Santé

Le cercle vicieux du syndrome de l’infirmière en couple : « Je me suis oubliée et j’ai sombré »

« Dès le début de notre relation, j’ai perçu des signes d’instabilité psychologique chez Julien*. Je me suis dit que je pouvais l’accompagner, le comprendre, et qu’il finirait par guérir avec moi. » Rose*, 33 ans, s’est souvent tournée vers des hommes tourmentés, avec un besoin viscéral de les sauver. Cette jeune femme était encore étudiante quand elle a rencontré son partenaire de l’époque. « En période d’examens, je donnais tout pour qu’il se sente bien, révise correctement, arrête les excès pour réussir ses partiels. Cette volonté de le sauver a eu un impact sur mon propre cursus : je me suis plantée à plusieurs reprises dans mes examens. » Ce comportement altruiste est typique du syndrome de l’infirmière dans les relations amoureuses. Une attitude qui peut affecter le bien-être, avant même que l’on s’en aperçoive.

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Négliger son propre bonheur 

« Le syndrome de l’infirmière se caractérise par un besoin compulsif de sauver les autres en oubliant de se sauver soi-même, au détriment de sa propre santé mentale et émotionnelle », explique Christèle Albaret, psychosociologue et autrice du livre « La charge émotionnelle, comment s’en libérer » (Éd. Larousse). La frontière entre le syndrome de l’infirmière et le syndrome du sauveur est mince : le premier aide les autres par empathie, tandis que le second veut se sentir valorisé. En 1968, le psychologue Stephen Karpman a modélisé les échanges relationnels entre le sauveur, la victime et le bourreau, à travers le « Triangle dramatique ». Contrairement au syndrome du sauveur, celui de l’infirmière n’implique aucune relation triangulaire : il y a celui qui aide, et celui qui reçoit. Toutefois, « ces deux comportements ont en commun le risque de négliger ses propres besoins », précise Christèle Albaret. En effet, l’altruisme excessif, exploré par le psychologue américain Thomas Joiner, contribue à des niveaux élevés de stress et d’épuisement émotionnel.

Pauline, 32 ans, en a également fait les frais. « Mon ex-copain était très névrosé, livré à lui-même. Je me suis accrochée au fait que je pouvais lui apporter mon soutien. Je me livrais aussi beaucoup par la même occasion, ce qui était très dangereux. Ce cercle vicieux a duré un an et demi. » Une situation d’autant plus insidieuse que le couple travaillait dans la même entreprise. 

« Je pensais qu’aider quelqu’un boosterait mon estime de moi, et me permettrait d’obtenir de la reconnaissance »  

Pauline pensait se complaire dans ce rôle d’infirmière. Pourtant, cette relation qui prenait de plus en plus de place dans son quotidien a profondément nui à sa santé mentale. « Il fallait sans cesse que je veille sur lui, parce qu’il pouvait flancher à tout moment. Je craignais tellement qu’il lui arrive quelque chose que je sortais avec lui jusqu’à 5 heures du matin, et me levais à 7 heures pour partir au travail. Je me suis oubliée et j’ai fini par sombrer avec lui. » Pour Pauline, cette relation était d’autant plus toxique que son manque d’affection n’a jamais pu être comblé. « Je pensais qu’aider quelqu’un boosterait mon estime de moi, et me permettrait d’obtenir de la reconnaissance. Avec du recul, ce n’était que pour flatter mon égo. Malheureusement, il était incapable de m’aimer quand j’en avais besoin. » 

« J’ai accepté d’être humiliée, salie, menacée, tout en le préservant jusqu’au bout » 

Cette histoire fait écho à celle de Lison*, 28 ans. Cette jeune femme a souffert du syndrome de l’infirmière dès sa première histoire d’amour, à l’adolescence. Son compagnon de l’époque a grandi avec une mère « instable psychologiquement », et un père absent. « J’essayais de combler au mieux ses envies et ses besoins. Je le rassurais quotidiennement, notamment sur son poids quand il en avait besoin, et je l’accompagnais à la salle de sport quand il prenait la décision de se remettre en forme. Je lui prouvais que je l’aimais par des actes significatifs pour lui mais pas pour moi – il était extrêmement jaloux. » Pour apaiser ce manque de confiance en lui, et tenter de lui redonner goût à la vie, Lison a encaissé les violences verbales et morales. « J’ai accepté d’être humiliée, salie, menacée, tout en le préservant jusqu’au bout. Je me suis même interdit d’en parler à mes proches pour ne pas nuire à son image – la mienne n’avait pas d’importance. » Cette relation destructrice et à sens unique a duré huit ans. « Le syndrome de l’infirmière peut nous plonger dans des situations toxiques dont il est difficile de sortir. Derrière cette peur de dire non se cache la peur du rejet ou de l’abandon », explique Christèle Albaret. 

Un scénario semblable à ce que Pauline a vécu : « J’ai voulu assurer tous les rôles : la psy, la compagne, l’amie, la sœur, la mère… Mais ce n’est pas ça le couple, encore moins quand notre partenaire est sur le point de nous détruire. » Face à ces témoignages, une question subsiste : le syndrome de l’infirmière touche-t-il uniquement les femmes ? 

Répondre aux attentes socioculturelles 

Le syndrome de l’infirmière peut concerner tout le monde, tout âge confondu, même si certaines personnalités sont plus susceptibles de le développer. « Ce sont souvent des individus empathiques, sensibles, qui cherchent l’approbation des autres. Les personnes touchées par ce syndrome indexent leur propre valeur en fonction du volume d’attention donné à l’autre », indique Christèle Albaret. Si ce phénomène touche autant les hommes que les femmes, « il peut être plus visible chez la gent féminine en raison des attentes socioculturelles qui leur sont imposées. Les femmes sont souvent encouragées à être attentionnées et à prendre soin des autres. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer l’impact sur les hommes », insiste la psychosociologue. 

« J’étais prête à me sacrifier pour qu’on soit mieux après » 

Les personnes touchées par le syndrome de l’infirmière peuvent rester plusieurs mois, voire plusieurs années dans le déni. « Je me disais qu’à l’avenir, notre relation ne serait que plus belle parce qu’on aurait surmonté tous ces moments difficiles. J’étais prête à me sacrifier pour qu’on soit mieux après », confie Lison. Alors, quels sont les signaux d’alerte et comment sortir de ce cycle infernal ? 

Plusieurs signes permettent d’identifier le syndrome de l’infirmière : l’épuisement, la négligence de ses propres besoins, la difficulté à établir des limites, le sentiment de ne jamais faire assez pour les autres et le fait de toujours chercher à aider même lorsque cela nuit à sa propre santé. Plusieurs symptômes, tels que l’anxiété, le stress, les problèmes de sommeil, les crises d’angoisse, les troubles du comportement alimentaires (TCA) et la dépression peuvent en découler. Ce phénomène a également tendance à isoler. « Je donnais tout pour lui en laissant ma vie et mes amis de côté », déclare Rose.

Se détacher pour mieux s’émanciper 

« Apprendre à dire non, établir des limites claires, travailler sur l’estime de soi pour reconnaître ses besoins » font partie des clés pour se détacher de ce type de relation inconfortable, ajoute Christèle Albaret. Pour effectuer ce travail sur soi, il peut être judicieux de consulter un professionnel. Parfois, il suffit aussi d’un déclic pour partir. « Un beau jour, il a quitté l’appartement sans explication. Il est revenu deux ans après et j’ai décidé de lui laisser une chance. Puis j’ai pris conscience que je ne pourrais jamais le sauver, et ses parents m’ont conseillé de fuir loin de lui. Ils m’ont été d’une aide cruciale », raconte Rose. De son côté, Pauline est parvenue à se libérer de cette relation, lorsque leurs chemins professionnels se sont séparés. « On ne travaillait plus ensemble. Progressivement, j’ai compris que je ne pouvais plus me faire bouffer par cet homme qui avait tendance à me rejeter, et soigner mes blessures à travers les siennes. Alors, j’ai consulté une hypnothérapeute pour m’en sortir, en coupant définitivement les ponts. »

Il n’est pas toujours évident de tout envoyer valser sans jamais se retourner. « Après notre rupture définitive, il a tenté de revenir plusieurs fois. Je répondais présente en me disant qu’il y avait peut-être encore quelque chose à sauver. En fait, j’avais l’impression de faire une bonne action pour les prochaines filles qu’il rencontrerait », explique Lison. Une histoire qu’elle laisse derrière elle, et qui lui a permis de se construire. « Mes relations suivantes ont été très différentes. Aujourd’hui, j’ai l’impression de me connaître par cœur : je sais ce dont j’ai besoin, ce dont j’ai envie, ce qui me fait du mal, ce qui me rend forte. Finalement, j’ai été enfermée en prison pendant des années, à m’occuper de quelqu’un qui me faisait du mal. Mais c’était pour mieux m’envoler… »

(*) Les prénoms ont été modifiés. 

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