Santé

C’est mon histoire : « J’ai fait un mariage d’amitié »

Avril les toujours là pour moi 

« Célébrer ce mariage, c’est célébrer notre amitié devant vous, témoins d’une grande partie de nos vies. » En ce jour de juillet, Avril et moi avons réuni nos proches en Autriche dans ma maison de famille, à la campagne. La cérémonie se passe sous le tilleul géant planté par mon père. Sont présents nos parents, nos sœurs et frères, ma belle-sœur et mes neveux. Jamais je n’aurais imaginé qu’ils soient à ce point émus. D’où vient cette idée de mariage d’amitié ? Très probablement d’Avril. J’ai dû répondre : « O.K., on n’a qu’à faire ça ! » Une dizaine d’années plus tôt, nous nous sommes rencontrées au club de roller derby d’Angoulême. Étudiante en cinéma d’animation, je viens de perdre mon père d’un cancer. Je cherche une activité physique pour me dépenser. J’adore ces entraînements où règne un chouette esprit de camaraderie. Avril, étudiante aux Beaux-Arts, et moi sommes les plus compétitives. Elle veut que chacune se donne à fond et s’améliore. Son côté cash m’énerve. Entre nous deux, le déclic a lieu après les vacances de Noël, lors d’une séance photo pour le trombinoscope de l’équipe, dans une ambiance de joyeux délire. Nous posons de manière très solennelle avec une frite de piscine entre nous. C’est l’image du début de notre amitié. Loin de faire sa cheffe, elle se révèle super drôle, complètement barrée. J’aime beaucoup ne pas savoir à quoi m’attendre de sa part.

Elle arrive toujours à me surprendre. Elle fait des blagues qui sortent de nulle part, émet des petits bruits inattendus, improvise des chan- sons. Je trouve attendrissant et réconfortant qu’Avril refuse de lâcher son esprit d’enfance. L’agression que je subis marque une autre étape clé. Après ma soirée d’anniversaire, un type bourré me jette une bouteille de bière à la figure. Mon arcade sourcilière explose. Complètement sonnée, je crois avoir perdu un œil. Le jour le plus traumatisant de ma vie. Dès qu’Avril l’apprend, elle me rejoint à l’hôpital. Épuisée, je n’ai pas envie de parler. Elle comprend exactement ce dont j’ai besoin : elle reste et me lit le livre qu’elle a apporté jusqu’à ce que je m’endorme. Un moment tendre qui consolide notre amitié, tout comme le fait qu’elle m’accompagne ensuite avec sa voiture à mes rendez-vous médicaux. Au roller derby, nous restons unies dans l’envie de nous améliorer, dans la reconnaissance l’une chez l’autre de la volonté de progresser. Intense et très motivée, Avril est un moteur dans l’organisation des événements du club. Là où je suis plus rigoureuse, elle apporte de la flexibilité.

PLUS ON MÛRIT, plus on renforce notre lien

Lorsque je pars chercher du travail à Paris, je reviens souvent à Angoulême pour voir Avril, mais pas seulement. Les amitiés ont de manière générale beaucoup d’importance pour moi et j’ai le désir de les entretenir dans la durée. Je distingue Avril comme je distingue chacune de mes amies les unes des autres. J’aime qu’elle ait la niaque, qu’elle veuille changer le monde et avoir un impact. Elle est dans l’action. Comme moi, elle veut prendre soin de notre relation. Comme moi, elle se demande comment être une meilleure amie pour l’autre. Lorsque je déménage à New York, elle vient passer trois semaines chez moi avec ma mère et une autre amie. Une période difficile pour moi : je viens de perdre mon travail, je ne sais pas comment je vais parvenir à renouveler le bail de mon appartement que je partage avec six colocataires, la relation avec mon copain me met sur le qui-vive. C’est trop pour moi. Juste avant son départ, Avril m’explique qu’elle n’a pas bien vécu ce séjour, que c’est potentiellement la fin de notre amitié. Au lieu de rentrer et de ne plus jamais me parler, elle me dit qu’elle est blessée de s’être sentie reléguée à l’arrière-plan.

Cette discussion et son départ me laissent avec un grand vide intérieur. Si elle n’avait rien exprimé, je n’aurais rien remarqué tant je suis obsédée par mes problèmes. Ce courage, cette honnêteté et cette capacité à verbaliser me touchent. J’appelle régulièrement Avril, je lui explique que je ne l’ai pas lâchée. À chacun de mes retours en Europe, je la vois, qu’elle soit à Gand, à Prague ou en Bretagne. Nos discussions s’approfondissent. En mûrissant chacune intérieurement, notre relation se consolide parce que nous avons plus d’outils pour nous comprendre nous-mêmes et mutuellement. Comme je viens d’une famille tactile l’affection passe par le toucher, comme pour Avril. Il n’y a pas entre elle et moi de désir sexuel, ce qui n’empêche pas notre proximité physique, essentielle à mes yeux pour créer une intimité avec mes amies : on se fait des câlins, on peut dormir en cuillère le temps d’une sieste.

« VOUS COUCHEZ ensemble ? »

J’annonce notre projet de mariage à mes amies très proches, du même calibre qu’Avril, qui l’apprécient – elles font partie du même cocon affectif. L’une fait semblant de s’agacer : « Elle a piqué mon idée ! » Ma famille, qui connaît bien Avril, s’interroge : « Vous êtes ensemble ? Vous couchez ensemble ? » Même incompréhension dans sa famille. Mais, convaincues que tout le monde finira par nous comprendre, nous nous concentrons sur les préparatifs. Il est clair pour nous que la cérémonie sera en petit comité et que seules nos familles seront conviées. Pourquoi ? Peut-être à cause de notre attachement à elles. Peut-être aussi pour nous sentir mieux comprises par nos proches : nous voulons leur dire que nos choix n’ont rien de conventionnel. Au début de la céré- monie sous le tilleul, Avril et moi expliquons les raisons de ce mariage. Pour célébrer notre amitié, célébrer la joie que nous apporte cette relation, clamer notre souhait qu’elle perdure, montrer à quel point nous tenons l’une à l’autre, dire que nous avons trouvé en l’autre une amie, une sœur, et que nous nous appelons mutuellement « âmes sœurs ». Le mot « amour » revient dans nos bouches.

Pour moi, il contient ce choix d’entretenir sur la durée la chaleur du sentiment qui me lie à mes proches, qu’il s’agisse de mes amies, de ma famille ou de mes relations romantiques. Ce mariage n’en exclut pas d’autres puisqu’il est possible d’aimer plusieurs personnes avec la même intensité. « Je nous souhaite que ce genre de célébration se répète, dit Avril. En tout cas, aujourd’hui, c’est nous deux et notre belle vieille amitié. » Chaque membre de nos familles prend la parole pour nous présenter toutes les deux. Personne ne réussit à faire un discours sans pleurer. Chacun, bouleversé, prend les autres dans ses bras à la fin de la cérémonie, avant de planter ensemble un sureau dans le jardin. Notre mariage en tant qu’amies est désormais parfaitement compris par nos familles qui se rencontrent pour la première fois. Pendant quelques jours, nous vivons ensemble de façon harmonieuse, avec des balades, la préparation des repas où chacun met la main à la pâte pour nos grandes tablées. Je pensais que ce serait chouette, mais tout se passe au-delà de mes espérances. Entre Avril et moi, être mariées ne signifie pas que n’existe aucun moment de frictions. Mais ils ne remettent pas notre lien en question. Nous avons confiance l’une en l’autre et en notre capacité à communiquer pour résoudre nos problèmes. Sans urgence. Nous avons du temps devant nous. Nous nous lançons joyeusement un petit slogan : « Pour toujours ! »

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