Santé

C’est mon histoire : « J’ai découvert que mon parrain était mon père après un test ADN »

Un simple test génétique                           

Cela faisait un moment que mon fils Julien insistait : « Maman, tu devrais faire un test génétique, tu ne connais rien de l’histoire de ton grand-père ! » Issu par son père d’une famille d’aristocrates dont la lignée remontait au XIIe siècle, Julien s’intéressait depuis longtemps à la généalogie. De ce fait, il avait toujours été intrigué par le père de ma mère, un Anglais dont je savais assez peu de choses. Mis à part la mort de ses sept frères durant la Première Guerre mondiale et son décès à l’âge de 50 ans, lors de la Seconde, dans un camp d’internement réservé aux soldats anglais. Je n’avais jamais eu ni l’idée ni l’envie de me pencher sur ma généalogie. Sans doute la détestation que j’avais pour le nom de famille de mon père, mais aussi et surtout ma mésentente avec cet homme dur et sans tendresse qui avait imprégné mon enfance de tristesse. Mais la curiosité de mon fils l’avait emporté, et un dimanche après-midi d’octobre, j’envoyais mon kit ADN à My Heritage. Avec une curiosité dépourvue de crainte, j’avais même coché la case « Recevoir des correspondances ADN avec d’autres personnes ». Trois semaines plus tard, les résultats arrivaient dans ma boîte mail : 28 % de sang anglais – mon fameux grand-père –, 17 % de sang ashkénaze, 15 % de sang italien, 15 % de sang espagnol, ce dernier venant sans doute de mon côté vendéen, puisque la Vendée avait été terre d’accueil pour les réfugiés espagnols à de nombreuses reprises. Quelque temps plus tard, revenant sur les résultats du test, mon fils m’avait lâché : « Bon-papa, on se demande comment il pouvait être ton père, alors qu’il n’a jamais quitté sa Corrèze natale ! » Ce à quoi j’avais répondu par une boutade : « C’est peut-être sa mère qui a fauté ! » La conversation s’était arrêtée là. Jusqu’à ce coup de fil inattendu, deux ans plus tard. C’était Marion, la fille de mon parrain, pas vue depuis dix ans, mais avec qui j’avais toujours eu des atomes crochus malgré la décennie qui nous séparait. Nous partagions un même appétit de liberté, une farouche indépendance et une certaine originalité. Au téléphone, ses mots entrecoupés de sanglots revenaient en boucle : « Sylvie, tu es ma sœur, tu es ma sœur. » De sa voix saisie par l’émotion, elle me raconta comment elle avait fait un test ADN et reçu le résultat sur lequel était écrit : « Votre demi-sœur, Sylvie de T. » « C’est merveilleux, j’ai l’impression qu’avec toi un peu de mon père me revient », m’avait-elle dit. Son père, dont j’apprenais qu’il était aussi le mien, elle l’avait perdu à 12 ans, dans un accident d’avion. Le drame de sa vie. D’autant que sa mort l’avait lestée de culpabilité. La veille de l’accident, elle avait insisté pour qu’il l’emmène dans son avion privé, mais quand il était venu la réveiller à l’aube le lendemain, elle avait changé d’avis. Dans sa tête d’enfant, ce renoncement s’était transformé en faute.

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Une révélation salutaire                                            

De mon côté, un rideau se déchirait, éclairant enfin un mystère jamais résolu. Toute ma vie, je m’étais demandé pourquoi mon père ne m’aimait pas. Maintenant, je savais. Sur mes souvenirs de lui, j’avais d’abord imprimé les récits de ma mère. Ne supportant pas mes pleurs, il l’obligeait à emmener mon couffin tout au fond de l’appartement. Elle m’avait aussi répété plusieurs fois qu’il ne voulait pas d’enfants, au pire un fils. Jamais il ne m’avait fait de cadeau. Il avait toujours été très brutal avec moi et les mauvais carnets de notes se réglaient à coups de cravache. J’étais l’exact opposé de ce qu’il aurait souhaité : un premier de la classe excellent en maths, qui aurait comblé le haut fonctionnaire ultra-conventionnel qu’il était. Or, j’étais plutôt dilettante, et les deux seules matières dans lesquelles je brillais, le français et l’anglais, étaient méprisables à ses yeux. Quand j’avais monté ma boîte à 21 ans, il n’était pas venu à la soirée d’inauguration. Ironie du sort, depuis l’enfance, il m’avait répété la même phrase, comme si sa vie en dépendait : « Malheureux celui par qui le scandale arrive. » Ce qui ne m’a pas empêchée de tomber enceinte à 19 ans. Certes, j’étais fiancée, mais pas encore mariée. Sa première réaction avait été de vouloir m’emmener en Suisse pour régler l’histoire, nous étions en 1967. Mon jeune fiancé avait accouru pour s’y opposer. J’aurais pu être dévastée par son hostilité, mais ma mère servait de contrepoids. Pour elle, j’étais la plus belle, la plus intelligente, et son amour si grand m’avait transmis une confiance inébranlable. Aujourd’hui, alors que le temps dilue souvent les malheurs pour laisser affleurer les souvenirs heureux, je n’ai gardé de mon père que des souvenirs amers. À une seule exception, le jour de mon mariage. Il devait me conduire à l’autel, et s’arrêtant sur le seuil de l’église, il m’avait regardée dans les yeux et demandé : « Ma chérie, tu veux y aller ? Tu es sûre ? » Ce jour-là, j’ai senti qu’il aurait été capable de faire demi-tour pour moi.               

Son animosité à mon endroit était-elle liée au fait qu’il savait ? J’ai la certitude que non, même si l’information avait dû s’inscrire quelque part dans son inconscient. Connaissant l’homme, ma mère ne lui aurait jamais avoué. Alors, l’histoire s’était probablement déroulée ainsi. En 1947, mes parents étaient mariés depuis trois ans quand ils étaient partis à Baden-Baden, en Allemagne, pour travailler dans la zone française d’occupation. Ma mère était sortie traumatisée de la guerre – son père était mort en camp d’internement, la propriété familiale avait été réquisitionnée – et, pour conjurer la douleur, elle avait eu besoin d’embrasser la vie à bras-le-corps. Alors que son mari renâclait à sortir, elle profitait de toutes les occasions. Voilà sans doute comment elle avait rencontré ce jeune lieutenant célibataire de 20 ans, Pierre, et succombé à son charme. Qu’avait-elle pensé quand elle avait su qu’elle était enceinte ? Avait-elle eu la certitude que Pierre était le père ? Elle n’était jamais tombée enceinte avant son mariage, elle ne tomberait plus jamais enceinte. Peut-être s’était-elle dit qu’il fallait saisir cette chance, quoi qu’il arrive ? Quand j’ai appris la nouvelle, quelques souvenirs sont revenus comme les morceaux d’un puzzle. Ma grand-mère qui, un jour, m’avait lancé : « Ton père n’est pas ton père. » Comme elle était excentrique, je n’avais pas prêté attention à ses propos sans queue ni tête. Une autre fois, lors du mariage de mon fils, la meilleure amie de ma mère avait eu la même phrase, tombée dans le même puits sans fond. J’étais tellement loin d’avoir le moindre soupçon. Elles étaient sans doute les deux seules personnes au courant.

Mon père de coeur                                            

Et mon parrain, mon père biologique, le savait-il, lui ? C’est la question que nous nous sommes posée avec Marion. Sans doute pas non plus. Pierre était certes affectueux à mon endroit mais pas plus qu’un autre parrain. Mais je comprenais mieux maintenant pourquoi maman m’avait enjoint de le choisir comme témoin à mon mariage ! Et puis le couple de mes parents et celui que Pierre formait avec celle qui était devenue la mère de Marion étaient inséparables. Ma mère avait donc tiré les ficelles en coulisses, seule, préservant la paix de nos familles et leur amitié. Cette découverte, certains l’auraient peut-être prise comme un drame, moi, je l’ai ressentie comme un soulagement. L’homme qui toute sa vie m’avait mal traitée n’était pas mon vrai père. J’avais en revanche toujours admiré mon père biologique. Mieux, à 70 ans, moi l’enfant unique, je m’étais découvert une sœur. Et celle-ci m’accueillait comme telle, ne cessant de nous chercher des ressemblances. Aujourd’hui, si la plus grande partie de notre vie est derrière nous, je sais que Marion est là pour moi, comme je le suis pour elle.

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