Santé

Développement personnel : le vrai du faux, par une Docteure en philosophie

ELLE. Comment expliquez-vous le succès, aujourd’hui, du développement personnel ?               

JULIA DE FUNÈS. C’est la suite logique de l’histoire des idées. Dans l’Antiquité, réussir sa vie impliquait de trouver sa place, son « topos » dans le cosmos. Avec les religions monothéistes, il s’agissait d’obéir aux commandements divins. Sous la noblesse, la réussite était une condition indépendante de la volonté : on naissait prolétaire ou bourgeois, et notre existence en dépendait. Dans le monde démocratique, ces autorités se sont progressivement effondrées, et l’individu se retrouve seul face au vertige du « sois toi-même et réussis ta vie ». De sorte que l’on comprend très bien le besoin d’outils, d’aides en tout genre, dont le développement personnel fait partie. 

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ELLE. La promesse d’un mieux-être ne serait qu’illusion ?                 

J.F. Pas toujours, mais prenons l’exemple de la rapidité. Si l’on en croit certaines offres de formation et certains ouvrages, changer en mieux ou atteindre le bonheur pourrait se faire vite, et par notre seule volonté. Par quel miracle peut-on devenir authentique en trois semaines ou gagner confiance en soi en dix leçons ? Ces propositions, ces modes d’emploi simplifient à outrance les comportements humains, trop complexes et singuliers pour être réglés par des recettes comportementales et, qui plus est, applicables à tous, ce qui est un comble pour du développement dit « personnel ».                                                                                       

ELLE. Nous nous disons souvent qu’au pire ces ouvrages ne peuvent pas faire de mal…                 

J.F. Malheureusement, ce n’est pas toujours vrai, et un certain nombre de personnes se sont retrouvées chez le psychiatre après avoir été détruites par des amateurs. Car ce n’est pas parce que cela fait du bien à certains que c’est une bonne chose, à l’instar du shit, de l’alcool ou de beaucoup d’autres addictions ! Le rôle du philosophe est de questionner l’existant : est-ce que ce vers quoi l’on se rue aujourd’hui est intellectuellement recevable et existentiellement valable ? Avec ces techniques, est-ce que l’on ne trompe pas les esprits davantage qu’on ne les éclaire ? Si oui, comment se libérer ?                

ELLE. Comment parvenir à être plus heureux, alors ?               

J.F. Si j’avais la recette, je serais moi aussi sur les rayons « développement personnel » ! Je ne crois en fait à aucune méthode, je ne crois qu’à l’activité et aux rencontres. Quand je dis activité, je pense à tous les genres d’activités, qu’elles soient manuelles, sportives, artistiques, intellectuelles… Du moment qu’elles nécessitent de l’effort et de la patience. Prenons l’exemple du sport. On ne vous promettra jamais d’atteindre un très bon niveau en un temps court. Les débuts sont durs, longs, parfois même humiliants, mais l’on apprend à se « densifier » soi-même, en agissant sur soi et en se confrontant au réel. Surtout, on apprend à échouer, ce qui va totalement à l’encontre du positivisme rabâché dans les ouvrages de développement personnel et du discours de certains coachs. Je n’envisage pas le bonheur comme le résultat d’une « écoute » ou de différentes techniques comportementales avec des conseils bien avisés, mais comme la conséquence d’une action, d’une mise en mouvement, d’une énergie dépensée.                

ELLE. Si l’on vous écoute, il s’agit donc de privilégier le passage à l’action ?                

J.F. L’introspection peut avoir des vertus, mais tomber dans l’excès me semble mortifère pour le « développement personnel », c’est-à-dire le déploiement de la personne que l’on est. Le « connais-toi toi-même » socratique est d’ailleurs très souvent galvaudé et envisagé, à tort, comme un mouvement de recentrage sur soi, alors que c’est exactement l’inverse : l’idée consiste justement à ne pas tomber dans du psychologisme, mais de trouver sa place dans l’univers. C’est une ouverture vers l’extérieur plus qu’un retournement intérieur. C’est pour cela que les activités, les rencontres, tout ce qui permet de « sortir de soi » procure parfois plus de sève à notre être que n’importe quelle procrastination narcissique.                                            

Julia de Funès est l’autrice, notamment, de « Développement (im)personnel » (Éditions de l’Observatoire).

                                            

                

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