Santé

Allô Giulia ? « Je me force à faire un enfant pour les autres »

« Chère Giulia,

Mon compagnon et moi essayons d’avoir un enfant depuis six ans maintenant. C’est drôle, parce que dès notre première nuit, Maxime avait commencé à m’en parler. Il le faisait en vannant, mais quand même… Moi, je ne m’étais jamais posé la question. J’en étais juste à : « avec lui, pourquoi pas ». Et puis mes sœurs, mes copines, ont commencé à tomber enceintes, les unes après les autres. Ça m’a décidée à sauter le pas – et à arrêter la pilule. Sauf qu’au bout d’un an, toujours rien. Max et moi décidons de prendre les choses en main, et entamons une batterie d’examens. Les résultats ne sont pas brillants : tout seuls, on ne va pas y arriver. Épaulés par ma gynéco, on a entamé le parcours classique : insémination, insémination avec stimulation, FIV. J’en ai fait quatre. Quatre séries de piqures, de douleurs, d’angoisses, d’espoirs, et d’échec. Avec cette foutue culpabilité, chaque fois, qui te prend à la gorge : alors donc, tu es nulle au point de ne pas être capable de faire ce plaisir-là à ton amoureux ? Alors rebelote. J’y retourne. La cinquième tentative approche, mais là, je me cabre. C’est plus fort que moi. Comme si on m’avait dépossédée de mon corps, et que je devais me remettre à l’écouter, pour me le réapproprier. Lui, il me dit « stop, ça suffit, on arrête, j’ai assez douillé ». Et là, ma tête me fait du chantage… Comment va le prendre Max ? Et ma mère, si je la prive de petits-enfants ? Et moi, est-ce que je ne vais pas regretter, plus tard, une vie sans enfants ? Parce que je sens que si je repousse cette FIV, je ne trouverais plus jamais le courage d’y retourner. Peut-être que je devrais me forcer un peu. Comme ça, je suis sûre de ne pas regretter… » – Élise, 39 ans

« Chère Élise,

Alors là, chère Elise, pardon, mais je ne vous suis pas : le seul regret possible serait celui de ne pas avoir d’enfant, et en avoir nous rendrait forcément heureuses ? Euh… Certes, c’est ce qu’on a tenté de nous faire croire pendant des siècles, histoire qu’on ne puisse jamais, jamais imaginer une autre destinée que celle de devenir mère, une autre fonction que celle de perpétuer l’espèce… Mais on en est pas mal revenues. Et des mères qui regrettaient de l’être, croyez-moi, j’en ai croisé. Elles ne voulaient pas de cet enfant, sous la pression, elles l’avaient gardé, et elles le regrettaient. Beaucoup. C’est rude. Parce qu’elles en souffrent, parce qu’elles en ont honte, parce qu’elles osent rarement en parler. En attendant, c’est le lien avec leur enfant qui en prend un coup. Et à l’arrivée, tout le monde morfle. Je ne sais pas si vous avez suivi ce qu’il s’est passé le 4 Mars dernier : l’IVG, dans la Constitution, ça vous parle ? L’idée de disposer de son corps, et de maîtriser sa fécondité, c’est la pièce maîtresse du combat féministe. Celle qui va nous rendre la plus élémentaire des libertés. Dans les années 70, nos mères (ou nos grands-mères) disaient : «  mon corps, mon choix ».

Aux États-Unis, on a dit, plus tard : « No utérus, no opinion ». Aussi chouette Max soit-il, ça n’est pas lui qui va porter l’enfant, avec tous les bouleversements émotionnels et corporels que cela suppose. Pas lui qui, ensuite, devra se bagarrer pour faire carrière quand même – oui, les statistiques sont ce qu’elles sont, on en est toujours là, même en 2024… Et on en est tellement là que je pourrais ajouter : vraisemblablement, les nuits hâchées, le sommeil avoiné, et les allers et retours chez le pédiatre, ce sera un peu (ou beaucoup) moins pour lui.  Donc c’est vous qui décidez. Pour vous. En votre âme et conscience. Peut-être que cet enfant, c’est pas maintenant. Peut-être que c’est pas comme ça. Peut-être que c’est pas avec Max, et peut-être que vous n’aurez jamais d’enfant. So what ? Quelle loi transgressez-vous ? Quel crime commettez-vous ? Spoiler : aucun. Le temps, vous l’avez – si. La liberté, aussi. Prenez-les, l’un et l’autre, pour décider, aussi tranquillement que possible ce que vous, vous voulez faire. Pour vous. Pas pour qui que ce soit d’autre. Le seul devoir que vous ayez est vis-à-vis de vous-même : faites-vous une belle vie. Celle qui vous ressemble. Avec ou sans enfants dedans. »   

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