Allô Giulia ? « Mon compagnon veut faire chambre à part »

« Chère Giulia, 

Au moment où je vous écris, j’entends mon compagnon ronfler sur le canapé – sexy, hein ?  Je n’arrive pas à trouver le sommeil, et je mouline… À la fois, je ne suis pas à une nuit près : depuis l’ arrivée de notre fille, on compte les nuits complètes qu’on a pu faire sur les doigts d’une main. Parce qu’au moment où elle s’est mise à dormir d’une traite, Jérémie a commencé à avoir ses problèmes de ronflement. J’ai la chance d’avoir un compagnon hyper smart, et, de lui-même, il va dormir sur le canapé, me laissant le grand lit pour moi toute seule. Moi, je m’étale, et, j’avoue, je kiffe. Lui, je sais qu’il dort moins bien. Depuis quelque temps, il a même mal au dos. De plus en plus, en fait. Le matin, évidemment, il fait un peu la gueule, ce que je comprends… Et nos journées ne démarrent pas franchement super bien. Je suis d’accord avec ça aussi. Sauf que quand il me suggère qu’on fasse carrément chambre à part, ça me choque. Un matin, il a déboulé avec des dessins qu’il avait fait pendant la nuit. Le salon est très grand, avec un renfoncement, il pourrait se faire une alcôve / bibliothèque, assez jolie… Et il pourrait s’y mettre un vrai lit. Je comprends ses arguments. Mais c’est quand même un truc de vieux, non, de faire chambre à part ? Il est où, le désir, elle est où, l’intimité, si on ne dort même plus ensemble ? », Amel, 42 ans.

« Chère Amel,

« Elle est à l’endroit où vous la situez tous les deux, Amel. L’intime est… Intime. Mais comme je sais que je peux faire mieux que ça, je développe – et je vous prouve que j’ai raison. L’invention de la chambre à coucher est assez récente, à échelle de l’humanité. Tout comme l’invention de l’amour au sein du couple. Et ça ne fait que quelques décennies, au fond, qu’on demande à deux parents d’être aussi des amants, des amoureux, et les meilleurs amis du monde. C’est beaucoup. Voire impossible. Cocher absolument toutes les cases en même temps ? Demandez plutôt à un carré de rentrer dans un rond. À d’autres époques que la nôtre, à d’autres endroits du monde aujourd’hui, on fait chambre à part. La façon dont on agence l’espace, au sens propre comme au figuré est une notion toute relative : tout dépend du contexte, et tout dépend de ce que chacun y met comme désirs, comme fantasmes, comme freins ou comme représentations de la vie à deux.
Quand dormir à deux, c’est dormir mieux, alors oui, on partage le même lit, on se love dans les bras de l’autre, et c’est délicieux. Mais quand ça fatigue, quand ça irrite plus qu’autre chose, alors, se manquer un peu la nuit, c’est quand même le meilleur moyen de se retrouver le matin. C’est drôle, parce qu’au fond, vous le savez… Votre grand lit, toute seule… Vous le kiffez. Et c’est comme si vous vous interdisiez ce plaisir là. Par crainte du regard des autres ? Par peur d’écorner une sorte d’image idéale du couple que vous vous seriez forgée avec les années ? Dans ce lit, vous êtes seule. Complètement seule. Sans personne pour vous juger.  Sans croyance pour vous polluer. Profitez-en, Amel. Vous avez la possibilité de construire un troisième espace, chez vous, où Jérémie comme vous profiteriez du repos dont rêvent tous les jeunes parents ? Mais allez-y ! Foncez ! Et je vous parie, moi, qu’une fois vos batteries rechargées, tous les deux, vous n’aurez qu’une envie : vous retrouver. Alors, chère Amel, éteignez donc ce téléphone, coupez internet, passez une belle et douce nuit… »