Santé

C’est mon histoire : « J’ai mis du temps à accepter mon nouveau corps »

MODÈLE VIVANT AUX Beaux-Arts

Devenir mince n’a jamais été mon Graal. Je me suis toujours acceptée telle que je suis. La star hollywoodienne, en robe fourreau et bustier, sur mes photos de mariage, ce n’est pas Rita Hayworth qui chante « Put the Blame on Mame » dans « Gilda », c’est moi, le jour J, il y a neuf ans. Bien avant que je perde 29 kilos, je suis alors à 106 pour 1,63 mètre. Ma robe s’inspire du film, je voulais être glamour à la mairie. Si vous aviez vu le regard ébloui de mon mari… Mieux que des mots d’amour ! Je suis née ronde, à 3,9 kilos, une conséquence du diabète gestationnel de ma mère. En grandissant, je m’affine un peu, mais je reste très boulotte. Ça ne m’empêche pas de danser, ma passion depuis mes cinq ans. Classique, rock, boogie-woogie, modern jazz…

Ne laisse personne te priver de tes rêves

Je me construis avec ma morphologie et, bien qu’elle ne me définisse pas, elle fait partie de mon identité, je la respecte, mon apparence et mon mental sont en phase. Je me sens bien, et libre. Mon surpoids ne m’entrave pas. Sans doute grâce à l’amour inconditionnel de mes parents et à leurs petites phrases magiques. Celles qui hissent haut la confiance en soi et la pérennisent longtemps après. Du côté de ma mère, ça donne : « Sois fière de toi, tu n’as aucune raison de raser les murs ; tu n’es pas n’importe qui, tu es rare. » Mon père, c’est plutôt : « Tu orientes toi-même ta vie. Ne laisse personne te priver de tes rêves. Pense et agis selon l’existence que tu désires mener. »

Ainsi, j’ai 17 ans et demi lorsqu’un événement fondateur scelle les premières pierres de l’accomplissement de ma vie de femme : je deviens modèle vivant aux Beaux-Arts, drapée puis nue, pour le travail de fin d’études d’une étudiante en photo, qui m’a vue danser en cours. Elle conçoit une installation, où mon corps est sculpté en plans multidimensionnels. Je me vois magnifiée puis devenir source d’inspiration artistique, car d’autres étudiants me sollicitent à leur tour. Grâce à la danse, j’ai les muscles pour rester immobile plusieurs heures, du coup, j’ai mon petit succès. Non seulement mon corps m’ouvre de belles portes, mais cette expérience me prouve définitivement la subjectivité de ce qui est supposé être beau ou pas. Depuis lors, je n’ai que faire des normes, ces critères censés valider ce qui est esthétiquement acceptable. Je suis moi. En paix. Je n’ai aucun mal-être à solder quant à mon apparence.

MAIGRIR, c’est limiter la casse

Aussi, lorsque, il y a deux ans, le rhumatologue m’engage à perdre 35 à 40 kilos, je pressens, d’instinct, le cataclysme en embuscade, mais je n’ai pas le choix. Sur les photos de l’échange de nos alliances, je n’ai à l’époque que 26 ans et, déjà, mes doigts sont tordus par une arthrose déformante héréditaire. Mes mains, c’est l’atteinte visible, mais mes genoux et mes hanches sont aussi touchés, je suis une jeune petite vieille. À 35 ans, ma mobilité est pénalisée et je galère de plus en plus, malgré les anti-inflammatoires. Maigrir, c’est limiter la casse, freiner l’érosion du cartilage et permettre à mes articulations de me porter plus longtemps, en repoussant l’échéance des prothèses. Ainsi, moi qui n’ai jamais fait de régimes, excepté des détox aux changements de saisons, je perds 29 kilos en onze mois entre la pratique de sports encadrée par des kinés et un suivi diététique.

Le compte n’y est pas pour le rhumatologue, je suis encore trop ronde, mais c’en est trop. Stop ! Je raccroche les gants ! Je sens mon équilibre partir à vau-l’eau, je tangue, au sens propre comme au sens figuré, car je ne me reconnais pas dans mon nouveau corps. Depuis mes 15 ans, je n’ai plus eu cette corpulence de 75 à 77 kilos, selon les semaines, c’est comme une nouvelle identité. Pendant vingt ans, mon corps a porté un bonus équivalent à plus de trois packs d’eau, ne plus les sentir modifie entièrement la perception que j’ai de mon corps en mouvement. Ma façon de bouger n’a plus rien à voir, aussi bien pour marcher dans la rue que pour faire l’amour.

Et si je ressentais toujours ce mal-être ?

Je me sens déphasée, ma proprioception est à l’ouest, tandis que mon centre de gravité n’est plus au bon endroit, à en avoir des troubles de l’équilibre, comme si j’étais ivre. Quand je marche, j’ai l’impression d’avancer sur un tapis roulant en accéléré. Psychologiquement, ce n’est pas mieux. Les images de moi-même ne se superposent plus, je continue à me sentir et à me voir dans ma silhouette d’avant, bien que j’aie parfaitement conscience de m’être allégée de 29 kilos. Dans le miroir, je ne m’habitue pas au reflet aminci de cette femme qui se tient à ma place. Cette autre n’est pas moi. « Help, docteur ! On les rassemble comment les morceaux ? » « C’est une distorsion cognitive connue et transitoire, qui survient quand on a été en surpoids longtemps, traduit la psy qui fait équipe avec la nutritionniste. Vous êtes en train de modifier votre schéma corporel. » Un effet indésirable en quelque sorte… Et si je ressentais toujours ce mal-être ?

FORGER DE NOUVEAUX REPÈRES pour retrouver ma sensualité

J’ai la sensation d’être dans une barque qui prend l’eau sans rien pour écoper, je suis tout, sauf sereine. Je réalise que j’ai tout à réapprendre et à reconstruire, y compris dans l’intimité avec mon mari. Jusque-là, notre sexualité était harmonieuse et complice, on aimait se doucher ensemble et se faire des massages, désormais, mes élans sont gauches et brusques, je ne sais plus me mouvoir, j’ai perdu mes repères. Je dois m’en forger de nouveaux pour retrouver ma sensualité. C’est toute une gymnastique mentale de faire connaissance avec moi-même et d’apprivoiser mon nouveau corps. Il pèse lourd dans ma tête et, finalement, il prend plus de place que l’ancien.

J’ai l’impression de devoir gagner des niveaux, comme aux jeux vidéo, pour arriver à me sentir bien, sauf que le match se joue avec moi-même. Je ne regrette rien, car les bénéfices santé sont réels, mes douleurs articulaires se sont atténuées et mon endurance à l’effort est meilleure, je vais pouvoir re-danser, mais j’aurais aimé être avertie de cet entre-deux déstabilisant, où on n’est plus la personne d’avant et pas encore la nouvelle. Y compris dans ma relation avec mes parents, les sables sont mouvants. Car ma perte de poids les culpabilise. Un pédiatre leur avait, en effet, assuré : « Si elle ne maigrit pas avec toutes ces heures de danse, c’est que son corps ne peut pas maigrir, c’est son poids d’équilibre. » À leurs yeux, ma nouvelle silhouette s’apparente presque à un reproche : « Maigrir est possible, la preuve, vous auriez dû… »

Désormais, je m’effeuille dans des strip-teases burlesques

Résultat : je culpabilise de leur culpabilité. C’est seulement lorsque je me débarrasse de ma distorsion cognitive et que mon mari et moi retrouvons notre intimité que je fais le deuil du corps qui a tissé mon identité féminine pendant trente-cinq ans. J’entre alors vraiment dans ma nouvelle peau, un peu comme si je naissais une seconde fois dans mon nouveau corps. Ma réceptivité sensorielle s’exprime différemment, je me découvre des sensations cutanées plus aiguisées, nous réinventons nos caresses. Des positions auparavant inconfortables, pour ne pas dire inaccessibles, ne le sont plus aujourd’hui. Je joue de la plus grande fluidité de mes mouvements et je me laisse porter par ce que cela me révèle de moi-même. Ma façon de le séduire est plus osée ; je ne me refusais rien avant, mais mon corps occupait toute la scène, à présent, je me mets en scène.

J’admire depuis toujours les performances de Dita Von Teese ; ça m’exaspérait d’ailleurs de ne trouver aucune guêpière à ma taille et le sur-mesure excédait mon budget. Désormais, je m’effeuille dans des strip-teases burlesques. Je goûte le plaisir retrouvé de bouger artistiquement, en m’inspirant des shows de la diva. Il faut une technique de folie pour reproduire ses postures, et bien se connaître aussi, je progresse… En me déshabillant, je m’approprie chaque fois un peu plus ma nouvelle image.

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