Santé

C’est mon histoire : « J’ai surmonté la maladie grâce à mon amant »

Une présence rassurante                 

Les dates sont gravées dans ma mémoire. Celles de ma rencontre avec Pierre, de notre séparation, de nos retrouvailles, celles de chaque étape de mon cancer, celles de la fin de la maladie et de notre relation. C’est son amour, son attention et sa tendresse qui m’ont permis de traverser cette épreuve. J’étais mariée et lui en couple. Je l’avais rencontré un jour de décembre. Je venais d’accepter un nouveau job de communicante dans un CHU à Lyon. Je l’y croisais à l’occasion de réunions hebdomadaires. Je ne peux pas dire qu’il m’ait plu physiquement, mais quelque chose en lui me séduisait. Sa présence rassurante, sa capacité à ne rien dramatiser, sa manière de ne jamais dire « non », de toujours trouver des solutions. Une attitude à laquelle j’étais d’autant plus réceptive que cela faisait seize ans que j’étais mariée à un homme pour qui tout était un problème. Aussi, quand Pierre m’a invitée un jour à déjeuner après une réunion, j’ai accepté, mue par l’envie d’en découvrir plus sur lui. Il m’a raconté qu’il avait deux enfants, avait longtemps été marié et habitait une maison en banlieue. Mais, depuis trois ans, sa vie avait pris un nouveau tournant. Il m’a dit sa passion pour la voile, ses virées en solitaire et son envie de faire un jour le tour du monde. Tout cela rimait pour moi avec une forme de liberté et d’indépendance qui me renvoyait à ma vie : mariée, deux enfants, une maison en banlieue ! Pendant ce déjeuner, une séduction diffuse s’est installée et nous avons échangé nos numéros de téléphone. Lors du déjeuner suivant, il m’a proposé de m’envoyer tous les jours une question : Votre plus grand coup de folie ? Le pays que vous avez le plus aimé ? Il m’avouera plus tard qu’au regard de sa grande timidité, c’était sa manière de m’approcher. Ce jeu me plaisait et alimentait les conversations de nos rendez-vous devenus réguliers.

Trois jours idylliques                                                       

Le 21 juin, il m’a proposé que nous nous retrouvions à la Fête de la musique. Il ne fut pas difficile de dire à mon mari que je rejoignais une amie. Cela faisait si longtemps qu’il ne me posait plus de questions, absorbé ailleurs. Ce soir-là, Pierre m’a pris la main et nous avons déambulé ainsi dans les rues de Lyon, avant de nous dire au revoir sans un baiser. J’étais déçue, même s’il m’avait livré un jour qu’il avait une femme dans sa vie, chacun habitant chez soi. Et puis, en juillet, alors que j’étais en plein déménagement, toute ma famille en vacances et que lui aussi visiblement était célibataire, il m’a invitée à le rejoindre chez lui. Nous avons vécu trois jours idylliques, coupés du monde. Notre histoire a commencé là, en connaissance de cause : nos vies étaient ailleurs, pour l’un et l’autre. Il n’empêche, la douceur, la joie, l’authenticité se sont imposées comme le fondement de cette relation. L’absence de mensonge, aussi. En septembre, il ne m’a pas caché que sa compagne voulait un enfant. Mais les choses se sont compliquées quand cette dernière a appris notre liaison. Il voulait recoller les morceaux sans mettre un terme à notre histoire. C’était injouable. Il était moins libre, et une distance entre nous s’est installée. Elle s’est creusée encore car j’ai changé de CHU. Voilà comment notre histoire s’est délitée, doucement, sans ressentiment.               

Et puis, l’année suivante, la maladie est entrée dans ma vie du jour au lendemain. C’était le 25 août, à la fin des vacances. Ce matin-là, je me suis levée avec la sensation d’avoir une boule dans le vagin. J’ai tout de suite pensé descente d’organes. Dix jours plus tard, j’avais rendez-vous avec ma gynécologue qui m’a envoyée en urgence faire une échographie. Le jour même, Pierre me laissait un message pour avoir des nouvelles, « les vacances, la rentrée… » Je lui ai immédiatement raconté mon problème et mes inquiétudes, et nous avons convenu de déjeuner ensemble la semaine suivante. Entre-temps, l’échographie avait livré son verdict. Ma gynéco m’avait arrangé un rendez-vous avec un professeur renommé. Quand ce dernier m’a annoncé un cancer de l’utérus, ma voix se superposait à la sienne. Je n’arrivais pas à entendre l’impensable et continuais à lui parler de ma descente d’organes…                

Lorsque j’ai retrouvé Pierre pour ce déjeuner, j’étais défaite, je m’étais mise à saigner démesurément, j’appréhendais les traitements à venir et leurs conséquences. Il m’a pris la main et m’a dit : « Inès, je veux être là pour vous. » J’ai tout de suite su que je pourrais m’appuyer sur lui. Quelques jours plus tôt, mon mari s’était effondré. Je ne pouvais pas lui en vouloir, mais je savais que pour défier la maladie j’avais besoin de m’entourer de gens forts qui pourraient me porter, m’aider à voir la lumière quand le chemin s’obscurcirait. Le 22 septembre, on m’a annoncé mon traitement : chimiothérapie et radiothérapie à haute dose. Mon cancer était d’une forme très rare et agressive, et le risque de métastases élevé. J’étais jeune – 47 ans – et ils allaient mettre la dose pour « exterminer la tumeur », avaient-ils dit. Sachant que j’allais perdre mes cheveux, j’ai pris rendez-vous dans le plus grand salon de coiffure de Lyon pour une coupe de garçon. Je voulais anticiper. Pendant que mes longues mèches blondes se répandaient sur le sol, des larmes coulaient le long de mes joues. Le lendemain je retrouvais Pierre et j’ai perçu dans son regard la dernière chose à laquelle je m’attendais : du désir. Depuis que j’étais malade, je me sentais dépossédée de tout ce que j’étais, et mon sexe n’était plus synonyme d’amour et de désir, mais de mort. Avec ce regard, Pierre me restituait ma féminité, me sortait de cette position exclusive de malade. « On ne peut pas attendre d’être guéri pour être heureux », m’avait-on dit. Il serait pour moi la vie, la possibilité d’arracher des bribes de bonheur à l’adversité. Trois semaines plus tard, il me donnait rendez-vous chez lui. Depuis, j’avais perdu mes cheveux et portais une perruque. Délicatement, il a noué un foulard autour de mes yeux, pressentant que je n’étais pas encore prête à son regard sur mon corps déjà marqué par les traitements. À chaque fois sa tendresse me ramenait à la vie. J’avais choisi de ne le voir que lorsque les effets secondaires de la chimio et de la radiothérapie s’estompaient, jamais quand j’étais au plus mal. Il le savait, le respectait. Nos rendez-vous étaient des parenthèses hermétiques à ma douleur, à mes angoisses et à nos vies affectives – sa compagne attendait un enfant, je commencerais bientôt une thérapie de couple avec mon mari. Une question de survie avant tout.

« Je me sentais vivante »                              

Mes traitements ont duré neuf mois, clos par une hystérectomie. Je n’avais plus une seule cellule cancéreuse. J’étais guérie. Il est la première personne à qui j’ai annoncé la nouvelle. Nous étions en juin et, entre-temps, sa compagne avait accouché. Je savais que cet enfant et la fin de ma maladie refermeraient notre parenthèse. J’étais prête, car ce mot de guérison m’emmenait ailleurs. Dans les retrouvailles avec mes amis, mes enfants, dans la nécessité d’y voir clair dans mon couple. Je mesurais combien, avec mon mari, nos chemins avaient divergé, irrémédiablement. Dans le désir de retrouver mon job. L’envie de faire le tour du monde taraudait à nouveau Pierre. Il est parti en novembre. Nous nous sommes donné rendez-vous avant son départ. Pendant un an, je m’étais raccrochée à lui, à notre histoire, à la sexualité aussi, sans doute parce que plus que jamais j’avais besoin de me sentir vivante. Je tenais à lui dire à quel point il avait été indispensable et miraculeux dans ce combat. Sa réponse a tenu en une phrase : « Vous m’avez été essentielle. » Sans savoir pourquoi, je l’avais ressenti tout au long de notre histoire. Aujourd’hui, il est revenu à sa vie de couple. Moi, je suis en instance de divorce. Mais, surtout, la vie continue.

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