Santé

C’est mon histoire : « Le chamanisme a guéri mes blessures familiales »

DU CLICHÈ à la réalité

Un gîte au cœur de la Drôme sauvage. Face à moi, des champs et des forêts. Au loin, des montagnes ancrées dans l’éternité. Nous sommes en novembre 2021. Les premiers frimas ont fait leur apparition. Heureusement, j’ai glissé des vêtements chauds dans ma valise. Moi, la docteure en biologie, qui fais de la recherche clinique en Allemagne, je vais m’initier au chamanisme. Oui, on m’imagine plus volontiers en train de scruter des études dans des revues scientifiques qu’en état de transe. L’un n’empêche pas l’autre. Et puis je déteste les étiquettes. Pourtant, il y a encore quelques années, ma vision du chamanisme, c’étaient des gens déguisés en Indiens, frappant sur des tambours autour d’un feu. Les livres de Corine Sombrun, initiée au chamanisme en Mongolie, ont torpillé ce cliché. Peu à peu, j’ai pris conscience que cette pratique permettait d’expérimenter des états de conscience modifiés. D’avoir accès à d’autres réalités. De renouer des liens avec le vivant au sens large : notre corps, notre âme, nos ancêtres… À un moment donné, c’est devenu une évidence : je devais me jeter à l’eau. Ou plutôt plonger dans un bain d’eau glacée. Restait à trouver le lieu qui m’accueillerait pour cette grande aventure intérieure.

RESTAURER SES LIENS avec le vivant

Hasard ou pas, je suis tombée sur l’interview d’un célèbre psychiatre, qui citait deux écoles françaises dédiées au chamanisme. Les seules dignes de ce nom, selon lui. Je me suis attardée sur leur site. J’ai tout de suite été enthousiasmée par l’une d’elles. J’étais en confiance. C’est important, la confiance : le chamanisme rassemble des pratiques très hété- roclites, des plus sérieuses aux plus farfelues. Il peut aussi être le repaire de sectes, j’en suis bien consciente. Mais, là, j’avais peu de craintes, je me sentais en sécurité. Je me suis donc inscrite à un stage de trois jours. J’ai été accueillie avec beaucoup de chaleur par la femme médecin, directrice de l’école, et son équipe. Quant aux stagiaires, ils connaissaient quasiment tous le chamanisme. Malgré ma grande curiosité, j’avais un peu d’appréhension. Moi, la néophyte, comment allais-je vivre cette expérience ?

Dès le premier matin, nous voici immergés dans la nature. Normal : c’est grâce à ses res- sources que nous allons réparer nos liens au vivant. Nous déposons à tour de rôle une offrande à l’esprit du lieu : pour moi, c’est un morceau de bois glané lors d’une précédente randonnée. Puis vient l’Appel aux directions, un rituel dont l’objectif est de convoquer les esprits ressources, qui sou- tiennent nos intentions, apportent à la fois puissance et guérison tout au long du stage. Je me tourne donc successivement vers l’est, le sud et l’ouest en me concentrant à chaque fois sur la beauté de la nature, tout en me sentant un peu étrangère à ce qui m’entoure. Enfin je m’oriente vers le nord. Et là, je pleure à chaudes larmes, sans comprendre pourquoi. Des images des pays du Nord que j’aime tant affleurent. J’ai honte de mes larmes, je tente de les masquer au groupe. Vient ensuite le choix de notre allié nature : un magnifique hêtre m’appelle. Je me recueille auprès de lui.

DES JEUX DE RÔLE thérapeutiques

De retour au gîte, nous déposons des objets sur l’autel, au centre de la pièce. La consigne : être à l’écoute de son ressenti lorsque chacun dépose le sien. J’observe. Je ressens la présence des autres. Et aussi l’inconfort d’être assise à même le sol ! Puis, au son du tambour, nous effectuons une pratique d’enracinement pour sentir le battement de cœur de la Terre. Vient le moment tant attendu : le rituel des constellations chamaniques. Des jeux de rôle permettant de guérir les liens blessés. L’idée est que chacun choisisse un stagiaire qui va représenter tantôt sa terre natale, tantôt son âme, tantôt sa famille… Je demande à Charlotte d’être ma terre de Berlin. Je la regarde droit dans les yeux. Des larmes roulent sur mes joues. Je suis bouleversée. Le lendemain, nous bougeons au rythme d’une musique. La femme médecin nous parle, mais il m’est impossible de me concentrer sur ses paroles. Un flot de larmes, encore.

Cette fois-ci, j’en connais la raison. J’ai peur. Pour ma mère. Ma mère si fragile, que j’ai portée durant toute mon enfance. Ma mère, qui a fait une tentative de suicide quand j’avais 8 ans. J’évoque cet événement traumatisant, suscitant de vives émotions parmi les stagiaires, dont certains revivent en écho la douleur de leur enfance. Moment de par- tage. Libérateur. Le soir, mes paupières sont toutes gonflées, et douloureuses. J’ai envie de fuir. Je me glisse sous la couette dans l’espoir d’un sommeil réparateur. Au petit matin, un rêve étrange m’enveloppe : tout est gris autour de moi. Le sol et les murs n’existent plus. Un no man’s land total. Le lendemain, nouvelle constellation avec le groupe : cette fois-ci, ma mère est accrochée à mon bras, en pleurs. Je lui tiens la main. Elle finit par rejoindre ses ancêtres. Son visage devient lumineux, elle est transfigurée. Enfin heureuse. Un peu plus tard, je revis en images un cauchemar récurrent de mon adolescence : je suis terrifiée à l’idée de la survenue d’une autre guerre entre la France et l’Allemagne. Une résonance évidente avec mes racines franco-allemandes.

UN ANIMAL TOTEM merveilleux

Le stage s’achève. C’est le temps des adieux. Je me suis nourrie de toutes ces rencontres terrestres et invisibles. Je regagne l’Allemagne avec un sentiment de libération et de devoir accompli. Je sais désormais qu’il me faut plonger dans le passé. Direction le village natal de ma mère, que je ne connais pas encore. Là-bas, sur un monument aux morts, se détachent les lettres du nom de mon grand-oncle maternel. J’ai des visions de feu. La douleur de mon arrière-grand-mère et de ma grand-mère étreint mon corps. Une vague de tris- tesse m’envahit subitement. J’appelle à la rescousse mon animal totem, mon guide le plus précieux. Il symbolise notre nature la plus profonde et instinctive. J’ai fait sa connaissance au cours de voyages chamaniques, au son du tambour. Pour le rejoindre, je suis descendue dans le monde d’en bas. Les deux premiers voyages m’ont laissée sur ma faim : il n’était pas au rendez-vous. Je commençais à m’impatienter lorsqu’il m’est enfin apparu : un fauve magnifique, à la fois doux et puissant. Ses réponses me parviennent sous forme d’images, de ressenti corporel… Parfois je peine à les décrypter. Qu’importe, avec lui à mes côtés, je ne serai plus jamais seule.

La connexion peut avoir lieu à n’importe quel moment : il me suffit de poser mon casque audio sur mes oreilles et d’écouter le rythme du tambour. Quelque temps plus tard, ma mère est décédée. Nous avons organisé une grande fête en sa mémoire, réunissant mes familles française et allemande. J’ai senti instinctivement que certaines blessures de mes ancêtres étaient guéries. Aujourd’hui, je poursuis mon parcours chamanique. Quand on me demande « Qu’est-ce que cette initiation a changé dans ta vie? », je réponds qu’elle n’a pas entraîné des changements magistraux, mais subtils. La joie a remplacé les accès de tristesse. Moi qui n’osais pas danser par peur du ridicule, je me suis récon- ciliée avec mon corps en mouvement. Je prends plaisir à chanter. Je n’aurais pas imaginé que ma voix puisse être si puissante. Le grand mystère de la vie et de la mort ne m’a certes pas été dévoilé. Mais j’ai une certitude : la dimension sacrée et éternelle de l’humain est une réalité. Je l’ai vécue dans mon corps et dans mon âme.

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