Santé

Famille : peut-on s’entendre sans dialoguer ?

« À chaque repas de famille, c’est la même rengaine, on parle de la pluie et du beau temps sans rien vraiment se dire », confie Marina agacée. « Si j’essaye de poser des questions plus « intimes », mon frère et ma sœur bottent en touche. Tout le monde a toujours l’air satisfait de ces moments creux, mes parents les premiers. » Pour cette quadragénaire, cette entente familiale en surface devient de plus en plus insupportable. « Je ne vois pas l’intérêt de se retrouver autour d’un bon plat si c’est pour n’avoir rien à se dire ou envie de partager autre chose que des banalités. » Si Marina ne peut s’empêcher de repartir de chez ses parents à chaque fois frustrée de l’instant partagé, la jeune femme n’arrive pas pour autant à le verbaliser auprès de sa famille. Un sentiment dont pourrait se défaire cette quadragénaire en acceptant la situation et en lâchant-prise analyse la psychopraticienne Charlotte Wils, co-autrice de « Faire la paix avec sa famille ».*  « Dans la plupart des familles, on attend que l’autre soit comme nous. Or, c’est illusoire », analyse la professionnelle. « Il faut arrêter d’attendre d’avoir des parents comme on aurait voulu qu’ils soient. » Le gros frein pour la professionnelle est aussi un système mis en place dans de nombreuses familles, une « loyauté invisible », des non-dits qui peuvent entraver le dialogue. 

S’extraire pour plus de liberté

Cette fameuse loyauté, Fanny n’en avait pas forcément conscience jusqu’au jour où elle a décidé de s’affranchir des règles tacites de sa famille. « Mes parents ont fait en sorte qu’on soit très proches avec mon frère alors qu’au final on n’a que très peu de points communs.

On partageait tout, je lui confiais tous mes états d’âme jusqu’au jour où j’ai réalisé qu’il jugeait sans cesse mes décisions

C’est comme si son statut d’aîné justifiait qu’il sache mieux ce qui était bon pour moi. » En prenant conscience des agissements de son frère, la jeune femme a coupé la communication quotidienne entre eux pour laisser place à des échanges plus distendus. Si elle n’a toujours pas le courage d’avouer à son frère les raisons de cette prise de distance, ce changement dans leur communication a libéré la trentenaire. « Je me sens plus adulte, plus affirmée dans mes choix », observe la jeune femme. « Notre entente en  » surface  » me convient mieux. Je l’aime toujours mais je veux qu’il ait une place moins privilégiée dans ma vie, car ça m’étouffait sans que je m’en rende compte. »

Redéfinir les règles peut effectivement avoir un effet salvateur même  s’il peut être mal perçu au sein d’une famille. « Réussir à sortir de cette loyauté non-dite, c’est libérateur. Ceux qui restent englués dans ce carcan ne tolèrent pas que l’un s’éloigne », décrypte Charlotte Wils. « Certains membres peuvent exiger des choses qui ne correspondent plus à celui qui s’écarte. » Et pourtant, s’éloigner, changer son mode de communication ou ne plus vouloir assister à tous les anniversaires ne remet pas en cause l’entente.

Vouloir le bien des autres

« On peut partager un diner, prendre des nouvelles sans juger, se retrouver et ne pas parler de sujets sensibles, c’est tout de même une forme d’entente même sans dialogue », observe la psychopraticienne. Si les liens du sang, les souvenirs familiaux unissent, la relation fraternelle ou filiale peut aussi passer par des moments de communion sans pour autant être dans la confidence. « On n’est pas obligé de jouer la comédie pour s’entendre. S’entendre, c’est aussi respecter l’autre. Il faut également se créer une vie en dehors de la famille », propose Charlotte Wills.

Si Fanny aime aujourd’hui cette entente qu’elle qualifie de « superficielle », c’est aussi parce qu’elle se rend aujourd’hui compte que son frère n’a pas besoin d’être son confident ou son meilleur ami. « Je prends de ses nouvelles, mais je garde mes confidences pour mes amis. Ça me semble plus naturel : c’est peut-être aussi plus leur rôle et pas le sien au final », ajoute la jeune femme.  Un raisonnement juste selon la psychopraticienne.

En se suradaptant à ce que la famille nous demande, on y laisse des plumes. 

« Cela peut fonctionner un temps, mais c’est un reniement de soi-même. » Pour Charlotte Wils, s’entendre peut aussi tout simplement  passer par cette acceptation. Si parfois les exigences d’un membre de la famille sont figées, il faut arrêter de penser que c’est la faute de l’autre. « il faut baisser son ego et accueillir l’autre tel qu’il est. » Et se contenter de ces moments creux comme les qualifie Marina en partant du principe qu’on ne changera aucun membre de sa famille et se satisfaire des rapports qui sont là et qui existent.
« On peut tout à fait s’entendre sans dialoguer : c’est d’ailleurs plutôt lucide. Dialoguer sous-entend être tous d’accord, ce serait finalement assez sectaire », conclut la psychopraticienne.

* « Faire la paix avec sa famille » de Saverio Tomasella et Charlotte Wils aux Editions Larousse

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