Allô Giulia ? : « J’ai l’impression que mon conjoint ne ressent plus d’amour et de désir »
« Chère Giulia,
Je vous écris parce que je flippe un peu. Alors que tout va bien. Greg et moi venons d’emménager dans la maison de nos rêves, il lève enfin le pied au boulot, il a plus de temps pour s’occuper des filles et moi, ça m’en laisse pour développer mes projets perso… Greg a douze ans de plus que moi, il a fait une belle carrière dans l’enseignement supérieur, ses livres se sont bien vendus, et on a, aujourd’hui, assez de tranquillité matérielle pour que, à mon tour, j’écrive celui qui me trotte dans la tête depuis des années – je veux absolument raconter la vie de ma grand-mère, résistante, féministe, et un peu fêlée sur les bords, mais une vraie source d’inspiration ! En fait, c’est comme si on entamait une deuxième moitié de vie ensemble. Mais autant, ça me donne une énergie de dingue, autant Greg se laisse doucement glisser. Je l’ai vu hier soir, sur le canapé, dans un vieux jean un peu crade, avec un peu de bide qui passait par-dessus la ceinture, hirsute, pas rasé, et c’est là que j’ai flippé : je suis avec un vieux. Un pré-retraité. Un mec qui a déjà lâché la rampe, et ça ne risque pas de s’arranger… Quand je me souviens de celui que j’ai rencontré, toujours si élégant, si drôle, avec douze idées à la minute, il était dingue ! Nous, ses petites étudiantes, il nous faisait toutes craquer – et c’est moi qui ai remporté le morceau. Nos vingt ans ont été suffisamment pleins de tout pour que j’ai, malgré tout, encore du désir pour lui. Et que je ressente suffisamment d’amour encore pour vous écrire, en espérant, si ce n’est une solution, du moins des pistes de réflexions. Mais le pire, c’est que ça ne sert sans doute à rien : chez lui, l’amour, le désir, j’ai l’impression que c’est terminé. Que la petite flamme s’est éteinte. Et je ne sais plus quoi faire pour la réveiller. » – Fanny 42 ans.
« Chère Fanny,
Vous avez bien fait de m’écrire, j’appelle ça une preuve de vie. Sans rire : si vous êtes capable de vous interroger sur vous deux, c’est que vous vous regardez encore. Malgré les enfants, malgré les années, malgré ce livre qui vous tient à cœur. Et comme le tango se danse toujours à deux, tant que vous vous creuserez la tête, tant qu’il sera encore dans votre champ de vision, c’est que vous êtes dans le sien, d’une manière ou d’une autre. À vous lire, je me suis demandée si Greg n’était pas un bon petit filou qui, au moment où vous vous apprêtiez à vous octroyer un peu d’espace, ne s’était pas mis à appuyer pile sur les bons boutons pour vous faire réagir : l’avenir, la vieillesse, la fin des choses, la fin de tout… Tiens, si, tout à coup, je me mettais à ressembler à quelqu’un qui n’est pas du tout celui qu’elle a rencontré, qu’est-ce qu’il se passerait ? S’il le fait, c’est inconscient, bien sûr. Mais c’est réussi : il a su rester au centre. Et si votre couple vacille un peu, c’est qu’il bouge encore. La preuve ? Vous avez changé de vie. Et changé d’équilibre. L’élève dépasse le maître, en quelque sorte, et ça, ce sont de nouveaux repères, de nouveaux codes à trouver pour vous deux. L’amour et le sexe sont deux matières vivantes, en perpétuel renouvellement. Certaines périodes, plus calmes, plus stables que d’autres, nous le font simplement oublier. Vous devez, aujourd’hui, vous recréer l’un, l’autre, et vous deux. Que va devenir Greg, qu’allez-vous devenir, dans cette nouvelle vie ? Retomberez-vous amoureux ? C’est tout l’enjeu, et c’est la grande inconnue. Mais ça, c’est de l’ébullition garantie, de la promesse de frisson – quoiqu’en dise le jean dégueulasse et les cheveux hirsutes, c’est tout sauf de la molle glissade vers le rien. Allez-y, Fanny. Écrivez votre livre. Inventez votre suite amoureuse. Vous verrez bien. »
