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Alice et les Infidèles : « Ma rencontre avec un passionné de la tromperie »

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Jeudi soir, apéro avec Jacinthe rue du Faubourg-du-Temple. Ça fait deux heures qu’on glousse en terrasse tout en buvant du mauvais blanc et en fumant des clopes. Ma pote se délecte de mes dernières conversations sur Gleeden qu’elle ne peut s’empêcher de déclamer à voix haute, comme au théâtre, en faisant les questions d’un gros lourd et mes réponses pas piquées des hannetons :

– « Bonsoir Alice, quand avez-vous accouché (sur mon profil, j’indique que je suis en post-partum, N.D.L.R.) ? »

– « Hier. »

– « Effectivement, c’est très récent… Tout s’est bien passé ? Vous vous ennuyez à la maternité ? C’est intrigant… »

– « Vous voulez venir ? Maternité Les Bluets, 3e étage, chambre 7 à droite en sortant de l’ascenseur. »

– « Avec plaisir, ça me rappellera des souvenirs. Ça tombe bien, je me trouve à Bercy à l’instant… »

– « Super ! Vous pouvez ramener une poche de glace ? »

– « Je n’en ai pas sur moi mais je peux aller en récupérer une. Le papa est présent ? La belle-mère ? »

– « Oui, mais ils sortiront faire un tour avec le bébé. »

Où est passé Rabbit_Hole ?

Mon amie me rend mon téléphone en me disant que je suis définitivement une grande cinglée doublée d’une inconsciente. À ce train-là, je vais finir découpée en morceaux. J’éclate de rire en nous resservant du Muscadet. Ce n’est pas Alain, le porschiste du 92, qui pourrait me faire du mal (lire l’épisode précédent). Pour preuve, je lui montre sa dernière dick pic. Jacinthe m’assène, sûre d’elle : les types à petites bites sont les plus dangereux, tout le monde le sait. Je passe sur le profil de Rabbit_Hole, mon bel inconnu. Elle change instantanément de visage : « Oh putain, lui, il est hot. » Ce n’est pas moi qui vais la contredire. Je regrette qu’il ait disparu des radars.

Sur ce, Jacinthe se lève pour aller aux toilettes. Sous la table, je me surprends à lancer, telle une bouteille à la mer, un « tfq » (« Tu fais quoi », N.D.L.R.) à mon mystérieux beau gosse. On ne sait jamais, peut-être qu’il finira par sortir de son terrier… J’ouvre ensuite le dernier message de Brice, 43 ans, un grand blond en polo Lacoste, que l’on dirait tout droit sorti d’HEC. Il me propose de boire un verre. Ça fait quelques jours que l’on discute, mais sans grand enthousiasme de mon côté – je ne suis pas fan des blonds. Surtout quand ils sont proprets. Mais mon taux d’alcool et mon humeur joueuse me poussent à lui dire que ça tombe à pic, je suis de sortie. Il rebondit direct. Que dirais-je de le retrouver dans le Ve ?

L’ivresse des grands soirs

Jacinthe revient. Je feins de consulter l’heure. Bon, il est temps de se rentrer, je fais en baillant. Mon amie, qui n’est pas née de la dernière pluie, me fait : « C’est ça, tu vas retrouver un mec de Glee, avoue. » Je prends un air choqué et dégaine mon téléphone pour commander un Uber. Direction le Panthéon. Trois minutes plus tard, une Toyota s’arrête à notre hauteur. Je lui claque une bise et m’engouffre dans le véhicule. Mon chauffeur démarre brusquement. Je comprends alors que le trajet va être très, très compliqué… Tandis que l’on dévale le faubourg, à 50 km/h sur les pavés, je sens la nausée monter. J’ouvre la fenêtre et inspire par le nez. Surtout, ne pas gerber.

Le Uber traverse la Seine. Je respire déjà mieux. Je peux à nouveau plonger dans mon téléphone. Brice me précise l’adresse d’un bar sur la montagne Sainte-Geneviève. À ma grande surprise, Rabbit_Hole m’a répondu lui aussi !

– « Je t’attendais. »

Un Perrier tranches

J’ai un gros coup de chaud. Je demande au chauffeur de me laisser descendre à quelques mètres de ma destination, histoire de dessaouler un peu. Sur le trottoir, je relis le message sorti de nulle part, fixe le voyant vert à côté de son avatar m’indiquant qu’il est en ligne. Mon cœur pulse dans ma poitrine. J’hésite à planter Brice pour tenter de le rejoindre. Mais ça me semble compliqué (cf. mon état d’ébriété avancé).

J’opte pour un verre de Côte du Rhône même si je tuerais pour une tisane

Quand j’entre dans le troquet, mon « date » me fait un signe de la main depuis sa table de deux. Je retire ma casquette et je vais m’asseoir en face de lui. Je suis agréablement surprise. Le quadra BCBG est un peu moins lisse que ses photos ne le laissaient supposer. L’âge a semé sur son visage des petites ridules qui lui donnent un réel charme. Le serveur arrive pour prendre notre commande. J’opte pour un verre de Côte du Rhône même si je tuerais pour une tisane. Lui, choisit un Perrier tranches. Devant mon air ébahi, Brice m’explique, avec une belle voix cassée, qu’il doit se préserver, une dure journée de boulot l’attend le lendemain.

Nuits de débauche

On trinque. Je suis clairement bourrée. Lui, pas du tout. Il me confie que ça fait quatre ans qu’il n’a pas touché un verre. Je le félicite. Je n’ai pas besoin de le pousser pour qu’il me déroule son histoire. Issu d’une famille d’agriculteurs en Champagne, il a suivi une formation de sommelier à Reims avant de rallier Paris. Là, il est tombé dans la teuf. Un peu DJ, un peu barman, il enchaîne les nuits de débauche et les rails de coke, avec sa copine de l’époque. Passionné de vins, il s’associe avec une figure du monde de la nuit pour organiser des dégustations dans différents établissements de Montmartre. En dépit de ses excès, le trentenaire se sent épanoui. Il a l’impression de vivre un rêve éveillé.

– « Tu sais, je suis un gars de la campagne. Quand j’étais jeune, Paris me semblait inaccessible… »

Vivre d’hôtels Mercure et de Cristalline

Mais voilà. Sans qu’il s’en rende compte, l’alcool est devenu son carburant. Sa compagne le quitte. À bientôt 40 ans, il échoue dans une colocation à Pantin avec des mecs de dix ans de moins qui enchaînent des marathons de fiestas sous MDMA. Brice sent bien qu’il ne peut pas continuer comme ça. Là-dessus, le confinement s’abat sur le pays. Sans réfléchir, il déserte la capitale et part se mettre au vert dans la ferme de ses parents. Il entame son sevrage, s’inscrit aux Alcooliques Anonymes en même temps que sur Tinder où il matche avec Sandra.

La jeune femme vient de se séparer du père de ses deux filles. Ils finissent par se voir, dans ce même troquet pour Sorbonnards, quelques semaines plus tard. Leur relation démarre le soir même. Au bout de quelques mois, ils achètent un appartement à Joinville-le-Pont. La vie s’organise désormais autour des enfants de sa conjointe, qu’ils ont une semaine sur deux, et de son nouveau job dans l’événementiel – il organise des congrès un peu partout en France pour des boîtes du CAC40. Brice vit désormais d’hôtels Mercure et de Cristalline en bouteille.

Addict à la tromperie ?

Bercée par son flow et mon ivresse, je bois ses paroles. Un jour de 2021, alors qu’il se trouve à Lyon avec une cohorte de pharmaciens, il s’inscrit sur Gleeden. Il invite dans sa chambre une certaine Hélène, mariée, trois enfants. C’est une première pour tous les deux. Ils font l’amour avec le plus grand naturel et se séparent bons amis. Ils ne se reverront pas. Mais le vers est dans le trognon. De retour au domicile conjugal, Brice continue son exploration sur la plateforme. Il prend l’habitude de rencontrer des femmes – toutes mariées, son critère n°1 – dès qu’il est en déplacement.

Gleeden lui rend un peu de la vie stimulante qu’il a vécue jadis à Paris

Sandra, elle, ne se doute de rien. Lui se dit qu’il a bien le droit de la tromper. Tinder lui a assigné le rôle de beau-père exemplaire dans une banlieue sage et lointaine ; Gleeden lui rend un peu de la vie stimulante qu’il a vécue jadis à Paris. Il m’avoue que même si, parfois, il se sent coupable, il ne se voit plus renoncer à « tout ça » : l’excitation des premiers échanges, la découverte d’un corps nouveau, l’expérience d’un plaisir chaque fois différent, inédit. Il est devenu addict, il le reconnaît.

Besoin de se sentir vivants

Pour le coup, je partage son angoisse. Depuis que j’ai apposé ma signature sur un registre municipal, je ressens parfois un pincement quand je pense que tout ce qu’il me décrit ne m’arrivera plus jamais. La faute à ce maudit article 212 du Code civil. Il y a quelque chose de mortifère dans le mariage. On s’unit, on achète un appartement, on se reproduit (l’ordre peut différer mais vous voyez où je veux en venir) … Et après, quoi ? La tombe ? Certes, il reste toujours le divorce, histoire de remettre un jeton dans la machine de la vie. Mais cette option me semble un peu prématurée dans mon cas – j’aime mon mari et je n’ai aucune envie de troquer mon 70m2 intra-muros pour un meublé en périphérie.

Prendre un « mariage sabbatique

Alors, que faire ? Prendre un « mariage sabbatique », comme le suggérait, dès 1999, l’autrice américaine Cheryl Jarvis ? Son ouvrage (« The Marriage Sabbatical : A Journey That Brings You Home ») avait créé la polémique à sa sortie : une partie de l’opinion voyait dans le fait qu’un membre du couple choisisse de s’octroyer une pause, afin de vivre d’autres expériences ou juste de se retrouver avec lui-même, une menace aux bonnes mœurs. Mais qu’en est-il, trente ans après ? Ne devrais-je pas proposer à mon partenaire de me laisser prendre un break ? Je l’entends déjà me dire « OK, mais à tes frais. »

Mon statut de pigiste ne m’en donne pas les moyens. Et puis mes enfants me manqueraient trop. Non, je ne vois pas d’autre option que la bonne vieille liaison gardée secrète en attendant que ça me passe. Comme Brice. Qu’est-ce que ça change, au fond ? De toute façon, on finit tous de la même manière : en poussière.

Surprise de fin de soirée

Soudain, Brice lève les yeux vers moi. Il se confond en excuses. Il ne m’a pas fait traverser toute la ville pour me « saouler » avec ses histoires. Il veut que je lui parle un peu de moi. Je jette un œil à mon iPhone : 1 heure du matin. Je dois y aller, mon mari va finir par s’inquiéter… Il hoche la tête en me faisant promettre qu’il y aura une prochaine fois. Je lui réponds « Avec plaisir ».

Je rentre à pied en titubant. Je sors mon téléphone pour relire la réponse de Rabbit_Hole : « Je t’attendais. » Je lui envoie : « Moi aussi ». Arrivée chez moi, je me désape dans le noir et me glisse nue sous la couette. Je me colle contre ma moitié qui me repousse en grommelant :

– « Putain, tu pues la vinasse… »

Je me décale sur le côté et fixe un moment le plafond. Je visualise les fossettes, les boucles brunes, les épaules de Rabbit_Hole. Je ferme les yeux. Je me demande si l’on va se voir un jour et si l’on aura une histoire ensemble. Soudain, je bondis hors du lit, me précipite aux toilettes…

Et je vomis.

La suite au prochain épisode !

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