Santé

Les hommes aussi ont leurs complexes : « chez nous, il n’y a pas de ‘j’ai des courbes' »

« C’est vrai que les hommes, sur les complexes, c’est un peu l’omerta. Personne en a si tu demandes, et pourtant tous les hommes sont pareils », déclare Amaury, 25 ans. En effet, les complexes ne sont pas qu’une histoire de femmes. Les standards de beauté de notre société pèsent sur elles en leur faisant comprendre qu’elles se doivent d’être grandes, minces et élégantes. Mais, des injonctions pèsent également sur la gent masculine, puisque la société a construit l’image d’un homme fort, viril et ne montrant que peu ses émotions.  

Mais c’est quoi un complexe ?  

Un complexe est un ensemble de représentations lié autour d’un thème selon Stéphanie Torre, psychanalyste. « Cet ensemble agit de manière consciente et inconsciente. La plupart du temps, il est formé autour d’un mot ou d’une histoire familiale, dans les souvenirs infantiles ou à l’adolescence. Quelque chose va amener à se focaliser sur ce complexe. Il vient généralement d’une parole que l’autre a posé sur notre corps, notre apparence ou notre façon d’être et qui laisse des marques », explique-t-elle.  

Il existe différents types de complexes, que ce soit physiques, intellectuels, d’infériorité, ou même sociaux. Un individu ayant des parents ouvriers qui accède à un poste universitaire sera plus enclin à souffrir de ce genre de complexe suite à cette ascension sociale. Parfois, le complexe permet de situer toute son angoisse sur un point précis pour masquer un problème plus profond. Stéphanie Torre nous a donné un exemple : « Pendant que je me focalise sur mes seins, je ne m’interroge pas sur ma vie amoureuse ou mon avenir professionnel. » Certains complexes comme la timidité peuvent s’estomper au fur et à mesure des périodes de la vie mais c’est aussi en en parlant.  

Selon la psychanalyste, les femmes et les hommes sont égaux face aux complexes, ils ne sont simplement pas symétriques. Les femmes sont plutôt tournées vers leur représentation et leur image. Entre elles, elles discutent de leur apparence physique, elles s’en plaignent et ne ratent pas une occasion pour se critiquer. De leur côté, les hommes sont davantage préoccupés par les questions de pouvoirs, et vont complexer devant quelqu’un qui réussit mieux.  

Mais les hommes ne complexent pas seulement sur leur physique, ils sont nombreux à se considérer trop sensibles et trop anxieux. 

« Les hommes souffrent en silence » 

Leurs difficultés à parler de leurs émotions pèsent d’ailleurs dans la balance. La gent masculine a tendance à rester discrète face à ses complexes. « Les hommes souffrent en silence », souligne Nicolas, 29 ans. Et ce silence vis-à-vis de leurs complexes est souvent dû à une éducation genrée, qui laisse les filles extérioriser leurs souffrances mais apprend aux garçons à être « forts ». Pour la psychanalyste, ce phénomène est « tout à fait culturel ».  

S’il est autant difficile pour eux d’en parler, c’est avant tout car les complexes sont vus comme des failles, des défauts « et on déteste en avoir », affirme Jocelyn, 22 ans. Le fait même de se plaindre va à l’encontre de l’idée de pouvoir et de puissance, selon Stéphanie Torre. « Ils peuvent le faire entre copains mais cela reste plutôt rare. Ils sont souvent seuls face à leurs complexes ».  

Cette rareté et cette réticence à s’exprimer sur leurs complexes a rendu le recueil de témoignages quelque peu compliqué. Youssef, 24 ans, qui parlait pour la première fois de ses complexes a averti qu’il n’était pas sûr que ses amis accepteraient « d’avouer » eux aussi les leurs. Pourtant, les hommes peuvent souffrir d’un corps trop fin ou au contraire de surpoids, d’une perte de cheveux, d’un sexe trop petit ou d’ un manque de pilosité et de barbe.  

« C’est pesant pour le shopping » 

Les complexes qui reviennent le plus sont liés à l’apparence. Jocelyn, 22 ans, a pris du poids suite à une immobilisation temporaire quand il était au collège. Ancien sportif, cette période a été très dure. Si son surpoids n’était pas un problème quand il était au lycée, à l’âge adulte, il ressent « un peu de pression ». « C’est pesant pour le shopping, déplore-t-il. La première chose que je dois faire pour les pantalons, c’est de demander quelle est la plus grande taille, et les trois quarts du temps, je ne vais pas rentrer dedans. » Le jeune homme a avoué avoir déjà fondu en larmes dans une cabine d’essayage après un grand nombre d’essayage sans succès. Une situation qui joue sur sa confiance en lui. Pour lui, il est difficile de voir les femmes s’épanouir dans un mouvement « body positive » pendant que les hommes ont encore du mal à se faire des compliments. « Chez les hommes, il n’y a pas de ‘‘j’ai des courbes’’, la réalité nous rattrape plus vite, on est juste gros » observe-t-il.  

« Un Duplo dans un monde de Lego » 

Benoît, 38 ans, souffre également de sa corpulence mais aussi de sa grande taille. Avec ses 1m88 et ses 115kg, il a « souvent l’impression d’être inadapté aux standards de la société, d’être un Duplo dans un monde de Lego ». Les séances shopping sont également compliquées pour lui, « il y a rarement ma taille et je suis obligé de m’habiller avec des vêtements premier prix, dénonce-t-il. Trouver du 50 pour les pantalons c’est impossible dans les enseignes comme Célio, Jules, etc. » Dans les transports en commun, il doit faire attention à ne pas se cogner quand il passe la porte, et les sièges sont trop petits pour lui.  

« Je suis maigre comme un clou, je fais pitié » 

Au contraire, Amaury a subi de multiples remarques de la part de son entourage, de ses professeurs mais aussi de ses collègues de travail, qui l’ont convaincu qu’il était « trop maigre ». « A force de l’entendre, je me suis dit plusieurs fois : ‘‘merde oui, je suis maigre comme un clou, je fais pitié’’, raconte-t-il. Il suffit qu’on soit à un dîner de famille, que les gens voient que je mange comme quatre pour entendre des ‘‘ohlala tu manges beaucoup mais tu restes maigre comme un clou ! J’aimerais avoir ta morphologie ! Moi les kilos, ils me restent sur les hanches !’’ Outre le fait que je me fous un peu des hanches des autres, c’est dans ces moments que je me sens mal. J’ai juste envie de rien dire et d’attendre que ça passe pour finir mon assiette et être tranquille. » 

De son côté, Jean-Eudes, 29 ans, complexe par rapport à sa musculature depuis qu’il a 14 ans, à cause du regard de la société et de la pression sociale. Au quotidien, il en souffre surtout lorsqu’il est entouré de personnes qu’il trouve « mieux » que lui, une impression créant un manque de confiance en lui.  Les réflexions que les filles peuvent émettre sur les hommes peuvent également nourrir son complexe. « Aujourd’hui, il faut être barbu comme il faut, musclé, habillé d’une certaine façon », dit-il.  

« J’avais l’impression d’avoir un handicap physique » 

Un autre complexe que les hommes vivent très mal, selon Stéphanie Torre, c’est la calvitie. Aldo, 37 ans, est parfois complexé par sa calvitie, mais c’est surtout par le choix très restreint de coiffure possible qui s’offre à lui. S’il dit le vivre plutôt bien, Régis, 39 ans, a eu du mal à accepter sa perte de cheveux. « Dès l’âge de 20 ans, j’ai commencé à perdre mes cheveux et ce, jusqu’à mes 30 ans. Avec l’âge, ça va mieux, mais j’avais l’impression d’avoir un handicap physique et que je faisais beaucoup plus vieux que mon âge », s’est-il confié en avouant qu’il avait déjà songé aux implants capillaires.  

Certains hommes comme Nicolas, doivent vivre avec une particularité physique. « J’ai un complexe par rapport à mon visage et plus précisément par rapport à mon œil gauche. Depuis que je suis né, celui-ci est un peu plus fermé que l’autre à cause d’un souci dans le muscle de ma paupière. Un peu comme Thom Yorke ou Forest Whitaker », s’est-il livré. Il y a des périodes où il y pense plus que d’autres. En général, ce sont les gens autour de lui qui lui font la remarque, en lui disant : « ‘‘Tu sais que tu as un œil différent ?’’ ce qui est à la fois un peu drôle par maladresse mais assez énervant. J’ai souvent envie de répondre ‘‘heureusement que tu es là, je ne m’en étais jamais rendu compte’’. » 

« Nous sommes exposés à des images très idéalisées du corps » 

Tous ces complexes sont liés à la société actuelle dans laquelle nous évoluons. Pour la plupart des hommes interrogés, les standards de beauté masculin sont déterminés par des personnalités comme les acteurs ou les sportifs. « Quand on demande à des femmes hétéros, leur ‘‘type’’ d’homme, c’est souvent eux qui servent de référentiel. Pour les hommes, c’est peut-être plus les mannequins sur Instagram », annonce Jocelyn. Pour lui, il faudrait mettre en avant des acteurs qui ne sont « pas tous bodybuilders ».  

Une idée que Benoît rejoint puisque selon lui, le body shaming est quelque chose d’universel, les gros ne sont pas acceptés dans la société, « il faudrait que les gens cessent d’aller voir des films avec des acteurs super bien foutu… ». « Nous sommes exposés à des images très idéalisées du corps, le plus souvent photoshopées, assure Stéphanie Torre. Nous prenons ces représentations pour monnaie courante comme un but vers lequel je tends mais que je ne serai jamais. » 

Pas de prise au sérieux  

Dès lors qu’ils s’expriment à propos de leurs complexes, tout de suite « on va aller interroger leur volonté », selon la spécialiste. Lorsque Jocelyn essaie d’en parler avec des hommes, les réponses oscillent entre « bah t’as qu’à maigrir » ou « abuses pas, t’es pas si gros, passe à autre chose ». « D’expérience, je sais que c’est un sujet de discussion qui débouche nulle part, poursuit-il. Pourtant en parler est un premier pas vers l’acceptation », révèle-t-il.  

Jean-Eudes, de son côté, a déjà essayé d’en parler mais il n’a « jamais eu de retours vraiment rassurants mais plutôt celui comme quoi les garçons n’auraient pas de complexes, donc je ne suis pas pris au sérieux ». Par contre, il arrive à en parler avec sa copine qui comprend « mais chez un garçon, ça semble moins important que pour une fille, alors que c’est complètement pareil à mon sens ». 

Pour Amaury, en parler à cœur ouvert n’est pas un aveu de faiblesse, mais c’est surtout faire preuve d’honnêteté. A l’inverse, Nicolas indique : « contrairement à d’autres complexes qui sont plutôt dus à une déformation de la perception qu’une personne a sur elle-même, en ce qui me concerne, je sais que ce petit détail bizarre est réel et objectif, alors à quoi bon en parler pour se rassurer. » 

« J’ai peut-être raté des opportunités dans ma vie » 

Les complexes peuvent avoir des répercussions sur le plan des émotions, des comportements et des attitudes. Il va agir sur la manière de parler et de se comporter avec l’autre », explique la spécialiste. Youssef a toujours été timide et réservé. « Je prends beaucoup de temps à m’intégrer et à être à l’aise, se livre-t-il. Mais parfois, j’ai l’impression que j’ai peut-être raté des opportunités dans ma vie. » Il a précisé que certaines personnes ont pu mal interpréter son comportement et ce n’est pas toujours facile pour lui d’aborder une fille qui lui plaît. Stéphanie Torre va plus loin en mettant en évidence qu’un complexe peut aussi ruiner une carrière. Si l’on se sent incompétent ou illégitime, inconsciemment, il est possible de donner raison à son complexe et de saboter sa carrière.  

Comment passer outre ses complexes ? 

Il ne s’agit en aucun cas de les enfouir mais bien de les prendre au sérieux, d’en parler et de les interroger. « Ce n’est pas en faisant comme s’ils n’existaient pas qu’on s’en sort, mais en leur donnant du sens, déclare Stéphanie Torre. On demande au patient à quoi il rattache ces histoires de poids par exemple, ou comment on lui parle de son corps, pour se réapproprier son corps et ne plus en être obnubilé. Il s’agit d’agir plutôt que d’être focaliser. » Une autre manière pour aller de l’avant est de dédramatiser et de miser sur l’autodérision.  

Si le chemin est encore long vers l’acceptation de soi, il faut « accepter le fait qu’on puisse ne pas être parfait, sortir de cette position de victime de son complexe » et surtout, se dire que « je suis autre chose que mon complexe ».  

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