Vampires émotionnels : les conseils du Dr Aga pour les supporter

Pour les vampires tout court, le doute est permis, mais les « vampires d’énergie », ça existe. Aux États-Unis, on désigne ainsi ces « amis » qui aspirent notre tonus comme on siroterait un bloody mary. On les reconnaît au fait que l’on sort de nos interactions avec eux sur les genoux, psychiquement et moralement. Le concept parle à tout le monde : qui d’entre nous n’a pas une copine qui n’appelle que pour se plaindre de ses malheurs ou un pote qui, non content de ne parler que de lui, n’est jamais dispo pour entendre nos geignasseries à nous ? Difficile de comprendre pourquoi cette expression ne s’appliquerait qu’à notre cercle amical. Comme si personne, au boulot ou en famille, ne suçait goulûment notre énergie vitale… Une injustice que le Dr Aga s’apprête à réparer ici même.

Les enfants (DE 1 JOUR À 61 ANS)

Pourquoi nous sucent-ils le sang ? Est-il utile de développer ce point auprès des parents ? À l’usage de ceux qui n’auraient pas d’individus de type enfantin dans leur entourage, disons seulement que, entre 0 et 12 ans, ils passent leur temps à nous harceler de demandes (« Maman ? Maaaaman ? »), et de 12 à 61 ans à ne plus répondre aux nôtres (« Gabriel, t’es où ?»,« Réponds ! »)

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) La raison doit l’emporter à double titre : d’abord, tous les gens qui ont poignardé leur progéniture ont eu de sérieux problèmes. Ensuite, le temps joue pour nous. Un jour, nous serons vieux, ce sera à notre tour d’être des boulets. Et compte tenu de nos espérances de vie, la revanche risque de durer longtemps, longtemps… (« Gabriel, t’as pensé aux couches ? Non, pas celles de ton fils, les miennes ! ») Ahahaha !

Le conjoint « T’ES OÙ ? PAS LÀ!  »

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce qu’il n’écoute pas ce qu’on lui dit. Cette personne peut être face à nous, apparemment tout ouïe, et en fait être ailleurs. Quelle que soit la cause (montre connectée ? Capacité de roupiller les yeux ouverts, comme quelqu’un que je ne connais que trop ?), les conséquences sur l’organisation du couple sont terribles. Réservations de restos le mauvais jour, trains loupés, absence injustifiée lors du passage du plombier alors qu’il fait –1 °C, la charge mentale menace d’imploser. Comme la chaudière, tiens.

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) S’inspirer de la méthode qu’un jeune homme de mon entourage a mise au point : il ne répète JAMAIS deux fois la même information pratique à sa compagne. Une astuce de vieil instit acariâtre mais, d’après lui, depuis qu’elle a passé deux heures à cher- cher sa voiture dans le mauvais parking à Roissy, faute d’avoir noté les infos, ses problèmes d’attention flottante sont réglés.

Le téléconseiller LARGUÉ

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce que ça fait 37 minutes qu’on lui répète au téléphone que le problème ce n’est pas qu’on a oublié le deuxième code de sécurité pour valider la transaction bancaire, mais que depuis que HSBT a migré vers le CCD, l’appli demande une clé BTF pour déverrouiller le proxy et que bah, on sait pas ce que c’est. Ça fait trois fois qu’il synthétise : « Si je résume, vous avez oublié le deuxième code de sécurité pour valider la transaction bancaire, c’est bien ça ? » Parfois, on se dit que les centres d’appels ne sont pas délocalisés à des milliers de kilomètres uniquement pour réduire les coûts : c’est une question de sécurité pour le personnel.

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) J’en appelle à mon éducation chrétienne : avoir des soucis de clé BTF est un problème de riches, j’ai de la chance d’être de ce côté-là du téléphone. En vrai, ça ne suffit jamais, le mieux c’est de casser quelque chose – qui ne m’appartient pas – à la maison.

Les journalistes QUI PARLENT DANS LE POSTE

Pourquoi nous sucent-ils le sang ? Suis-je partiale ? J’ai le sentiment que mes confrères de la presse écrite sont moins anxiogènes que ceux de la radio ou de la télé. Ils nous chopent toujours au pire moment, au réveil ou le soir, quand on a besoin de douceur, pour nous annoncer que rien ne va et que le pire est devant nous. Avec quelque chose de gourmand dans la voix, qui n’est pas sans me rappeler les coups de fil d’une de mes tantes de 1985 à 2019 : « Alix ? Ils m’ont encore trouvé un cancer, figure-toi, et cette fois, ça sera le dernier… »

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) Dans mon cas, il me suffit de me souvenir que Tante Béa est morte à 97 ans dans son sommeil. Mais aux personnes socio-politico-internationalo-écoanxieuses, je recommande plutôt d’écouter du funk beaucoup trop fort. Sur ce type de vampires d’énergie, le groove fait l’effet d’une gousse d’ail, promis.

Le collègue CHAOTIQUE

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce qu’il a mille idées, toujours dans le désordre. Parce qu’il est imprévisible, capable de ne pas venir aux réunions qu’il organise ou, brusquement, d’être tout le temps là. Parfois, il s’étonne que vous ne rendiez pas le travail demandé. Mais, en fait, rhooo, son texto pour vous en parler n’était pas parti, désolé, vraiment. C’est éreintant.

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) Déjà, dites- vous qu’un collègue chaotique est « moins pire » qu’un collègue démotivé et démotivant. Avec lui, votre salut réside dans l’anticipation : le relancer souvent, pour savoir où il en est (ou tout simplement où il est). Ne pensez pas aggraver le bordel dans sa tête en le cadrant, vous lui rendez service.

L’animal de compagnie EXIGEANT

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce qu’il est tout jeune et qu’il faut le dresser. Parce qu’il est tout vieux et qu’il faut l’aider. Parce qu’il n’aime plus les croquettes « animal stérilisé » dont on vient d’acheter un sac de 8 kilos. Parce que, au moment où on trouve le titre qu’on cherchait depuis des plombes pour un article, il arrive avec l’une de vos chaussettes préférées dans la gueule. Ou tout simplement parce que c’est un chat.

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) Le regarder dans les yeux. Le prendre contre soi et attendre que son rythme cardiaque se cale sur le vôtre. De tous les vampires d’énergie, les animaux de compagnie sont les plus faciles à circonvenir.

Le prestataire QUI FAIT BIEN SON BOULOT

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce que c’est une nail artist qui nous demande de choisir entre trente vernis. Un chausseur qui, quand on hésite entre deux couleurs de boots, annonce : « Elles existent aussi en navy. » Un vendeur de voitures qui nous met sous le nez un catalogue avec vingt types de jantes possibles. Un serveur et sa carte « 50 nuances de ramen »…

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) On ne peut pas, en pratique, tuer tous les gens avec qui on interagit dans une journée. Moi, quand je me sens la vitalité d’une chaussette seule (l’autre est dans la gueule du teckel), mon astuce c’est de citer Racine : « Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne » (« Andromaque »). C’est-à-dire choisir au pif.

Le pire vampire d’énergie DU MONDE

Pourquoi nous suce-t-il le sang ? Parce qu’il passe son temps à s’énerver contre ses enfants désinvoltes, son conjoint distrait, le monsieur au téléphone qui ne comprend rien, les journalistes alarmistes, ses collègues chaotiques, son chien chiant et tous ces gens qui lui demandent sans arrêt d’avoir un avis.

La solution (qui exclut un crucifix en plein cœur !) Vous l’avez compris : souvent, notre pire vampire d’énergie, c’est nous-même. Pensons plutôt à toujours garder assez de forces pour regarder le ciel en se disant que la vie est belle.