sont posés sur son corps. « À l’époque, j’étais obligée de me rendre aux rayons adultes pour trouver des vêtements à ma taille. Dans la rue, les hommes me regardaient parce que j’avais de la poitrine et des grosses fesses, et que je m’habillais comme les femmes de leur âge qu’ils pouvaient convoiter. Mais je n’étais qu’une enfant », dénonce la créatrice de contenu. « Cette façon qu’ils avaient de me regarder m’effrayait au plus haut point. » 

Du haut de ses 36 ans, Virginie ne compte plus le nombre de remarques sexualisantes qu’elles a subies dans l’espace public. Un mélange amer de misogynie et de grossophobie. « Un jour, un homme est sorti de sa voiture en plein milieu de la route, il a bloqué la circulation pour venir me parler de mes fesses », se souvient-elle. « Régulièrement, je sens des mains baladeuses me toucher les fesses dans les transports en commun », raconte-t-elle encore.

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Cyberharcèlement et fétichisme sexuel 

À l’heure où les réseaux sociaux et les applications de rencontres prennent de plus en plus de place dans nos vies personnelles et intimes, les femmes grosses sont d’autant plus victimes de harcèlement sexuel. « J’ai envie que tu t’assoies sur mon visage », « J’aimerais que tu m’étouffes au lit », « Ne t’inquiète pas, j’ai le permis poids lourd », voici un échantillon de phrases inappropriées que Virginie a reçues sur la toile. « Sur les réseaux de l’amour, il n’y a pas de filtre. On me parle de mon corps tous les jours, sans exception. J’ai parfois l’impression que mes fesses sont une deuxième personne que je porte dans mon dos. C’est terrible, déplore-t-elle. J’aimerais qu’on arrête de me voir uniquement par le prisme de ma grosseur, comme si j’étais une case à cocher. » 

« On me dit que je suis une créature, une déesse. Mais finalement, je suis complètement déshumanisée »

Dans la pratique, Virginie a souvent l’impression d’être un objet de fétichisme sexuel, à l’image des catégories « BBW » (Big Beautiful Woman – « Belles femmes grosses » en français) ou « SBBW », étiquetées sur les sites pornographiques. « Au lit, les hommes ont tendance à vouloir reproduire ce qu’ils ont vu sur YouPorn. On me propose des jeux de domination, des positions que l’on ne fait pas à mes copines, comme si mon postérieur était l’acteur principal du rapport. En revanche, ça ne leur viendrait pas à l’esprit de sortir avec moi ou de m’emmener en week-end, parce qu’ils n’assumeraient pas en public. J’estime être autant fantasmée que détestée. On me dit que je suis une créature, une déesse. Mais finalement, je suis complètement déshumanisée. » 

Un sentiment que partage Célia, 31 ans. « Certains hommes me voient comme un challenge, un fantasme. On me dit souvent : « J’adore les femmes avec des formes », mais ça ne leur viendrait pas à l’idée de balancer à une femme qui rentre dans les tailles dites « standards », « J’adore les femmes minces » », rapporte-t-elle, avant de lâcher : « Mon corps ne devrait pas être la seule raison pour laquelle on me drague. Je trouve ça aberrant que notre corps, qu’on se sente à l’aise avec ou non, soit toujours mis sur la table. Ça ne devrait pas être un sujet puisqu’il nous appartient, on n’a pas besoin que les autres le commentent. »

Stéréotypes et fantasmes sexuels

De son côté, Mathilde, 23 ans, a pu repérer des stéréotypes sexuels associés aux femmes grosses. « Il y a cette idée selon laquelle les femmes bien en chair aimeraient forcément le sexe. On pense aussi que les femmes grosses n’ont pas beaucoup de rapports, et que, par conséquent, leur appétit sexuel déborde », déclare-t-elle.

« La femme grosse est considérée comme un objet de plaisir, au même titre qu’un sextoy que l’on prendrait dans le sexshop du coin »

La jeune femme a déjà été confrontée à ce que l’on appelle un « feeder ». Le « feederisme » fait partie des paraphilies – ou comportements sexuels déviants susceptibles de nuire à une autre personne – et nous vient d’outre-Atlantique. Cette pratique sexuelle basée sur un rapport de dominant/dominé tourne autour de la nourriture – les « feeders » éprouvent du plaisir à nourrir et à faire grossir leur partenaire. « J’ai flirté avec un feeder sans m’en rendre compte. Il me disait « J’adore cuisiner, donc je te préparerai des bons petits plats, tu n’auras pas besoin de bouger. » Quand j’ai compris à qui j’avais affaire, j’ai coupé court à la conversation parce que cette personne me dégoûtait », raconte Mathilde. Et d’ajouter : « La femme grosse est considérée comme un objet de plaisir. J’ai l’impression d’être un sextoy que l’on prendrait dans le sexshop du coin. Notre désir et nos envies sont totalement mis de côté. » 

Estime de soi, impact sur la vie de couple 

Dans le passé, ces comportements discriminants ont particulièrement affecté son estime de soi. « À une certaine période, j’ai pris la décision de m’hypersexualiser moi-même, pour reprendre le contrôle de mon corps et de l’image que je renvoyais aux hommes », explique Mathilde. « Mais je me suis aperçue que c’était extrêmement fatigant, et que les commentaires que je recevais en face n’étaient pas toujours faciles à encaisser. Je suis donc revenue à une relation plus saine à mon corps et à ma sexualité. » Un changement qui a par ailleurs eu un impact sur sa vie de couple. « Quand je suis sortie de cette phase d’auto-hypersexualisation, j’ai fait un rejet du sexe. J’avais poussé le truc tellement loin, mes rapports étaient devenus tellement réguliers et intenses, que j’avais perdu de vue mon objectif initial. En faisant machine arrière, j’ai perdu ma libido », explique-t-elle. « Aujourd’hui, je suis célibataire, et je préfère avoir une vie sexuelle moindre voire inexistante, plutôt que de coucher avec quelqu’un pour les mauvaises raisons. »

Quant à Célia, le fait de prendre en maturité en vieillissant, et de suivre une thérapie, l’a aidée à surmonter la grossophobie dont elle est la cible, et à travailler sur son propre rapport à son corps. « Quand j’étais plus jeune, ces remarques et attitudes pouvaient me foudroyer durant plusieurs jours, et je me remettais beaucoup en question. Aujourd’hui, j’ai surtout de la peine pour ces gens. À plus de 30 ans, il s’agirait de réfléchir de façon décente. » Mathilde abonde : « On reste des humains avec un cœur, des sentiments et un cerveau. On mérite d’être aimées et respectées comme tout le monde. »


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