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Alice et les infidèles : « Ma meilleure amie sort avec mon fantasme ultime »

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En 1636, un procès-verbal décrivait l’actuelle rue Marie Stuart, haut lieu de la prostitution parisienne, dans le quartier Montorgueil, comme « orde, boueuse, avec plusieurs taz d’immundices ». C’est là que j’attends Jacinthe pour aller voir une pièce érotico-féministe au Sweet Paradise. La directrice communication de Gleeden m’a fait suivre l’invitation par « ELLE ». Je n’ai pas revu mon amie depuis ma lune de miel au Japon. J’ai hâte de lui raconter mes péripéties et qu’elle m’update sur son dernier plan cul. Elle a chopé un mec certifié sur Instagram. 

Jacinthe m’écrit qu’elle va avoir un peu de retard. Évidemment. Le contraire m’aurait étonnée. J’avance donc seule, dans ma robe rouge Mango achetée pour l’occasion, vers le théâtre qui loge au sous-sol d’une vieille bâtisse. À l’entrée, une hôtesse déguisée en maîtresse d’école me tend une chandelle en plastique. Je descends les marches multiséculaires en prenant garde à ne pas me péter la gueule sur mes talons. Dans la cave voûtée et humide, des jeunes femmes, toutes invitées par le site, papotent autour du « bar à fantasmes », un kir framboise à la main, la plupart en robe rouge, comme moi, à l’exception d’une combinaison léopard.

Un début décevant 

À la lueur de ma bougie made in China, je parcours les œuvres explicites de Maia Mazaurette, la célèbre « sexperte » de l’émission « Quotidien ». Devant le dessin d’un minotaure en rut, la dircom de Gleeden m’avertit que l’artiste vient de partir. Je suis déçue. Si j’ai accepté son invitation, c’était justement dans le but de la croiser. Je suis une fervente admiratrice de ses chroniques et je ne vous cache pas que, ce feuilleton arrivant bientôt à son terme, je me dois de préparer la suite (je suis pigiste). 

Flore, la dramaturge, paraît pour nous présenter sa création. Son ambition était ni plus ni moins de renouveler le genre du spectacle érotique en éveillant la libido féminine. « Cette pièce est garantie sans pénis ! » lance-t-elle fièrement. À nouveau, j’ai du mal à masquer ma déception (j’aime beaucoup les verges). Elle nous distribue des bracelets fluorescents. Les bleus sont pour celles qui préfèrent rester de simples spectatrices. Les rouges pour celles qui ont envie de participer. Prudente, j’opte pour un bleu. Je prends place au fond de la salle attenante au bar en espérant que Jacinthe arrive à temps…

Le rideau se lève. Un comédien grimé en instituteur nous exhorte au silence. Il est pressé de démarrer sa classe, il doit retrouver son amante à l’hôtel juste après. Alors qu’il détaille, au tableau, un calligramme d’Apollinaire, le téléphone sonne. La dame a un empêchement de dernière minute. Edmond, notre prof, est furieux. Mais il lui vient une idée… Et s’il trouvait sa remplaçante parmi l’assistance ? Trois mains se lèvent spontanément. Une petite brune très ronde, une rousse tatouée dans le cou, et une blonde en micro-jupe. Je regarde, amusée, le trio se hisser sur scène.

Retour sur les bancs de l’école 

Pour départager les volontaires à la luxure, Edmond propose un concours. La première épreuve consiste à dessiner sur son torse à la manière d’Apollinaire. Une musique sensuelle démarre. Le jeune homme exécute un rapide strip-tease avant de venir se planter devant la brune rondelette, tous abdos dehors. Je dois avouer qu’il est plutôt bien fait de sa personne. La brune trace maladroitement un soleil autour de son téton gauche pendant que la rousse s’occupe de son dos. Quant à la blonde, elle s’accroupit au niveau de son pubis pour taguer « SYD ».

Le prof coupe la musique. Il se plante devant un miroir pour examiner le résultat. « Pourquoi ce soleil ? » fait-il à la brune. Elle lui répond en battant des cils : « Parce que vous êtes mon astre, maître. » Il lui caresse la joue. Il se contorsionne pour déchiffrer la phrase de la rousse : « L’encre de tes yeux… Joli ! C’est de vous ? » lui demande-t-il. Elle secoue la tête, il s’agit d’un titre de Francis Cabrel. Edmond fait la moue. Il louche enfin sur son pubis. « SYD… Comme le Cid, de Corneille ? » tente-t-il. « Suck Your Dick » réplique froidement la blonde dans un anglais mâtiné d’accent slave. Elle et sa micro-jupe sont priées d’aller se rasseoir.

J’ai du mal à voir ce qu’il y a d’excitant là-dedans

Pour la deuxième épreuve, Ed’ se lance dans la dictée d’un  texte érotique. Les deux candidates encore en lice doivent écrire « les jambes écartées, la bouche fermée et le dos cambré ». Il commence à énoncer son texte : « Sa main appuie doucement sur le bas de mon dos… » La brune et la rousse se penchent de concert au- dessus de leur table. « … Avant de descendre sur mes fesses… » La brune agite son stylo bic : « Putain, il ne marche pas ! » Le prof lui assène « Silence, mademoiselle ! » Il poursuit sur un ton neutre : « Elle arrive au bord de ma culotte… » La rousse lui demande de ralentir. Le prof l’ignore : « … Passe ses doigts sous le tissu… » Elle l’implore à nouveau : « Monsieur, moins vite ! ». Il lui hurle dessus : « Tu vas la fermer, petite traînée !! » Je sursaute sur mon siège. J’ai du mal à voir ce qu’il y a d’excitant là-dedans. 

La dictée terminée, le prof exige qu’on lui remette les copies de « la manière la plus sensuelle qui soit ». La brune la lui amène piquée dans son généreux corsage. Il la cueille en humectant ses lèvres avec sa langue. La rousse s’avance à quatre pattes avec sa feuille entre les dents. Elle la dépose à ses pieds en jappant. Il la ramasse de mauvaise grâce. Il est temps d’annoncer la favorite. Après une courte hésitation, Edmond désigne la brune qui a été, selon lui, « la plus coquine et la plus serviable ». Je bous intérieurement. Cette pièce n’est ni plus ni moins qu’une resucée gênante du male gaze. 

Heureusement, notre tortionnaire doit quitter précipitamment la classe. Son épouse, une sorte de Piaf à la voix gouailleuse, débarque en trombe pour le prévenir qu’une vidéo intime de lui circule sur internet. Sûrement un sale coup de sa maîtresse. Je me frotte les mains. Le moment MeToo est arrivé.

Ma part du spectacle

Piaf le relaie derrière le pupitre et lance une interro surprise sur le thème « Quel est votre fantasme ultime ? » Au premier rang, une quinquagénaire portant un serre-tête souffle : « Faire l’amour dans les toilettes d’un train… » Une autre renchérit : « Que deux hommes s’occupent de moi. » Une troisième enchaîne : « Je ne dirais pas non à mon collègue de bureau. » D’un coup, je me sens totalement déprimée. J’ai l’impression d’entendre des fantasmes de gamines glanés sur un forum Doctissimo. Je regrette que Jacinthe ne soit pas là pour mettre un peu de piment (elle a toujours voulu se taper un mec en fauteuil roulant).

Piaf nous propose de poursuivre le cours avec l’étude d’« Emma Bovary ». Elle lit un extrait du roman de Flaubert : « Emma se répétait, Pourquoi mon Dieu me suis-je mariée ? » Elle referme le livre et balaye la salle avec des yeux inquisiteurs. « Qui est mariée et a déjà été infidèle ici ? » nous lance-t- elle. Dans la pénombre, on se scrute pour savoir quelle stratégie adopter. La comédienne élève la voix : « Allez, ne faites pas vos timides ! » La rousse tatouée dans le cou lâche en riant : « Avec les femmes, ça compte ? » La prof s’esclaffe en se tapant la cuisse : « You ! Naughty, naughty girl !!! »

À croire que je suis nulle pour l’infidélité

Soudain, elle me pointe du doigt : « Toi, là-bas. » Je brandis mon bracelet pour lui préciser mon statut d’observatrice. Elle insiste : « Lève-toi. » Je me mets debout, mal à l’aise, sous les regards soulagés de mes comparses (aucune ne voudrait être à ma place). 

Piaf me demande : « Comment t’appelles-tu ? » Je lui sors Alice, mon pseudo Gleeden. « Tu es mariée ? » poursuit-elle. Je lui montre mon alliance. « Tu as déjà trompé ton mari ? » Je secoue la tête. Elle continue : « C’est vrai, ce mensonge ? » Si j’en avais le courage, je lui expliquerais que ça fait six mois que je suis sur le dossier. J’en ai fait, des « dates » Gleeden, je me suis accrochée, mais ça n’a rien donné. À croire que je suis nulle pour l’infidélité.

La danse de trop

Soudain, la musique sensuelle reprend. Je sens quelqu’un venir se coller derrière moi. Je me retourne, c’est Edmond, qui danse torse nu. Il effleure mes seins, ma taille, mes hanches tandis que le public se met à taper mollement dans ses mains à contre-temps. Je me fige comme une statue du musée Grévin. Ce moment ne dure que quelques secondes mais pour moi c’est une éternité. La musique cesse. Piaf me félicite de m’être prêtée au jeu. Je me rassois, rouge de honte alors que je ne devrais pas.

Je vous épargne la fin de la pièce (je ne voudrais pas vous spoiler). Dès que le rideau tombe, je me précipite au bar. J’ai besoin d’un remontant d’urgence. Jacinthe est assise au bar en train de siroter un  kir framboise, resplendissante dans sa robe rouge (à croire, qu’inconsciemment, on avait besoin d’afficher la couleur). Je me poste à côté d’elle, attrape son kir et le descends d’une traite. Elle veut savoir comment était la pièce. Je lui réponds que c’était chouette hormis quelques attouchements non consentis puisque c’est bien de cela dont il s’agit. Ce que je n’oublierai pas de mentionner auprès des organisateurs.  

Jacinthe, elle, rit du rire de celle qui a enchaîné cinq orgasmes d’affilée. Elle sort de chez son amant. Le fameux mec d’Instagram. Elle me précise dans un clin d’œil : « Et je te garantis qu’il ne l’a pas volée, sa certification. » Je lui demande de me montrer sa tête, histoire de se faire pardonner. Elle sort son téléphone. Ça ne capte pas au sous-sol. Je bois un autre kir cul sec et l’entraîne dehors.

Dans les escaliers, je félicite Flore pour la pièce en me détestant aussitôt d’avoir été hypocrite. Une fois à la surface, Jacinthe me fourre son écran sous le nez. Je découvre alors un visage familier surmonté d’un nom écrit en abjad avec le fameux symbole bleu. Je détaille la photo. Je n’en crois pas mes yeux. Non, ce n’est pas possible. Pas lui. Je déchiffre la bio : « Half French, half Lebanese. Living in Paris & Copenhagen. I design things. » Nombre de followers : 106K.

Tous les chemins mènent à Gleeden 

Je suis prise de vertige. Je dois aller m’asseoir sur le trottoir. Je suis incapable d’articuler un traître mot. En revanche, deux phrases se percutent en boucle dans mon cerveau : Jacinthe a chopé Sayed. Sayed est un influenceur Instagram. Jacinthe a chopé… Mon Sayed,, Rabbit_Hole sur Gleeden. 106K bordel. Qui est cette personne ? Je rembobine la VHS. Sayed que je poursuis depuis des mois. Sayed à qui j’ai confié des trucs super intimes sur mon enfance. Sayed à qui je pense quand je fais l’amour avec mon mari. Sayed, mon fantasme ultime, le seul qui parvient à me faire jouir en virtuel. Sayed qui se tape en fait ma meilleure amie… 

Je me prends la tête pour contrôler un méchant haut-le-cœur. Jacinthe s’accroupit face à moi : « Lisa, ça va ? » Je crache un long filet de bile translucide dans le caniveau. « C’est à cause de ce qui s’est passé en bas ? » s’inquiète ma pote. Je secoue la tête en mollardant un glaire rose et mousseux. Elle murmure en me caressant l’avant- bras : « Saloperie de kir framboise. »

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