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L’amour impossible de Philippe, 68 ans : « J’ai gardé sa photo dans mon portefeuille toute ma vie »

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Des clichés comme les dernières preuves tangibles de ce que nous avons vécu ensemble. J’ai gardé une vingtaine de photos de cette femme dont je tais habituellement le nom par pudeur envers celle qui partage ma vie désormais. Elles sont glissées entre l’album de mon mariage et celui des premiers pas de ma fille. Les images sont floues, comme les souvenirs qui peinent à remonter à la surface. L’émotion, elle, est restée la même quand je prononce le nom de Flora.

Son bras entourant le mien, sa tête posée contre mon épaule, nos regards pleins de tendresse fixant l’objectif… Des années plus tard – quarante-cinq pour être exact – il me semble parfois que j’ai rêvé ces quarante jours passés à ses côtés, au Mexique. L’amour ne dure parfois que quarante jours. La femme que j’ai aimée autrefois doit vivre quelque part au bord du Pacifique, loin de la vie qui est la mienne, ici, en France. Nous vivions sur deux continents, deux planètes différentes : c’est ce qui rendait notre amour impossible, sans doute. 

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Notre rencontre tient à ce que j’appellerais un coup du destin. Lors d’une nuit d’ivresse dans un bar parisien, en 1979, je parle avec mon meilleur ami et collègue de bureau de nos futures vacances. Il nous reste alors une cinquantaine de jours à prendre très prochainement et nous ne savons pas où poser nos valises. Dans la folie du moment, mon copain me lance un défi dont je ne soupçonnais pas les conséquences sur mon existence. « Tu vois ce globe terrestre… On va le faire tourner et on ira là où tu poses ton doigt ! D’accord ? », me lance-t-il, hilare. Je m’exécute. Le hasard veut que je pose mon doigt sur le Mexique.

Quelques semaines plus tard, nous partons en direction de l’aéroport. Du haut de mes 24 ans, j’ai soif d’aventures et de découvertes. Sans un sou en poche, nous partons sans plan au préalable. Mon meilleur ami a choisi l’itinéraire le moins cher. Nous passons par Madrid, New York, Montréal, puis enfin Mexico… Un véritable périple au cours duquel nous ratons un vol, ce qui bouleverse notre parcours. Quand nous arrivons enfin dans les rues fourmillantes de Mexico, je ne sais pas encore ce qui m’attend.   

Un coup de foudre immédiat 

Très vite, nous décidons de longer la côte pacifique, en direction de la sublime baie d’Acapulco. Pendant notre escapade, nous tombons sur un hôtel proche d’une plage de cocotiers où nous décidons de rester quelques jours. À cette période, je ne pense pas aux filles, encore moins à l’amour. Sans compter que l’ami qui m’accompagne est un peu « sauvage » avec les femmes, ce qui ne facilite pas les rencontres. Mais, un matin, j’aperçois depuis le balcon de ma chambre une berline noire dont ressort un groupe de locaux. Brusquement, mon regard s’arrête sur une fille aux cheveux de jais, aux traits fins et aux yeux noirs. À cet instant suspendu, je ne vois plus que ce visage à la peau parfaite. Je me souviens avoir pensé qu’elle avait un visage d’ange… J’apprendrai plus tard que la ville mexicaine dont elle était originaire – Puebla – était surnommée « la ville des anges ».

Son regard sombre et doux me fixe, comme s’il voyait au-delà de tout. C’était un coup de foudre terrible. Un peu subjugué, je demande à mon ami si je suis le seul à avoir ressenti les choses ainsi… Je lui demande : « Tu as vu comment cette fille m’a regardé ? » Immédiatement, le voilà qui se moque de moi… « Toi, tu rêves ! Tu te prends pour un Apollon… », se moque-t-il. Mais non, je n’avais pas rêvé. C’était bien moi que la jeune fille aux cheveux de jais regardait.  

Le lendemain, je vois que la voiture noire est toujours en bas. Alors que je rentre dans un café pour prendre le petit déjeuner, je croise à nouveau ses yeux noirs. Nous passons tout le repas à nous lancer des regards, avant de finalement nous adresser la parole. Dès nos premiers échanges, elle me dit qu’elle parle un peu français car elle étudie les langues à l’université dans le cadre de ses études de commerce. De mon côté, je ne parle pas un mot d’espagnol. Progressivement, nous inventons notre propre langage, fait de français, d’espagnol, d’anglais mais surtout de regards. Flora avait tellement d’amour pour moi que je comprenais chacun de ses mots.

Une première discussion qui débouche sur un rendez-vous au bord de la plage l’après-midi. Au milieu de ce groupe de copains, nous vivons les débuts d’une histoire. Nous passons tous nos après-midis sur la plage à rire, boire des verres, se baigner nus dans la mer… Je me souviens encore du tube qui passait tout le temps à la radio mexicaine cet été-là… « Mon fils, ma bataille » de Daniel Balavoine ! Le refrain raisonnait à tue-tête partout : « Fallait pas qu’elle s’en aille ! Oh oh oh ! » Dans mes souvenirs, je me souviens qu’on vivait au présent sans trop nous poser de questions sur ce qui allait advenir de cette romance d’été.  

Après quatre jours, Flora m’annonce qu’elle doit repartir dans le ranch familial. Elle me propose de la suivre pour que je fasse la connaissance de ses parents. Les choses vont vite, entre nous, mais je décide de me laisser porter… Avec mon meilleur ami, nous la suivons. Sur place, je découvre l’endroit où elle a grandi, un domaine de plusieurs hectares peuplé de chevaux, de vaches, de moutons, de cochons, de perroquets… Là-bas, je rencontre des gens extraordinaires qui m’accueillent comme un membre de leur famille. Mon séjour est plein de rencontres, de fêtes hautes en couleur, de balades à cheval, de fous rires interminables… Elle m’emmène visiter les temples aztèques et les volcans dont la région regorge. Nous étions inséparables, toujours blottis l’un contre l’autre. J’allais même jusqu’à l’accompagner sur les bancs de son université. Nous profitions de chaque instant comme si c’était le dernier. 

Rester ou partir, un dilemme difficile 

Rester ou partir ? Les jours passant, la question devenait de plus en plus pressante. Un soir, nous participions à une fête chez une de ses amies. Devant tout le monde, j’ai pris une guitare et j’ai commencé à fredonner les paroles d’une chanson de Gilbert Bécaud… « Et maintenant que vais-je faire… », dit la chanson. Je ne savais pas moi-même ce que j’allais faire, ni quelle décision j’allais prendre. Le choix de la chanson était inconscient, mais il s’agissait clairement d’un message indirect que je lui délivrais. Je ne sais pas bien si elle l’a compris, sûrement que oui.

Comment lui dire au revoir ? Je ne pouvais tout simplement pas partir en la laissant derrière moi. Un véritable tiraillement intérieur était à l’œuvre. De son côté, Flora nourrissait l’espoir que je vienne m’installer au Mexique, ou qu’elle commence une nouvelle vie en France. Je lui disais souvent que si l’un de nous devais faire ce choix, ce serait moi. Finalement, je me suis contraint à la quitter. Je lui ai dit au revoir une première fois, mais j’ai raté mon avion en raison d’un retard d’autocar. Un acte manqué, très certainement…  Le prochain vol pour la France étant deux jours plus tard, la compagnie aérienne s’engageait à prendre en charge notre hébergement. Avec mon ami, nous sommes retournés dans le premier hôtel près d’Acapulco… Flora est venue me rejoindre pour mes derniers jours au Mexique.  

« Est-ce que j’ai rêvé ce qui vient de m’arriver ? » 

La dernière fois que je l’ai prise dans mes bras, c’était à l’aéroport. Je suis parti en étant convaincu que j’allais revenir. Du moins, j’avais envie de le croire. Je lui ai donné un bout de papier avec le numéro de téléphone de mes parents pour qu’on puisse garder contact. « Je ne te laisserai pas tomber. C’est sûr que je vais revenir », lui ai-je répété en séchant ses larmes, sans savoir que je ne tiendrai pas parole. Elle m’a répondu : « Je t’attendrai toute ma vie ». Des mots auxquels je pense encore parfois. Dans l’escalator, j’ai manqué de tomber à force de me retourner pour la regarder.

Onze heures plus tard, j’étais de retour dans le métro parisien avec mon ami. Nous étions tous les deux complètement perdus, incapables de retrouver notre chemin. Je pensais au fond de moi : « Mais, qu’est-ce que je fous là ? Est-ce que j’ai rêvé ce qui vient de m’arriver ? » C’était comme si les cinquante derniers jours avaient pris la forme d’une hallucination collective… Sans compter que nos bagages avaient été perdus. Les seules preuves de notre séjour s’étaient aussi égarées en chemin.  

Mon retour en France a raisonné comme une violente confrontation à la réalité que j’avais tenté d’oublier. D’un seul coup, je retrouvais mon père gravement malade, ma mère âgée, mon travail… Tout ce qui faisait qu’un départ pour le Mexique était impossible. Je me rendais tout simplement compte que ce n’était pas ma vie. « Je vais bientôt partir et tu vas rester tout seul », me répétait ma mère qui craignait de me voir rester célibataire jusqu’à sa mort. Inconsciemment, je savais que ma place était là, auprès d’elle. Je voulais lui donner le bonheur de connaître mes enfants. Les premiers mois, nous parlions beaucoup avec Flora, puis progressivement les échanges se sont espacés. Un jour, j’ai pris mon téléphone et je lui ai dit la vérité que j’avais tant de mal à formuler… Notre rêve était inaccessible, alors je lui ai conseillé de m’oublier. Elle m’a répondu : « Je t’aimerai toujours ». Quand nous avons raccroché, c’était fini.   

Depuis cette dernière discussion, je n’ai plus jamais parlé de ce voyage à personne. Pendant une dizaine d’années, j’ai laissé le Mexique dormir en moi. Fragilisé émotionnellement, je pense avoir mis deux ans à faire le deuil. Dans mes élans de tristesse, je me répétais les paroles de la chanson de Gilbert Bécaud : « Que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie, de tous ces gens qui m’indiffèrent maintenant que tu es partie… » Quand on vit un coup de foudre pareil, on a l’impression qu’on ne va plus jamais revivre cette émotion. Finalement, j’ai aimé encore après elle. En grand sentimental, je ne l’ai jamais oubliée. Je pense que je me souviendrai toujours d’elle. Le jour où elle m’a accompagné à l’aéroport, elle m’a donné une photo d’elle que j’ai toujours gardée dans mon portefeuille, juste en-dessous d’une photo de famille.  

*Le prénom a été changé

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