Quand la nounou prend trop de place : témoignages

« Elle modifie les doses des biberons sans me demander et se permet tous les soirs des petites réflexions comme  » vous devriez l’habiller plus chaudement  » ou  » vous êtes sûre que la tétine c’est une bonne idée ?  » », raconte Pauline, trentenaire et mère de son premier enfant. « C’est vrai qu’elle s’occupe bien de ma fille et que mon bébé se sent bien chez elle. Mais j’aimerais mieux qu’elle me demande l’autorisation avant de modifier quoi que ce soit dans l’alimentation de mon enfant. Je lui ai déjà parlé deux fois et elle ne m’écoute pas » , poursuit la jeune mère, contrariée. Le ton suspicieux de la nounou tend Pauline qui avoue osciller entre colère et culpabilité.
« C’est déjà dur pour moi de confier ma fille toute la journée parce que je travaille, ses réflexions me crispent et pourtant je n’arrive pas à lui en parler véritablement », confie Pauline qui hésite désormais a changé d’assistante maternelle.

Selon  une étude de 2023 de la Direction de la recherche, des études et de l’évaluation et des statistiques (Drees), 56% des enfants de moins de 3 ans sont gardés principalement par leurs parents. Si ces derniers doivent opter pour un mode de garde, c’est vers la nounou qu’ils se tournent. Elle constitue aujourd’hui  le premier mode d’accueil des enfants de moins de 3 ans en France.  Elle est aussi la référente auprès du bébé en l’absence des parents, ce qui peut parfois entraîner jalousie, rivalité et comportements déplacés.
« Il faut s’inquiéter quand la nounou prend des décisions qui dépassent le cadre du quotidien et peuvent avoir un impact sur la construction psychique et  émotionnelle de l’enfant », analyse Anne-Laure Buffet, thérapeute. « Elle déborde de son rôle si elle donne son avis pour faire changer des modes de fonctionnement contraires au modèle éducatif des parents et qu’elle prend des décisions qu’elle n’a pas à avoir », précise la thérapeute.

Des comportements parfois déplacés

Christelle s’est un peu voilé la face comme elle aime le dire. Elle n’avait eu que des bons échos sur l’assistante maternelle à qui elle a confié son deuxième fils, 6 mois après la naissance. « Un soir de décembre, elle me dit qu’elle souhaite organiser une petite fête de Noël pour offrir des cadeaux à mon enfant. Je la remercie en l’informant que ce n’est pas nécessaire de le gâter. Il est petit et est déjà couvert de cadeaux. Elle me répond du tac au tac :  » j’ai déjà fait mes achats et puis c’est bien normal de lui faire des cadeaux, c’est aussi un peu mon fils.  » »
Sur le pas de la porte, son enfant dans les bras, Christelle est tellement choquée par la réflexion, qu’elle ne trouve rien à répliquer. « J’étais tétanisée par sa phrase », raconte la mère, encore marquée des années après. Si elle s’en est voulu de n’avoir rien dit sur le moment, Christelle décide immédiatement de changer de mode de garde et par peur de voir une situation identique se reproduire, elle obtient une place pour son enfant à la crèche. « Mon fils était attaché à elle bien sûr, mais j’avais besoin qu’il n’y ait pas de confusion dans son esprit. Je me suis également posée de nombreuses questions, comme est-ce qu’elle lui répète à longueur de journée qu’elle est aussi sa mère ? Ça tournait en boucle dans ma tête pendant des semaines, j’en ai fait plusieurs nuits blanches. »

Pas de confusion pour le bébé

Les comportements de ces nounous ne sont pas sans conséquence pour Pauline et Christelle qui sont tiraillées entre culpabilité de confier son enfant à une autre et l’envie de s’épanouir professionnellement. « C’est la logique du monde du travail », observe Anne-Laure Buffet. « La nounou passe du temps éveillé avec l’enfant. Sous prétexte de nourrir et accompagner l’enfant dans son quotidien,  elle peut alors confondre sa fonction à cause du temps passé auprès du bébé. »
Pour autant, la thérapeute est formelle, il ne peut y avoir de confusion autour de la figure maternelle dans l’esprit de l’enfant. « La nounou peut se substituer à la mère si l’enfant manque profondément de l’amour maternel et qu’il se trouve en insécurité. Si ce n’est pas le cas, le bébé a la pleine conscience de qui est sa mère, même si elle est physiquement absente tant qu’il y a de l’amour et de la sécurité. Si le lien n’est donc pas ambigu, l’enfant sait parfaitement faire la différence entre sa mère et la nounou. »

Dans la mesure où la nounou remplit pleinement son rôle sans sortir du cadre de sa fonction, elle peut avoir une place clé auprès du bébé et les comportements déplacés restent heureusement minoritaires. « Il faut faire équipe avec la nounou. Il est nécessaire que l’enfant ressente de l’affection de la nounou pour ne pas développer un sentiment d’abandon de la part de la mère. C’est la meilleure chose qui puisse arriver à l’ enfant de ressentir de l’amour des deux », conclut Anne-Laure Buffet.