Santé

C’est mon histoire de Noël : « Mon réveillon sans sapin ni enfants »

RÉVEILLONNER à trois devant un plat de tofu

« Allez viens, tu ne vas quand même pas passer Noël toute seule à Paris ? », m’enjoint au téléphone ma sœur Judith, de cinq ans mon aînée, qui m’invite à fêter Noël avec elle et sa fille Chloé de 16 ans. Le décor ? Un studio perché dans un village savoyard, résidence secondaire de son compagnon qui, cette année, célèbre les fêtes avec son fils issu d’une précédente union. L’invitation tombe à pic : je suis démoralisée à l’idée de réveillonner sans mes deux grands « bébés » de 8 et 11 ans, qui seront aux côtés de leur père dont je viens de me séparer.

C’est aussi l’occasion de retrouver un peu de complicité avec ma sœur que je vois rarement depuis qu’elle vit en province. À peine ai-je accepté sa proposition qu’elle ajoute : « Mais pas de cadeaux, ou des cadeaux fabriqués maison ! » J’avais oublié ce détail : Judith tire à boulets rouges sur notre société de consommation, s’interdit de prendre l’avion, n’achète plus que des vêtements de seconde main, mange végétarien et a un portable à touches qu’elle allume occasionnellement… Elle fustige les gaspillages des fêtes de fin d’année et refuse d’y participer depuis que nos parents sont décédés, il y a dix ans. J’appréhende aussi l’attitude de ma nièce, dont le style grunge adolescent – jeans déchirés, cheveux verts ou roses selon l’humeur, yeux charbonneux et piercing nasal – me désarçonne. Bref, la perspective de réveillonner à trois devant un plat de tofu – et sans l’ombre d’un sapin « dont la culture intensive est dévastatrice », dixit ma sœur – m’angoisse et me fait déjà regretter mes Noëls festifs : convives nombreux – certes essentiellement ma belle-famille ! – et ribambelle d’enfants endimanchés, mets raffinés et vins millésimés, avalanche de cadeaux sous un sapin XXL chaque année plus lumineux…

J’AI RAREMENT ÉTÉ si sereine

C’est dans cet état d’esprit que, le 24 décembre au soir, après un long périple en train puis en bus, j’arrive dans le studio d’un chalet enneigé, perché à presque 2 000 mètres d’altitude. « Bonjour tatie ! », « Hello sœurette ! » L’accueil enthousiaste qui m’est réservé est de bon augure. « Bienvenue dans notre pigeonnier », poursuit ma sœur en me faisant visiter la pièce de vie, une salle à manger-salon avec canapés convertibles dont les larges baies vitrées s’ouvrent sur le mont Blanc que l’on devine au clair de lune. L’endroit est exigu mais charmant, et la table, au centre de la pièce, dressée avec talent : sur le tulle rouge qui fait office de nappe ont été disposés, entre les assiettes, des pommes de pin badigeonnées d’une peinture argentée, des colliers de perles nacrées, des photophores conçus avec des pots de yaourt en verre décorés de fleurs séchées… « Tout est prêt, je me change, et on passe à table ! », lance Judith.

Après un doux échange téléphonique avec mes enfants – qui se conclut par des baisers sonores interminables –et une douche rapide, j’enfile une robe rouge à pois blancs. Stupéfaction et fou rire lorsque je rejoins ma sœur vêtue d’une combinaison blanche… à pois rouges ! « C’est dingue, vous êtes connectées ! » raille gentiment Chloé avant d’apporter avec solennité « les lasagnes entièrement cuisinées avec maman, et leur salade de mâche aux noix ! » Je débouche la bouteille de champagne que j’ai apportée – que ma sœur, qui a aussi ses contradictions, savoure avec plaisir ! –, puis nous commençons notre repas à la lueur des bougies, une douce musique de Paolo Conte en fond sonore. Les lasagnes à la ricotta parfumées au thym et au laurier sont exquises, leurs arômes décuplés à la pensée que Judith et Chloé les ont longuement préparées. Je regarde ma nièce, très belle avec ses cheveux courts désormais blond platine, et bien plus mature et curieuse que je ne l’imaginais. Elle nous interroge, ma sœur et moi, sur nos Noëls d’enfance, notre adolescence, que nous évoquons avec tendresse et gaieté. Régulièrement, nos réponses à ses questions fusent à l’identique, ce qui déclenche l’hilarité générale…

Soudain, je réalise que j’ai rarement été si sereine et détendue lors d’un réveillon de Noël. Et que derrière l’agitation habituelle des grandes tablées, des excès de table et de cadeaux, mon inquiétude était constante : la dinde est-elle assez cuite ? Les enfants seront-ils contents de leurs jouets ? Comment éviter les sujets qui fâchent, tenir compte des sensibilités des uns et des autres… ? Sans parler des préparatifs, des courses interminables dans la cohue des grands magasins… Ce soir nos discussions, spontanées et joyeuses, m’apaisent et me réjouissent.

UN CARRÉ DE SOIE cousu main

Au moment du dessert – un cake chocolat et courge butter- nut ! –, mère et fille s’échangent un unique présent, soigneuse- ment emballé dans un papier de soie. Le visage de ma sœur s’illumine à la découverte d’une jolie boîte en bois ornée de fleurs délicates que Chloé a peintes à la main ; et Chloé s’extasie devant le pull de laine bleu – assorti à ses yeux – tricoté par sa maman… Tandis qu’elles s’embrassent tendrement, j’ai une pensée pour mes enfants qui chaque année ouvrent frénétiquement leurs dizaines de paquets de jouets manufacturés, dont la plupart finissent au fond d’une armoire… « C’est ton tour, tatie ! » déclare ma nièce en me tendant une corbeille. J’y déniche des truffes en chocolat « faites maison » et un rouleau de papier cerclé d’un ruban rouge que je m’empresse de dénouer. « Chère tatie… » Sur la feuille, quelques lignes rédigées d’une belle écriture manuscrite me bouleversent : Chloé y évoque sa chance d’être ma nièce, et son souhait de me voir plus souvent…

Émue, je dissimule une larme en l’embrassant, tout en m’excusant de mon cadeau, que je suis bien incapable de fabriquer ! « Mais il est vintage », je m’empresse d’ajouter. Son ravissement lorsqu’elle découvre une paire de gants en satin noir chinés dans une friperie dissipe mon inquiétude. À ma sœur, j’offre un carré de soie cousu main… par une couturière de mon quartier. « Tu m’as bien eue mais tant mieux, il est magnifique ! » sourit-elle en me serrant dans ses bras. À son tour, elle me tend un paquet avec, à l’intérieur, une écharpe tricotée vert émeraude, ma couleur favorite… « Tu en auras bien besoin demain ! » glisse-t-elle en riant.

DANS LES PAS de Pablo

Ce soir-là, on se couche un peu après minuit, et je dors profondément. Le lendemain matin, fraîche et dispose, je foule une neige immaculée sous un soleil radieux, en file indienne derrière Chloé, Judith… et Pablo. Non, je ne suis pas en train de vous raconter mon rêve ! Car, après notre petit déjeuner, ma sœur m’a réservé une ultime surprise : une balade en raquettes hors piste avec un guide de haute montagne. Tandis que nous cheminons dans le silence ouaté des massifs enneigés, je songe au 25 décembre dernier où, fatiguée et migraineuse, j’avais dû m’arracher de mon lit pour accompagner les enfants au pied du sapin, ranger la cuisine et anticiper le déjeuner…

La voix caressante de Pablo me tire de mes réflexions : son invitation à nous immobiliser pour « écouter le silence » me ramène doucement à l’instant présent. J’en profite pour l’ob- server à la dérobée, m’attarde sur sa silhouette fine et musclée, sa chevelure épaisse et sa bouche charnue… Au moment de repartir, Pablo me suggère de me ranger derrière lui pour marcher dans ses pas « parce que c’est ta première sortie en raquettes », justifie-t-il dans un sourire craquant… « À toi de jouer, sœurette ! » me chuchote Judith en me cédant sa place. Oserai-je lui dire que je vis l’un de mes plus beaux Noëls ?

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