Santé

Allô Giulia ? « Mon employeur a abusé de moi pendant que je dormais »

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« Chère Giulia,

J’ai beaucoup hésité à vous écrire. Je vous lis depuis longtemps, et je crois comprendre que c’est plutôt un espace réservé aux femmes et aux hétéros… Je ne suis ni l’un ni l’autre. Mais je n’ai personne à qui parler – ou plutôt à qui j’ose raconter ce qui m’est arrivé. Et je me dis que, quoi qu’il arrive, ici, c’est surtout un espace safe. Par sécurité, je change mon prénom, mais le reste est vrai.

Je suis stagiaire dans une boîte de prod télé. C’était le rêve de ma vie, et j’y suis enfin. Mon job consiste à faire en sorte que tous les candidats ne manquent de rien – ça va de la bouteille d’eau jusqu’au taxi de retour. Ça a l’air ingrat, comme ça, mais poser le pied dans ce milieu-là, moi qui viens d’un petit bled de province, déjà, c’est inespéré. Et puis le producteur m’a tout de suite pris sous son aile : c’est un homme très charismatique, il impressionne tout le monde, autant par ses coups de colère que par la générosité dont il est capable. Régulièrement, les pots de fin de tournage se terminent chez lui, dans un immense appartement où tout est incroyablement beau. C’est bizarre, parce que je m’y sens à la fois hyper mal à l’aise, et en même temps, j’aime bien y être – je ne savais même pas que des endroits comme ça existaient sur Paris…

Bref, un jour, j’ai déconné. J’ai trop bu. L’un de mes derniers souvenirs (pas très glorieux), c’est moi, la tête dans la cuvette des toilettes. Jérôme, mon producteur, est extrêmement gentil avec moi, presque paternel. Il me propose de m’allonger dans la chambre d’amis, et honnêtement, je n’ai aucune envie de refuser : il est 4H du matin, je n’ai pas les moyens de me payer un taxi, et franchement, je ne suis pas du tout sûr d’être capable de rentrer chez moi à pied… Donc, je m’endors là.  

À un moment donné, je sais aussi qu’il m’a demandé s’il pouvait s’allonger près de moi. Je ne sais plus ce que j’ai répondu, mais j’imagine que j’ai dit oui. Parce que le lendemain matin, Jérôme était nu, à quatre pattes au-dessus de moi, et il avait pris mon sexe dans la bouche. J’étais encore dans le gaz, j’ai essayé de le repousser, mais sans doute pas assez clairement : il n’entendait rien, et il a continué, jusqu’à ce qu’il arrive à se faire jouir, de son autre main – pardon pour les détails. Après quoi il s’est levé, il m’a balancé mes affaires, et il est allé se prendre une douche.

J’étais gelé. Enfin, pétrifié, sur son lit, incapable de bouger. Et écœuré par tout ce qui venait de se passer. Après un temps qui m’a paru extrêmement long, j’ai réussi à me secouer, et je suis parti sans dire un mot – il était toujours dans la salle de bain. C’était il y a une semaine. Depuis, je n’ai pas remis un pied sur le plateau, j’ai trop peur, ou trop honte, ou les deux… Tout ça me dégoûte, Jérôme me dégoûte, je me dégoûte. Après tout, j’ai bien voulu rester dormir, non ? Alors est-ce qu’on peut parler de viol ? Je ne sais pas. Je ne pense pas… Mais alors, pourquoi est-ce que je me sens sali comme ça ? Est-ce que j’ai raison d’éprouver ça ? Est-ce que je devrais passer à autre chose ? Est-ce que vous pourriez m’aider, juste, à mettre des mots sur cette soirée ? Je vous remercie, vraiment, Giulia. » – Léo, 23 ans. 

« Cher, cher Léo…

Votre mail me bouleverse. Merci de me l’avoir écrit, merci pour votre confiance. Oui, vous êtes dans un espace safe. Mais, non, il n’est ni réservé aux femmes, ni réservé aux hétéros. Je publie, simplement, les courriers qu’on m’écrit et il est possible que les femmes hétéros se sentent plus facilement autorisées à venir m’y retrouver, dans un cadre traditionnellement ouvert pour elles…

J’ose espérer que, grâce à vous, d’autres que vous sauront prendre le même chemin. Parce qu’après tout, on peut toutes, et tous, être confrontés à ce que vous venez de vivre. A ce moment où notre tête dit « non », où notre corps pense « non », mais que cette chose, dégueulasse, se produit quand même. Léo, l’ignoble, il est du côté de votre producteur, et de ce qu’il vous a fait. Certainement pas du vôtre. Rien n’autorise jamais à posséder le corps d’un autre, et encore moins l’alcool. Tout nous autorise, en revanche, à dire « non » jusqu’au dernier moment. On peut dire « non » après avoir embrassé quelqu’un. On peut dire « non » après avoir bu un verre avec lui. On peut dire « non » même après être monté chez lui.

Le consentement est une chose délicate, fragile, qui mérite d’être posée, encore et encore, à chaque étape de la relation. Et une relation, suppose la présence d’un autre que nous, que l’on considère comme tel, et que l’on entend. Sinon, on est dans un rapport de possession, et de domination. Un rapport où l’autre est une chose. Un rapport où le consentement n’est ni libre, ni éclairé. Pardon Léo, mais que vaut un « oui » si on ne peut pas vraiment dire « non » ? Et on ne le peut pas quand, dès ses fondations, le lien est biaisé par un déséquilibre trop fort.

Vous êtes stagiaire, donc précaire. Paris n’est pas votre ville, la télé n’est pas votre milieu. Vous voici face à un homme de pouvoir : il est votre employeur, il est beaucoup plus âgé que vous, il est beaucoup plus riche que vous, par tous les bouts, il vous domine. Et pas qu’un peu. Jusqu’à nouvel ordre, dans une fête, on a le droit de boire. Et à votre âge, on connaît encore assez peu les limites de son corps. Donc quand on boit, souvent, on se cuite. Et là, on en perd son discernement, comme sa capacité à évaluer le danger. C’est indéniable, c’est mécanique, c’est physiologique.

Et, d’un point de vue juridique : saviez-vous que l’alcool est toujours une circonstance aggravante, en cas de crime et de délit ? En aucun cas, jamais, jamais, jamais, il ne peut servir d’excuse… Vous n’en étiez que plus vulnérable. Et endormi, qui plus est : qui a la capacité de formuler un « non » quand il dort d’un sommeil plombé par des litres de bière, même la plus chère du marché ? Votre agresseur (puisqu’il faut nommer les choses) ne pouvait pas l’ignorer. Comme il ne pouvait ignorer votre âge, votre taux d’alcoolémie, votre précarité.

Les violeurs (puisqu’il vaut mieux être précis) ne sont pas de grands courageux. Ce qu’ils identifient, avant tout, c’est la capacité à se défendre de leur proie : moins elle est grande, plus ils attaquent. Quant à savoir si ce qu’il s’est passé relève vraiment d’un viol… Je suis désolée, Léo, mais la réponse est oui. Depuis une refonte de la loi sur les crimes sexuels, en 2021, tout acte bucco-génital relève de cette catégorie pénale. C’est cela qui vous est arrivé, Léo. Je suis bien placée, croyez-moi, pour mesurer le choc que cela peut vous faire, à l’instant où vous me lisez. Mais il est nécessaire. Il y a un « après le viol », il y a une vie après, et elle peut être très belle, je vous le promets.

La seule condition, c’est de la regarder en face, dans tout ce qu’elle peut avoir de sombre, et de nommer l’épisode pour ce qu’il est. Le nommer sans honte, sans culpabilité aucune : vous, vous n’êtes coupable de rien. Vous n’avez à avoir honte de rien. Surtout, ne restez pas seul dans cette histoire. Rapprochez-vous d’association de lutte contre le viol, comme le CFCV : vous y trouverez une ligne d’écoute, anonyme, et gratuite, des groupes de paroles, un suivi, psychologique et juridique. Vous en avez besoin, et vous le méritez. Tellement… De toutes mes forces, je vous embrasse – et j’essaie de vous en donner un peu. »

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