Santé

Allo, Giulia ? « Sa nouvelle vie me rend folle, alors que c’est moi qui l’ai quitté »

« Chère Giulia,  

Je sais qu’il ne faut pas aller sur les réseaux sociaux de son ex et que, quand l’histoire est terminée, c’est devant qu’il faut regarder. Je sais qu’une photo, sur Instagram, ça ment. Je sais que je n’étais plus heureuse avec Dan et que c’est moi qui l’ai quitté. Et je me répète tout ça depuis des jours et j’ai soulé tout le monde avec mon histoire, et donc c’est à toi que j’écris parce qu’en fait, je ne peux pas m’empêcher d’y penser : un selfie de mon ex, donc, avec sa nouvelle copine, l’air hyper heureux, hyper amoureux, avec évidemment la mer et le soleil derrière eux, sinon ce serait trop moche.  

Tout le monde me disait qu’il allait se remaquer vite, mais quand même ! En trois mois, ça y est, je suis zappée, et notre histoire, oubliée, plus rien, nada, finie, comme si elle n’avait jamais existée ? Ce mec, c’est cinq ans de ma vie. Et sur cinq ans, j’ai dû en passer quatre et demi à me préoccuper pour lui. Il sortait d’un divorce difficile, je le consolais. Il avait des problèmes d’argent, je colmatais. Des problèmes avec sa fille ado, je conseillais. Petit à petit, je l’ai vu se relever : il a trouvé du taf, arrêté de fumer, il s’est remis au sport et il a même commencé à aller voir un psy. Bon, il a vite arrêté, mais je crois qu’il a pris conscience de ce qui n’allait pas, dans sa vie, et quand même un peu grâce à moi. Clairement, je l’ai porté.  

Mais à force, c’est devenu trop lourd pour moi. Il se mettait dans des états émotionnels pas possible : soit tout au fond du trou, plombé par la vie, soit dans des colères folles. Et c’est moi qui essuyais les foudres – ou séchait les larmes. Autant dire que dans ces conditions, il n’y avait plus beaucoup de place pour l’amour ou pour le sexe – alors que c’était assez génial au début. Mais je m’en voulais de désirer plus, je voyais qu’il était mal. Et même, tellement mal que j’hésitais, vraiment, à le quitter. J’avais peur qu’il sombre. Je m’accrochais au fait qu’il avait quand même pris conscience de pas mal de trucs, je me disais que quelqu’un qui se remet à faire du sport et arrête la clope, c’est quelqu’un qui veut aller mieux. Que donc, ça passerait. Et plus j’encaissais, et plus je trouvais dommage de tout planter vu toute l’énergie que j’avais dépensée pour qu’il s’en sorte – et nous avec. J’ai tenu un an. Peut-être deux. Je ne sais même pas, aujourd’hui, quel a été mon déclic pour partir, ce qui m’a donné la force de le faire. L’accumulation, sans doute. Et puis la petite goutte d’eau : un énième coup de poing dans le mur pour une broutille. Je précise : il ne m’a jamais frappée, ne l’aurait jamais fait. Mais l’atmosphère était souvent électrique et j’en ai eu marre.  

Je l’ai quitté le cœur gros et surtout folle d’inquiétude : qu’allait-il devenir ? Je savais que, sans moi, il ne retournerait pas voir de psy. Et peut-être même qu’il se remettrait à fumer, voire pire – Dan a toujours eu un petit souci avec les drogues. Les premières semaines m’ont donné raison : il me laissait des SMS et des messages qui me tordaient le bide tellement il avait l’air malheureux. En revanche, je n’ai jamais remis en question ma décision : je me sentais tellement libre, sans lui ! Et puis voilà, cette photo, sur Instagram… Je ne sais pas pourquoi elle me fait cet effet là. Est-ce que c’est de la jalousie, et donc je serais encore amoureuse ? Est-ce que c’est de la colère, et le sentiment de m’être quand même fait avoir ? » – Delphine, 46 ans 

 

Chère Delphine,   

Dans un monde idéal, quand on est anorexique, on se remet à manger et on s’en sort. Quand on est obèse, on fait un régime et on maigrit. Et quand on est accroc aux réseaux sociaux de son ex, on arrête d’y aller – au besoin, on se coupe les doigts, mais après tout, à quoi ça sert, des doigts ? Dans la vraie vie, le corps suit la tête. Et quand la tête guérit, les blessures se soignent et on cesse d’avoir mal. Ce que vous êtes en train de faire, c’est tout simplement de comprendre ce qu’il s’est passé dans cette histoire là, dans cette rupture là, avec cet homme là. Ça prendra le temps que ça prendra – après tout, ça n’est pas comme s’il y avait une urgence vitale à ne plus aller sur Instagram, et vous n’êtes pas non plus en train de découper un chaton à la scie à bois. Vous ne faites de mal à personne… D’autre qu’à vous même et encore qui sait ? Sans doute êtes vous en train de faire la seule chose qui vous fasse, sur le long terme, du bien : c’est à dire vous poser les bonnes questions sur vous, pour ne plus vous retrouver (jamais) dans un mode relationnel où vous êtes psy/infirmière/daronne et sans doute aussi femme de ménage à vos heures perdues. Comprendre, c’est avancer. Mais pour ça, on va d’abord déblayer le chemin : on commence par lui, on enchaîne par vous, d’accord ? 

Lui : oui, il s’est remaqué. Comme le font, et très vite, l’écrasante majorité des hommes à l’issue d’une rupture, initiée, très majoritairement, elle, par les femmes.  Pourquoi ? Alors… Pas parce que ce sont de petits branleurs incapables de se prendre en main. Mais quand même : l’éducation des garçons n’a jamais valorisé ni le travail domestique, ni le travail sur soi – et Dan le sait, visiblement, mieux que quiconque. Pour la plupart, ils n’ont pas appris, donc ils ont autant de mal à dire, chez eux, en eux, ce qui ne va pas, que d’anticiper le fait que, oui, un dimanche matin, ça va être compliqué d’aller à la fois au pressing, chez le pédiatre, et à la salle de sport. Mais c’est pas grave : les femmes, elles, ont tellement intégré leur rôle social qu’elles le font, plus ou moins volontiers, à leur place. Alors, quand elles partent, oui, souvent, elles en ressentent un immense soulagement. Leur indépendance, au moins matérielle, est encore trop récente dans la mémoire collective pour que le célibat, au moins au début, n’ait pas la saveur délicieuse de la liberté et de la transgression.  

Vous : et c’est ce qui, très franchement, m’intéresse le plus. Un jour, vous aussi, vous pourrez le laisser là où il est et vous souvenir que la mer, ça mouille, et que les clichés sur Instagram sont des instantanés de vie à qui on fait dire ce qu’on veut. Ce jour-là, vous vous préoccuperez de vous, de vous seule, et vous vous demanderez ce qui a fait, qu’au fond, dans cette histoire là, et peut-être dans les précédentes, vous avez tant supporté. Tant donné, et si peu reçu en retour. Et pourquoi vous avez eu besoin de parer à tous les coups, et de devenir indispensable. Quelle est, au fond, la place que vous vous donnez, dans votre rapport aux autres. Et quel regard vous portez sur vous, et pourquoi, et depuis quand, pour accepter qu’on vous aime si mal. 

Le jour où vous saurez, son Instagram, vous n’aurez plus à vous empêcher d’y aller : vous n’y penserez même plus.   

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