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C’est mon histoire : « J’ai retrouvé l’amour à 70 ans »

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L’amour, le vrai, je l’avais connu

Mon amie Anne n’arrêtait pas de m’en rebattre les oreilles. D’après elle, il était temps que je me « remette en selle ». Je trouvais l’expression vulgaire mais j’admirais son enthousiasme. La phrase était devenue une blague entre nous. Je la voyais bien, elle, 60 ans bien tassés et un divorce dans les pattes, papillonner sur les sites de rencontres. Car elle avait évidemment essayé de me montrer qu’il en existait dédiés aux seniors. Ces sites, ce n’était pas pour moi. Choisir des photos, rédiger une description, entamer la conversation. Se mettre en selle ne suffisait pas, il fallait carrément se mettre en scène ! À vrai dire, ce n’était pas juste le support qui me gênait. Il y avait un peu plus que ça…

Depuis plus de trente ans que Didier avait été emporté dans un brutal accident de moto, des hommes, par la force des choses, j’en avais rencontré un certain nombre. Passé la période de deuil, celle que la société juge acceptable, des amis, des collègues, des proches, et même mes fils inquiets de me voir seule, s’étaient ligués pour me présenter tel homme nouvellement célibataire ou tel veuf désireux de refaire sa vie. Ces dîners étaient une torture pour moi. Didier, je l’avais aimé. L’amour, le vrai, je l’avais connu. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Aimer, même une fois, c’est une chance. Je me sentais reconnaissante des années qu’on avait partagées, lui et moi. De la famille qu’on avait fondée. Au fond, je n’étais pas aussi seule qu’ils l’imaginaient.

La mort de Didier avait été un choc terrible. Mais je ne m’étais pas effondrée. Les gens autour de moi avaient été surpris de découvrir que de ma douleur j’avais fait un moteur. J’avais décidé de vivre pour deux. C’est ce qu’il aurait voulu. Lui qui aimait croquer la vie à pleines dents. Alors, chaque soir, je lui racontais les paysages que j’avais vus, les gens que j’avais rencontrés. Il adorait voyager. Je m’y suis plongée à corps perdu. Anne est devenue ma complice du bout du monde. On était toutes les deux fans de randonnée. Alors on partait, nos chaussures de marche glissées dans la valise. Une manière parfaite de visiter des pays inconnus, mais aussi de faire des rencontres. Combien de fois, épuisées par une longue journée de trek, on s’étaient réchauffées le soir à une grande tablée. Je voyais Anne darder des yeux vers tel ou tel homme du groupe, me présenter nonchalamment, glisser une blague et s’esquiver comme si de rien n’était. Je jouais le jeu, curieuse de tout et de tout le monde, mais tuais dans l’œuf toute tentative de flirt, évoquant mon Didier avec une émotion intacte. Comme on sort un bouclier. Je la désespérais.

L’intimité qui s’était créée entre nous m’a mise mal à l’aise 

Les îles Éoliennes, ça faisait longtemps qu’on en parlait. À nous qui étions des marcheuses aguerries, l’escalade des volcans ne nous faisait pas peur. On a pris un vol pour Palerme puis cap sur Stromboli. On irait ensuite se reposer dans une petite île toute proche et dédiée au farniente. L’avantage de la retraite, c’est qu’on peut partir hors saison. Octobre dans le sud de la Méditerranée offre encore de belles opportunités de baignades, et les plages sont désertées. Didier aurait adoré ça. Quand nous avons rejoint le petit groupe avec lequel nous devions entreprendre l’ascension du Stromboli, j’ai repéré Claude tout de suite. Il détonnait tant il était tiré à quatre épingles. Sa tenue était d’un goût sûr… mais pas du tout adaptée à la randonnée ! Il se prenait pour qui ! J’ai glissé une remarque acerbe dans l’oreille d’Anne. La suite allait confirmer que Claude n’avait rien d’un marcheur.

Après deux heures à grimper, protégés par la végétation, nous avons abordé une pente plus raide, à nu, sur laquelle déboulaient de petits graviers. Certains novices galéraient. Or ce jour-là, ils étaient plus nombreux que d’habitude. Notre accompagnateur a donc confié aux plus chevronnés le soin de guider les débutants. C’est ainsi que je me suis retrouvée avec le souffle court de Claude, tempêtant dans mon dos, tandis que je l’enjoignais à regarder mes pieds, et rien d’autre. « Essayez de ne pas les quitter des yeux, faites les mêmes gestes que moi. » Les minutes s’écoulaient, de grosses gouttes commençaient à tomber du ciel, je me sentais prise de pitié. On progressait si lentement que j’avais l’impression qu’on n’en viendrait jamais au bout. Arrivés enfin là-haut, devant le spectacle rougeoyant du cratère, l’intimité qui s’était créée entre nous m’a mise mal à l’aise. Je me suis éloignée brusquement, rejoignant les autres et ne lui adressant plus la parole. À la fin de la randonnée, je ne lui ai même pas dit au revoir. Bon débarras. Ce soir-là, à Didier, je ne racontai rien de ma journée, mais sombrai d’un coup dans un sommeil de plomb.

À 70 ans, pas le temps d’attendre 

Trois jours plus tard, nous avons pris comme prévu un bateau pour Panarea où nous devions savourer quelques jours de repos bien mérités. Fin octobre sur cette île destinée aux bains de mer, les hôtels pliaient les parasols, les restaurants avaient baissé le rideau et faisaient leur inventaire. Nous étions une vingtaine de touristes à nous partager le dernier établissement encore ouvert. Une vingtaine de touristes à nous faire surprendre par la tempête qui s’est abattue sur l’île dès le troisième jour. Une vingtaine de touristes, dont Claude. Aucun bateau ne pouvant circuler, nous étions coincés là, sans date de retour et sans grand-chose à faire.

De parties de cartes en assiettes de spaghettis à la tomate – le garde-manger lui aussi commençait à se tarir –, on tuait le temps comme on pouvait. Le patron a fini par ne dresser plus qu’une grande tablée pour nous tous. Le groupe était bruyant et de plus en plus débraillé. Claude, lui, était toujours aussi apprêté. Les polaires que j’avais toujours aimées s’étaient mises à me faire un peu honte. Un soir, j’empruntais son blush à Anne, qui fit mine de ne rien relever. Claude s’asseyait souvent à côté de moi à table. Il me posait des questions sur Didier. M’écoutait attentivement. Je ne le sentais pas rebuté par mes confidences. Il trouvait qu’un amour comme celui-là était précieux. Il en savait quelque chose, lui dont la femme venait de le quitter pour un autre, après des années d’orage. Je me sentais entendue. De retour dans ma chambre, je partageais mes sentiments avec Didier. « Chéri, je crois que j’ai rencontré quelqu’un. » Puis, de conversations tendres en œillades volées, un soir, alors qu’on jouait à la belote dans le réfectoire, j’ai senti une main se poser sur la mienne sous la table. L’amaretto aidant, je ne l’ai pas retirée. Mon désir s’était émoussé avec les années, je l’ai retrouvé non pas intact, mais adouci, coloré d’une tendresse qui me conve- nait bien. Depuis ce soir-là, on ne s’est plus quittés, Claude et moi. La tempête a duré cinq jours. On a raté notre vol retour. Ça n’avait plus d’importance. Aucun patron ne nous attendait à Paris. On s’est tout dit très vite, les mots d’amour, les projets. À 70 ans on n’a pas le temps d’attendre. L’été suivant, on se mariait.

Pour notre voyage de noces, Claude a dû se mettre à la randonnée. Je lui ai offert des chaussures de marche dignes de ce nom. Mais j’ai glissé dans ma valise une robe et un blush… Cela va faire cinq ans qu’on se connaît. Depuis qu’il s’est fait opérer de la hanche, on part un peu moins loin, on monte un peu moins haut, mais on monte quand même. Pour les fêtes, on a prévu de retrouver Anne, mon porte-bonheur, en Auvergne.

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