Santé

C’est mon histoire : « J’ai quitté mon mec pour mieux le retrouver »

Un couple presque parfait                                         

J’étais seule sur mon transat. Infichue de savoir quelle heure il était, incapable d’en avoir quoi que ce soit à faire. Je regardais mon jardin, mon petit jardin, mon petit jardin à moi. « À moi. » J’adorais me dire qu’il était à moi. Comme l’appartement était à moi, comme ma vie était à moi. Le printemps était doux, mon vieux sweat XXL suffisait à recouvrir mes jambes, je n’avais plus qu’à attendre la nuit. Elle arrivait, elle ne me faisait plus peur. La peur, c’était avant : peur d’échouer, peur de décevoir, peur de rater le coche… À 42 ans, j’étais devenue légère comme une plume. Et, c’est étrange (ou pas), mais c’est Laurent que j’ai eu envie de faire entrer dans ma bulle. Après tout, il avait partagé vingt-deux ans de ma vie, non ? Prétextant un détail d’emploi du temps qui pouvait légèrement impacter la garde de Léon la semaine d’après, je l’ai appelé. Je crois que c’est là que tout a recommencé.             

De nos débuts, je n’aurai presque rien à dire. Tout était évident, voire un peu téléphoné : fille unique, j’ai vu mes deux parents profs s’aimer sans accrocs. Je suis devenue prof moi-même, j’ai aimé sans accrocs. Laurent était en histoire, moi en lettres modernes, on a passé l’agrégation, on l’a eue. Comme on a eu le premier crédit immobilier, comme on a eu Léon quelques années après. Notre petit garçon a à peine bousculé notre équilibre : il a fait ses nuits très vite et s’est très bien adapté, où qu’on l’emmène. L’été dans les Cévennes chez les parents de Laurent, l’hiver dans le Vercors chez les miens, et tout le reste du temps en région parisienne. Nous nous offrions une baby-sitter de temps en temps, nous faisions l’amour doucement, et nous riions de voir Léon grandir si bien. Alors, évidemment, nous a pris l’envie d’avoir un autre enfant.               

Les premiers mois, on se dit que c’est normal. Les suivants, qu’on est juste un peu stressés. Au bout d’un an, ce bébé qui n’arrive pas commence à prendre une sacrée place. À hanter mes rêves, à polluer mes journées, à peser sur mon humeur, à faire disparaître ma libido, car je suis écrasée par le téléchargement de toutes ces applications censées doper ma fertilité. Rien n’y fait. La bonne élève que je suis ne comprend pas ce qui lui arrive. Pleure. Se désespère. Entre dans des colères jusque-là inconnues. Laurent fait ce qu’il peut pour me réconforter, mais c’est pire : je vois bien que pour lui ce deuxième enfant n’est pas le projet d’une vie. À chacune de ses déclarations : « Mon amour, on est déjà heureux comme ça, non ? », j’avais envie de l’étriper… Mais je lui saute au cou le jour où il parvient à obtenir un rendez-vous avec un grand ponte de la PMA. Je n’avais aucune idée de ce qui nous attendait… Naïve, je n’avais imaginé ni les dizaines d’injections ni la douleur occasionnée par les ponctions d’ovocytes, encore moins la torture de l’attente, cet espoir qu’on veut contenir, mais qui grimpe malgré soi et, tous les mois ou presque, cette gifle, toujours plus cinglante à chaque échec.

Une fausse couche comme faux espoirs                                                             

Laurent en a eu marre. Il a voulu changer d’air, déménager. Nantes, c’était ni son fief ni le mien, c’était bien à la mer. J’acquiesce – intérieurement, je ne peux m’empêcher de penser que l’air de la mer donnera au bébé envie de venir. Le fait est que, quelques mois plus tard, je tombe enceinte. Comme ça. Surprise, miracle, les astres, je ne sais pas, mais je suis la plus heureuse des femmes… Pendant sept semaines. Un dimanche, je perds du sang. Beaucoup de sang. On dit « fausse couche », mais qu’est-ce qu’il y a de faux là-dedans ? J’étais vraiment enceinte. J’étais vraiment heureuse. Mon bébé, je l’ai vraiment perdu. J’aurais voulu en hurler de douleur, mais Laurent passait sa main dans mes cheveux, murmurant : « Chhhh… ma chérie, pense à Léon, évite-lui de voir sa super maman si triste… » Alors je me contenais. Prenais des médicaments pour dormir. Me levais comme un automate pour faire le biberon de Léon. Je n’avais qu’une hâte : que Laurent et Léon débarrassent le plancher, que je puisse me retrouver moi, et seule, pour toute la journée. À notre arrivée à Nantes, j’avais cessé de travailler pour me consacrer exclusivement à mon fils et à mon bébé à venir : peu à peu, je me suis déphasée. De Laurent, de nos amis, qui avaient une vie, un rythme, des choses à faire, un quotidien, et l’envie de le vivre. J’en ai honte, et parfois, même Léon m’insupportait. Le retour de mon mec et de mon fils le soir à la maison se passait de plus en plus mal. Ils restaient les êtres que je chérissais le plus au monde, mais ils froissaient mon silence. Et je me détestais de souhaiter si fort leur départ. Comme je détestais mon reflet dans le miroir, j’étais désormais bouffie par les hormones, fanée par les larmes, blanchie par l’aigreur. Je glissais, j’ai coulé.

« Laurent ?Je te quitte »                               

Ma mère m’a rattrapée… À sa façon. Je ne me souviens plus de ses termes exacts, mais, après m’avoir écoutée longuement, elle m’a sorti quelque chose comme : « Tout ça pour une fausse couche ? T’en verras d’autres, tu sais… » Évidemment, elle a dégainé les trois qu’elle avait faites et que je connaissais par cœur. Comme je savais le courage de celle qui, dès le lendemain, était de retour au travail. Je ne l’avais pas, ce courage. Je n’étais pas elle. Et si j’avais pu longtemps le regretter, cette fois, je m’en réjouissais presque : quitte à ne pas lui ressembler, autant ne plus m’exténuer à marcher dans des pas qui n’étaient pas les miens. Ma mère est partie un peu après minuit. Laurent était couché depuis longtemps. Je suis restée dans la cuisine, me suis offert un dernier verre : j’ai trinqué à la liberté toute nouvelle qui allait bientôt être la mienne. « Je vais quitter Laurent. » « Laurent ? Je te quitte. » « Ouh, là là, oui, je vais le lourder, le plaquer, le planter celui-là ! » Je l’ai testée sur tous les tons – sans doute pour me faire à l’idée, et, à chaque fois que je la prononçais, cette phrase me donnait une plume de plus : une heure après, j’avais des ailes. Six mois plus tard, j’étais partie.                

Trouver un appartement, seule. Choisir mon lit, seule. Refaire mes peintures, seule. Comme une grande. Les premiers temps, cette liberté me grisait, sans que je sois tout à fait capable de la cerner. Je vivais cette nouvelle vie avec une joie enfantine, irréfléchie… Et parfaitement égoïste : j’étais incapable de la cacher à Laurent, dont je voyais les cernes se creuser chaque fois que je le croisais. J’avais retrouvé Léon, le bonheur d’être avec Léon, le reste m’importait peu. Jusqu’au jour où j’ai trouvé le teint de Laurent très rose tout à coup. La voix fraîche, l’œil qui frise, et même une nouvelle coupe de cheveux… Je le connais par cœur, l’animal : il était repassé en mode séduction, et je n’étais plus du tout sa cible. Il me l’a d’ailleurs confirmé un après-midi, où, me ramenant Léon, il a pour une fois accepté de partager un café. J’ai voulu sourire, je n’y suis pas arrivée. J’en étais la première surprise… Et je suis repartie pour quelques nuits d’insomnie. Nos derniers mois me sont revenus, parfaitement nets, en mémoire : j’ai atterri. Le lendemain, j’insistais pour que nous déjeunions. Quelques jours plus tard, je m’entendais enfin lui demander pardon : « Tu as pris, Léon a pris, pour ce bébé qui n’arrivait pas. Je n’ai plus rien vu d’autre, et je nous ai oubliés. » J’ai voulu lui prendre la main, il l’a retirée. « Ne te reproche rien. Tu avais raison, je n’ai pas réellement essayé de comprendre ce que tu vivais. Un seul enfant, ça m’allait très bien… Et ça m’allait bien de penser que tu t’en remettrais vite. » J’ai rêvé de l’embrasser. Je me suis retenue : j’avais d’abord envie de refaire connaissance avec mon amoureux.

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page