Santé

Mères-filles, la maladie d’amour : comment s’émanciper en douceur du leg maternel ?

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C’est l’histoire d’une gentille petite fille qui idéalise sa maman Pour mériter son amour, elle tâche de se conformer à toutes ses attentes, qu’elles soient formulées ou non. L’histoire d’une enfant longeant les murs, constamment aux aguets, attentive aux désirs et aux inquiétudes d’une maman anxieuse, à l’humeur versatile, qui la considère comme sa meilleure amie, sa confidente, sa supportrice. Très tôt, vers 6 ans, cette fillette empathique apprend à protéger sa mère lors des disputes avec son père, trop absent. Sa mère est une baby-boomeuse ordinaire qui a intériorisé les injonctions de la société sur la place moindre des femmes et fait profil bas pour se consacrer à sa famille. Les besoins d’affection, de protection et de sécurité de cette petite fille parentalisée avant l’heure ne sont pas comblés ? Qu’importe, elle se sent valorisée dans ce rôle sacrificiel d’éponge émotionnelle et de régulation des humeurs familiales. C’est sa place. Adolescente, elle continue à se conformer aux volontés changeantes de sa mère, veille à ne la dépasser en rien : maintenir ce lien fusionnel est sa seule sécurité intérieure. À 19 ans, elle est devenue une jeune fille conforme, lisse et bonne élève, mais totalement entravée et dévalorisée à ses propres yeux, incapable de s’autoriser à faire le moindre choix et à vivre sa vie selon son désir. Elle sombre dans une profonde dépression, et mettra des années de thérapie à comprendre pourquoi.

La blessure maternelle                                                     

Cette histoire est celle de tant de femmes, toutes générations confondues, qu’elle semble archétypale. C’est aussi celle de l’Américaine Bethany Webster, devenue une célèbre coach prônant la guérison du rapport mère-fille. Dans son livre, qui est à la fois un témoignage, un manifeste et un mode d’emploi (« Être une mère pour soi-même. Devenir une femme libre et puissante », éd. Robert Laffont), elle raconte que partout où elle donne des conférences, que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie, des femmes bouleversées reconnaissent leur propre histoire dans le récit de son enfance. « Des cadres d’entreprise aux thérapeutes, en passant par des universitaires, mais aussi des mères au foyer, des étudiantes, des grands-mères, des entrepreneuses ou des ados. » Elles découvrent qu’elles souffrent de ce que la coach appelle le « syndrome de la gentille fille » ou la « blessure maternelle ».     

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Dommage que son livre soit mal fichu, car son intuition et sa description fine des loyautés invisibles qui enchaînent les filles de tous les âges à leur mère sont passionnantes. Et si ce rapport mère-fille parfois perverti, au point de nourrir des milliers de romans, de drames et de tragédies antiques, était non seulement une entrave pour les filles à vivre leurs propres désirs, mais aussi une manière pour les femmes, de génération en génération, de se transmettre entre elles, sans le vouloir, un sentiment d’infériorité, de limitation et de dévalorisation dont elles-mêmes ont souffert ? Et si certaines mères de filles contribuaient ainsi malgré elles à maintenir en place, intact, l’ordre patriarcal dévalorisant les femmes ? Dans une époque qui sacralise encore fortement la maternité, on mesure combien le sujet est tabou, et combien il nécessite de nuance et de délicatesse. Bethany Webster n’en manque pas : « Libérer la blessure maternelle est un travail sur soi qui n’a pas pour but de condamner nos mères, détaille-t-elle, mais de comprendre leur propre traumatisme et de travailler sur notre responsabilité générationnelle et intergénérationnelle pour ne plus le transmettre à nos filles. » S’émanciper d’une mère en cessant de chercher à tout prix à mériter son estime, parvenir à poser des limites saines quand cette relation devient toxique, assumer de lui déplaire ou de n’être plus « la gentille fille » sans culpabiliser… Autant de combats intérieurs, parfois vitaux, qui pourraient aussi autoriser l’émancipation des filles des futures générations ?

Meilleures ennemies ?                                                          

« Ma mère m’adore, mais elle désapprouve tous mes choix, et ça m’exaspère », culpabilise Stéphanie, 45 ans, directrice de projet dans l’industrie du luxe. Elle raconte comment elle est prise encore dans les injonctions muettes d’une mère pourtant aimante : « J’ai besoin de m’épanouir au boulot en me donnant à 300 % et de gravir les échelons. Ma mère considère que je mène ma vie “comme un mec”, en m’éloignant de mon rôle. Elle-même est restée secrétaire toute sa vie pour avoir des horaires de bureau et s’occuper de la maison. Je me suis séparée du père de mes enfants quand ils étaient tout petits. Pour elle, c’était le choix égoïste d’une mère irresponsable, incapable du sacrifice auquel elle-même a consenti quand j’étais petite, soi-disant “pour mon bien”. Officiellement, nos relations sont au beau fixe, je ne veux pas risquer de la blesser en me fâchant. Son regard sur moi pèse une tonne, je n’arrive pas à m’en foutre : j’ai intégré son jugement, y compris sur des détails à la con, la manière dont je m’habille par exemple, en pantalon tous les jours de l’année alors qu’elle me préfère en jupe, sans brushing, alors qu’elle est une femme impeccable en toutes circonstances… J’ai le sentiment de la trahir constamment, alors qu’au fond, comme une petite fille, je voudrais toujours lui plaire, c’est nul ! »             

Stéphanie pourrait avoir besoin des conseils bienveillants de Bethany Webster, qui explique comment, à tout âge, on peut s’attaquer à un certain nombre de clichés qui empêchent de grandir. Par exemple, l’idée reçue, largement transmise dans la pub ou la pop culture, selon laquelle une mère et sa fille devraient être comme de meilleures amies qui partagent tout. Que, puisqu’une mère aime son enfant, cela lui donne tous les droits. Ou bien qu’une fille fâchée contre sa mère est forcément coupable, ce qui va avec l’idée tenace qu’une bonne fille est celle qui ne remet jamais sa mère en question. Par gratitude et loyauté, ou, pour le dire autrement, par « amour ».

La douleur en héritage                                                     

Parmi les traumatismes que les mères transmettent à leurs filles, il y a ceux de la violence masculine mais aussi des guerres, de l’exil, des ruptures de vie. Et bien sûr la question des abus et crimes sexuels. Le podcast sur l’inceste « Ou peut-être une nuit » traitait de cette question il y a deux ans : la journaliste Charlotte Pudlowski interviewait sa propre mère sur six épisodes. « Après avoir écouté ce podcast, j’ai trouvé le courage d’aller enfin questionner ma mère, raconte Caroline, 39 ans. J’ai toujours craint de la briser en lui en parlant. Petite, j’étais celle qui prenait soin d’elle, la protégeant de sa déprime, la faisait marrer si possible, l’exaspérant aussi pour un rien. Elle ne m’a jamais raconté l’inceste de son père, mais curieusement je le sais depuis toujours. Petite déjà, je détestais ce grand-père… Ce soir-là, dans un état second, en larmes, elle m’a tout déballé, croyant me délivrer son secret. Sur le fond, je n’ai rien découvert, mais ce fut un tournant. J’ai grandi dans une haine des hommes, du sexe, du corps, qui m’a valu une entrée très difficile dans ma vie de femme. J’ai pu comprendre de quoi j’avais hérité… Et peu à peu cesser de lui en vouloir d’avoir été si peu protectrice et maternelle avec moi. » Après cette conversation, Caroline a pu s’éloigner de cette mère qu’elle portait à bout de bras depuis des années. « Le plus fou, c’est qu’elle retrouve une joie de vivre et une autonomie que je ne lui ai jamais vues, organisant par exemple des sorties et voyages avec ses copines, ce qu’elle ne s’était jamais autorisée à faire avant. Quant à moi, mère d’une fille de 7 ans, je suis soulagée de clore ce chapitre qui a pollué mon enfance. J’espère que ma fille sera épargnée. »              

« Rester dans le reproche envers sa mère, sur un mode accusateur, c’est éviter de prendre notre part de responsabilité », affirme Bethany Webster. Elle ajoute que c’est le meilleur moyen de répéter le même schéma avec sa fille, plus qu’avec un fils, puisque, qu’elle le veuille ou non, la mère incarne le modèle féminin. Au fil de ses conférences et de ses consultations, elle enjoint donc les femmes de prendre conscience des modèles inconscients transmis notamment sur ce que devrait être la féminité ou leur prétendue place en tant que filles. On peut, bien sûr, lui objecter que chaque mère veut ce qu’il y a de mieux pour sa fille. « Oui, mais si elle n’a pas fait face à sa propre douleur, ou n’a pas accepté les sacrifices qu’elle a dû faire, argumente la coach, son soutien pour sa fille peut être teinté de messages contradictoires, qui répandent subtilement des sentiments tels que la honte, la culpabilité ou l’obligation. » Selon elle, la seule solution serait de cesser d’attendre de sa mère une réassurance qui ne viendra jamais de l’extérieur, mais qui ne peut venir que de nous-mêmes.             

« Un traumatisme se transmet. On éduque ses enfants avec ceux que l’on porte. On les perpétue. On engendre des peurs et des pathologies », expliquait Marion Cotillard dans une interview à « L’Obs » en novembre dernier, pile dans le sujet. Le travail sur soi et la prise de conscience permettent d’arrêter cette transmission douloureuse, c’est la bonne nouvelle. Après tout, les mères font ce qu’elles peuvent. L’actrice, par ailleurs mère de deux enfants, ne disait pas autre chose dans cet entretien, en évoquant sa mère, la comédienne de théâtre Niseema Theillaud : « J’admire profondément ma mère, son “travail” psy de nettoyage, le voyage vers la guérison qu’elle a entrepris dès qu’elle nous a eus. Ma mère a vécu une enfance ultra-violente, mais elle a trouvé le courage (où ? je l’ignore, mais je trouve ça très beau) d’affronter ce dont elle était imprégnée pour ne pas que nous en héritions. Elle nous a protégés. Nous n’avons pas été des enfants battus. »                                            

« Être une mère pour soi-même. Devenir une femme libre et puissante.», de Bethany Webster (éd. Robert Laffont).

                                            

                  

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