Santé

C’est mon histoire : « Nous nous sommes longtemps désirés sans nous voir »

CAROLINE

« Notre première rencontre, je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai imaginée. Des scénarios, dans ma tête, j’en ai inventé des tonnes depuis 15 ans que l’on s’écrit. J’adorais ça. Version 1. Une  chambre d’hôtel, lumière tamisée pour atténuer le choc, je laisse la porte entrouverte, il arrive, on se déshabille sans un mot. Il faut dire que des mots, on a en a échangé tellement avec Sébastien au fil des années. Des mots, on n’avait que ça pour se toucher. Quand je lui ai envoyé un premier message sur Facebook, je n’aurais jamais pu imaginer la suite. On avait été dans la même classe en terminale. Une bande bruyante, un petit baiser avec la langue un soir, rien de bien original, on ne se connaissait pas plus que ça. C’étaient les débuts de Facebook et j’avais recontacté tous les anciens copains. Mais, avec lui, un mail en a appelé un autre puis un autre et on n’a plus cessé de s’écrire. Il y a eu les confidences. Et puis il y a eu les photos. Une main. Une bouche. Une hanche. Un sexe. Notre petit univers virtuel est vite devenu aussi torride que tendre. Il était surtout secret. Personne n’était au courant de notre drôle de relation. 

Version 2. Le rendez-vous est fixé dans un café. Je le découvre assis, bien au fond, pour ne pas risquer d’être vu. Je m’installe face à lui, le ventre noué. Rien ne sort. Paralysée. Moi qui suis intarissable à l’écrit, devant lui je n’y arrive pas. C’est qu’avec le temps, il est devenu mon journal intime, mon ami imaginaire, mon intenable fantasme. Tout. Je lui dis tout. Surtout ce qui est un peu honteux. Je teste. Comme on ne se voit pas, j’ai besoin d’être honnête. Il se moque souvent de moi à ce sujet. Il me trouve exaltée.

Version 3. On se croise dans la rue par hasard. Il est avec sa femme. Moi avec mon mari. Je suis penchée sur la poussette dans laquelle gazouille ma fille. Cette grossesse, c’est à lui, en premier, que je l’ai annoncée. Comme chaque événement important de ma vie, mes nouveaux jobs, mon burn-out, mes amitiés, et les décès dans ma famille. Nos yeux se croisent au milieu des passants. On continue de marcher, comme si de rien. Plus tard, on s’envoie un mail pour en rire.

Aimer c’est attendre

Des scénarios comme ça, j’en ai écrit des milliers, parce qu’aux rendez-vous que j’ai fixés, pour de vrai, il n’est jamais venu. Pas une fois en quinze ans. J’ai lu quelque part qu’aimer c’est attendre. Si c’est vrai, je n’ai jamais aimé personne comme je l’ai aimé lui. Alors je l’imaginais, dans le métro, au boulot pendant les réunions, à table en famille, et dans mon lit bien sûr. Mes proches me reprochaient ces moments d’absence. J’avais fini par trouver excitantes les lettres de son nom, toutes en minuscules, qui annonçaient ses messages dans ma boîte mail. Il n’avait pas de visage. Les photos qu’on échangeait, j’en faisais des puzzles que je combinais avec des souvenirs vagues du lycée.

Et sans crier gare, il est venu

Puis avec les années, fatalement notre relation a pris une tournure moins urgente. Elle est aussi devenue plus profonde. Quand je me suis séparée de mon mari, il a été très présent pour moi. Désormais je pouvais le voir sans m’en cacher, mais j’avais fait le deuil de cette rencontre physique. Alors, quand il a sonné à ma porte sans prévenir un lundi matin, ça a été un choc. C’était le printemps. J’ai vu son visage déformé dans le judas. Je lui ai servi un café, on a parlé longtemps. Les mots venaient simplement, comme si on s’était vus la veille. Ça ne correspondait à aucun de mes scénarios. Puis il m’a embrassée, conduite jusqu’au lit. Bizarrement je ne m’y attendais pas. J’étais en dehors de mon corps. Incapable du moindre geste. J’essayais d’emboîter les pièces du puzzle. Le cou, avec l’oreille. Tous les fantasmes se superposaient. Sur son menton, il y avait un poil qui s’était glissé sous la peau. Ça faisait comme un petit bouton d’ado. Et je ne sais pas pourquoi c’est cette image qui m’a enfin fait lâcher prise. »

SÉBASTIEN

« La voir était hors de question. Parfois notre relation me faisait honte. À quoi ça rimait ? Qu’en diraient mes amis s’ils le savaient ? Écrire, presque tous les jours, à une femme qu’on ne voit pas, c’est puéril. De temps à autre, mortifié par la situation  je lui disais « oui, cette fois, je viens. » Mais au moment de quitter la maison, je voyais le foulard de ma femme accroché au portemanteau et je renonçais. Pourtant, je savais bien que toutes ces fois où j’ai joui en pensant à elle, ça cochait mal la case fidélité. J’avais essayé d’y mettre un terme à plusieurs reprises, sauf que c’était plus fort que moi. Avec elle, je me sentais vivant. Ma mauvaise conscience s’en accommodait. Mais la voir pour de vrai, c’était une autre histoire.

UN DÉSIRABLE désir

J’avais peur. Il faut bien le dire. Peur d’elle et peur de moi. Je sentais en elle un désir terrifiant. J’adorais ça autant que je le redoutais. J’avais du mal à croire que j’en étais l’origine. Sa vie, qu’elle partageait tous les jours avec moi, elle la peignait sous des couleurs si crues. C’était décousu, bavard, un poil naïf, parfois je me demandais si elle n’inventait pas un peu. À côté, je me trouvais terne. D’ailleurs, je ne savais pas toujours quoi répondre à ses mails. J’espérais qu’elle mettait ça sur le compte de la pudeur ou de l’indifférence. Mais, si elle me rencontrait en chair et en os, elle verrait ce vide au fond de moi.

L’idée qu’elle couche avec son mari me rendait dingue

Au lycée déjà, elle me faisait un peu peur. Je ne le lui avais jamais avoué, je crois qu’elle n’aurait pas compris. On n’était pas du même milieu. Sans l’alcool, je n’aurais jamais osé m’approcher d’elle ce soir-là. C’était une fête, on avait 17 ans et on se draguait un peu tous. C’était sa copine dont j’avais envie en réalité. Mais les traits de son visage, vingt ans plus tard, je m’en souvenais avec précision. Même à travers l’écran, sa présence était tellement réelle, envahissante parfois, que je n’avais pas besoin de plus. C’était la bonne distance. Il y avait juste l’idée qu’elle couche avec son mari qui me rendait dingue quand j’y pensais. J’évitais de le faire. Sauf qu’un jour, son mari est parti. Je pourrais l’avoir rien qu’à moi. Je trouvais cette idée vulgaire. Mais elle restait quelque part dans ma tête. Je jouais avec, puis la chassais. J’aimais ma vie de famille. Je ne voulais pas prendre de risque. Mais quand elle m’a parlé de quelqu’un d’autre, un homme qu’elle venait de rencontrer, je n’ai pas supporté. Les mots ne suffisaient plus. J’y suis allé comme on part en guerre. Avec un objectif, un plan de bataille. J’ai pris le métro. C’était bizarre de voir à quel point on habitait près l’un de l’autre. Évidemment, le trajet m’a semblé interminable. Devant sa porte, évidemment encore, j’ai eu un gros vertige. Quand elle a ouvert, je l’ai trouvée plus jolie que dans mon souvenir. Je n’avais plus peur. »

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