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Allô Giulia ? « J’ai du mal à définir ce qui m’est arrivé comme un viol »

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« Chère Giulia,

Je n’ai même pas commencé cette lettre que j’ai déjà l’impression d’être à côté. Pas à ma place – story of my life… Ma grande sœur m’a embarqué en manif féministe, je n’étais même pas majeur, j’ai marché avec elle et ses copines, j’ai chanté avec elles, j’ai voulu me battre, tant que je pouvais, avec elles. Mais du coup, je sais bien que notre place, à nous, les mecs, est très compliquée. Je connais les chiffres de violences sexuelles, je sais pourquoi on dit « violences faites aux femmes », je sais que neuf fois sur dix, les victimes sont des femmes… Et pour une fois qu’on les entend, je me dis que je ferais mieux de la boucler. Dans l’idée, pour moi, c’est assez net. Mais j’ai comme une vieille nausée dont je n’arrive pas à me débarrasser, depuis quelques mois… En fait, ce truc poisseux prend de plus en plus de place et je me dis que si je le dépose ici, peut-être que je pourrais passer à autre chose. J’ai toujours rêvé de faire de la radio. Mais j’étais très mauvais à l’école, j’ai perdu beaucoup de temps, et je n’ai pas osé passer les concours pour avoir un vrai diplôme. J’ai parié sur ma bonne gueule, et sur mon côté débrouillard pour me former sur le tas. À force de faire le pied de grue devant leur porte, la radio locale de ma région a fini par me prendre comme stagiaire à tout faire. Et j’ai tout fait. Et comme j’aimais ça, j’en ai redemandé. J’étais bien là-bas, donc rien ne me gênait : ni faire le ménage, ni apporter les cafés. J’étais sûr que ça ne durerait pas.

Et grâce à Nathan, mon rêve allait devenir réalité – du moins, c’est ce qu’il promettait. Nathan, c’est la star de l’antenne. Son surnom, c’est «  The Voice », et il est encore suffisamment beau pour son âge pour que des groupies l’attendent systématiquement à la sortie du studio. Il a pas mal roulé sa bosse, il nous impressionne toujours avec tous les concerts qu’il a couvert, et, franchement, c’est une rolls du direct. Bref, il m’a toujours bluffé. Donc quand il m’a « repéré », qu’il m’a promis de me prendre sous son aile pour m’apprendre le métier, j’ai eu le sentiment d’être enfin « choisi ». Les choses allaient enfin devenir faciles pour moi, enfin, on m’ouvrait des portes, et on allait me guider – j’ai eu une enfance et une adolescence un peu compliquées. Donc quand Nathan fête son anniversaire chez lui, et qu’il m’invite, évidemment, je me sens hyper flatté et j’y vais. Une fois là-bas, je ne me sens pas hyper à l’aise, il n’y a personne de mon âge, et je ne connais pas grand monde. Pour me donner une contenance, je bois. Beaucoup trop. Après, c’est le black out ou presque.

J’ai un flash où Nathan me propose de dormir chez lui. Il précise qu’il y a une chambre d’amis, je suis beaucoup trop soul pour rentrer chez moi, j’habite beaucoup trop loin et il le sait, alors je dis oui. Le deuxième flash, c’est le lendemain matin, vers 9H. Je suis encore en plein brouillard, Nathan est au dessus de moi, complètement nu. Je le suis aussi, et il est en train de me pénétrer. Je lui demande d’arrêter, il continue. Je me débats, il insiste… Et je parviens à m’extirper du lit. Je ramasse mes affaires en deux/deux, Nathan proteste, m’invite à rester, me propose même de me faire un café… Je ne l’écoute pas, je me tire en courant. Je n’ai plus refoutu un pied à la radio. Impossible. Ça me dégoûte. Il me dégoûte. Je me dégoûte. Pourquoi je suis allé dans cette fête ? Après tout, personne ne m’a forcé… Pas plus qu’on ne m’a obligé de boire… Grâce à ma sœur, je connais ce genre de piège, et pourtant, j’y suis tombé. Dans quoi ? Je ne sais même pas exactement… C’est pas un viol, ça, c’est sûr, au sens où j’ai bien accepté de dormir dans la chambre d’amis de Nathan. Mais alors, c’est quoi ? Et pourquoi, des mois après, je suis encore dans cet état là ? » – Simon, 25 ans

« Cher Simon,

ce que vous avez subi s’appelle un viol. Comme tout acte de pénétration, commis par « contrainte, violence, menace ou surprise », dixit le Code Pénal. C’est aussi clair, aussi brutal que ça. Surpris, vous l’avez été : au réveil, et dans les vapeurs de l’alcool – qui n’est jamais une excuse, mais toujours une circonstance aggravante, selon le même Code Pénal. Contraint, vous l’avez été aussi : votre refus, Nathan n’en a pas tenu compte. Une relation saine suppose un consentement, libre et éclairé, des deux partenaires. Dans tous les autres cas, il s’agit d’un viol – s’il y a pénétration, sinon, c’est une agression. C’est aussi net, aussi douloureux que ça. Le viol n’est pas une histoire de séduction qui tourne mal. C’est une affaire de domination, qui rend possible l’écrasement, la négation de l’autre. Que les femmes en soient les victimes majoritaires tient simplement du fait que nous vivons encore dans une société inégalitaire, où l’équilibre des pouvoirs reste en faveur des hommes. En général. Ca n’empêche pas que certains hommes en soient aussi victimes. Quand ils sont plus jeunes. Ou plus perdus. Plus fragiles. Ou plus démunis.

Quand vous franchissez la porte de cette radio, vous êtes tout sauf en position de force. Et votre envie d’en être, bien légitime, vous fragilise encore un peu plus. Nathan le sait : vous n’oserez pas dire non. Sans diplôme, sans expérience, sans CDI, vous n’êtes pas assez costaud pour le faire, vous auriez beaucoup trop à perdre. Les prédateurs ne sont pas des courageux. Les proies qu’ils choisissent sont toujours les plus faciles à effrayer. Pas parce qu’elles n’ont pas les qualités pour se défendre. Mais parce que la situation qui est la leur va, forcément, limiter leur résistance. Nathan est plus âgé, Nathan est une star, Nathan a de l’argent, et du pouvoir. La base du piège est déjà là. Il vous promet exactement ce dont vous rêvez, il vous attire chez lui, loin de chez vous, au milieu de tous ces gens que vous ne connaissez pas : le piège va pouvoir se refermer. Vous en êtes la victime, Simon. Le coupable, c’est lui. Qu’allez-vous faire de ça ? Certainement, quelque chose – déjà, vous m’écrivez. Et assez rapidement après les faits, quand on sait qu’il faut parfois des années… Bravo. Votre lettre est un acte de courage.

La première pierre posée sur votre route vers « l’après ». Il y aura un « après », Simon. Un jour où vous respirerez à nouveau. Où vous vous regarderez avec l’amour que vous méritez. Ce chemin est long. Il est parfois compliqué – j’en sais, malheureusement, quelque chose… Mais je sais aussi qu’il vaut le coup. Et faites moi confiance : moins vous le ferez seul, plus il vous sera facile. N’hésitez pas à vous retourner vers des associations d’aides aux victimes – la ligne d’écoute « Viol, femmes, informations », est très bien, par exemple. Et, non, on ne vous rejettera pas parce que vous êtes un homme. On vous écoutera, on vous croira, et on vous orientera. Vers une aide thérapeutique, et/ou vers une aide judiciaire. Quand vous serez prêt. À votre rythme. À titre personnel, je m’en vais désormais souhaiter un certain nombre de saloperies / maladies / emmerdements à Nathan. À vous, j’envoie toutes mes pensées, et toute mon affection ».

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