Santé

Sofia, 27 ans : « Lorsque j’ai abandonné médecine, j’ai lu une grande déception dans les yeux de mes parents »

« Je suis la fille unique d’un couple de médecins de la région parisienne, aujourd’hui tous deux à la retraite, fais d’emblée savoir Sofia. Mon père était chirurgien viscéral et digestif, et ma mère gynécologue. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu mes parents travailler comme des fous, rentrer à pas d’heure et être stressés mais, en compensation, nous avions, il est vrai, une vie très confortable – l’hiver, on allait souvent faire de la plongée aux Maldives – et, surtout, papa et maman adoraient leur métier ».

À la maison, les parents de Sofia faisaient en sorte de ne parler de leur journée devant elle, mais la jeune femme sait que tous deux avaient la volonté de toujours approfondir leurs connaissances, de progresser, afin de ne jamais avoir à dire un jour à un patient qu’ils ne pouvaient plus rien pour lui. Ils étaient vraiment passionnés. Revers de la médaille : cette exigence qu’ils avaient pour eux-mêmes était aussi tacitement imposée à Sofia. « Je sentais que je me devais d’être la première partout, confirme-t-elle. Les autres enfants étaient des rivaux que je devais à tout prix évincer. Pour ne pas décevoir mes ascendants, je me suis devenue un petit singe savant. J’ai su lire, écrire et compter, toute seule, avant même d’entrer au cours préparatoire. Comme j’avais une nounou anglaise à la maison, je maîtrisais même déjà relativement bien la langue de Shakespeare ».

Destin tracé

Durant toute sa scolarité, Sofia est une élève brillante, notamment dans les matières scientifiques. Tant et si bien qu’elle saute deux classes. Pour ses parents, son parcours est tout tracé : elle sera, comme eux, médecin. C’est ce qu’ils disent d’ailleurs dans leur entourage, quand on s’enquiert de l’avenir de leur fille. Sentant que Sofia a de grandes capacités, ils la conditionnent pour aller loin, en l’inscrivant dans les meilleurs établissements privés. En lui faisant aussi apprendre, très tôt, la danse classique et le violon au conservatoire. Et même le chinois, avec un professeur particulier que des amis leur avaient recommandé, parce que « connaître cette langue était un atout indéniable, un point fort, dans n’importe quel CV », soutenaient-ils.

Je savais que je n’allais pas tenir le coup, mais je n’osais pas l’avouer à mes parents

« Ils voulaient me donner accès à l’excellence, explique la trentenaire, comme si elle se devait d’excuser aujourd’hui ses géniteurs de l’avoir formatée. Et moi je pensais que tout cela était normal, puisque c’était ce que je voyais aussi autour de moi, dans le milieu dans lequel je gravitais ». À dix-sept ans à peine, Sofia décroche son bac scientifique, avec la mention Très Bien et, s’inscrit, « pour ses parents », en première année de fac de médecine. « Je ne me voyais pas du tout devenir médecin, lâche la vingtenaire. Cette idée ne m’avait même jamais effleurée. Il faut dire que la vie de labeur de mes parents ne me faisait pas rêver. Mais comme je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire (j’avais zéro plan B), je n’ai pas eu la force de m’opposer lors du choix de mon orientation ».

Remise en question

Six mois, c’est le temps que tiendra Sofia cette année-là. « La charge de travail était certes, lourde, mais je gérais relativement bien, se souvient-elle. Mes résultats étaient même plutôt honorables. En revanche, je ne supportais pas l’atmosphère de pression et de compétition, qui m’était pourtant familière. Je me levais chaque jour avec la boule au ventre. Je savais que je n’allais pas tenir le coup, mais je n’osais pas l’avouer à mes parents ». Si, durant six mois, Sofia traîne les pieds pour aller en cours, cela ne l’empêche pas de profiter de la vie associative et de découvrir les ateliers de théâtre et d’improvisation. Une véritable révélation.

« J’ai vite su que c’est ça que je voulais faire, lâche-t-elle. Je me suis donné un temps de réflexion, histoire d’être sûre de ne pas prendre une mauvaise décision et j’ai abandonné médecine, sans même passer le concours de fin d’année. Lorsque mes parents ont su, ils ne m’ont fait aucun reproche (je crois qu’ils avaient compris depuis longtemps que je ne serais jamais médecin), mais j’ai lu une si grande déception dans leurs yeux que j’ai, un instant, douté de moi. J’ai eu le sentiment de ne pas être à la hauteur de leurs attentes et de leurs espérances. Il n’empêche : j’ai tenu bon. Après avoir suivi une formation de théâtre (le début du bonheur), je suis aujourd’hui intermittente du spectacle. Je me sens bien dans ce que je fais, et même si cette vie n’est pas celle dont mes parents avaient rêvé pour moi, je sais qu’il respecte mon choix. Car ce qui compte finalement le plus pour eux, c’est de me voir bien dans ma peau ».

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