Santé

Allô, Giulia ? : « Je suis en train de tomber sous le charme de mon stagiaire »

« Chère Giulia,

Vous les connaissez, les premières de la classe, qui cochent toutes les cases ? Eh ben j’en fais partie. J’en ai toujours fait partie. Jamais de grosse bêtise, rarement un mot plus haut que l’autre, et toujours des bonnes notes. Comme s’il fallait que je prouve au monde entier que j’étais la plus sage et la meilleure du monde… Alors j’ai bossé. Mais beaucoup. Grande école de commerce, stages à la chaîne dans des boîtes ultra cotées, ne comptant ni mes heures, ni l’énergie dépensée pour me rendre indispensable, et ça a payé. J’ai monté, il y a sept ans, ma propre entreprise d’aide à domicile, et elle cartonne. Entre temps, évidemment, je me suis mariée, avec le plus beau de la promo. Etant du genre aimante, dévouée, et aveugle, je lui ai tout donné… Quand, lui, m’a allègrement trompée ! J’ai fini par le comprendre, et par le quitter. Je me sens, depuis, heureuse, joyeuse et libérée. Je vous jure que c’est vrai. Comme si maintenant, je n’avais plus personne à qui montré que mes devoirs étaient faits !!! Bien sûr, les premiers temps ont été difficiles… Comment expliquer aux enfants que leur monde s’écroulait ? Comment résister à l’envie de leur dire que je n’y étais pour rien, et que leur père était un beau salaud ? Promis, j’ai tenu ! Je n’ai rien dit. Explications minimales mais rassurantes. Enfin, je crois. On est trois ans plus tard, et je peux vous assurer qu’ils vont bien. C’est ma plus grande fierté… Avec leur père, on va dire que c’est l’entente cordiale et la garde alternée à peu près bien réglée. Moi, je découvre une liberté que je n’avais jamais connue jusqu’ici : de longues soirées, rien que pour moi, à faire exactement ce que je veux, comme je veux, quand je veux, sans me préoccuper de qui que ce soit… Quel pied ! Et voilà Thomas. Dans ma tête. Toute la soirée. Thomas, c’est le dernier stagiaire que j’ai recruté. Alors non, je ne l’ai pas choisi parce qu’il a ces jolies boucles brunes qui tombent devant son regard gris bleu… Non. Son CV est déjà impressionnant, à seulement 23 ans, et je n’ai jamais regretté de l’avoir pris avec nous : il nous est devenu tellement précieux ! Dès que ce sera possible, je lui proposerai un poste en bonne et due forme. Ça, c’est pour le côté pro. Côté perso… C’est lui qui a commencé. Il me tourne autour, et depuis le début. Toujours discret, élégant, délicat, il m’a fait rire, il m’a surprise… Et j’ai basculé. Pas tout de suite, attention ! Au départ, j’étais même très froide avec lui. Je me disais : « attention, Clarisse, il a vingt-cinq ans de moins que toi… Attention, Clarisse, il a l’air très amoureux, toi, tu sais que tu ne le seras pas… Attention à ne pas lui faire de mal… » Mais je m’écoute de moins en moins. Et il m’obsède de plus en plus. Et hier soir, ce texto : « Chère madame ma cheffe, accepteriez-vous d’éclairer la nuit d’un jeune stagiaire en lui offrant une heure de votre temps autour d’un verre ? » J’ai ri. Je n’ai rien répondu. J’ai passé la journée à l’éviter… Mais là, je piaffe. J’ai très, mais alors très très, envie de lui dire oui. Après tout, j’ai le droit, non ? J’ai passé ma vie à récolter les bons points, je pourrais m’autoriser une sortie de clous, non ? » Clarisse, 47 ans.

 

« Chère Clarisse,

Je me suis fait, mentalement, la liste des sorties de clous que vous pouviez vous accorder, et, bonne nouvelle : elle est assez longue. Vous pouvez vous raser le crâne et vous le passer à l’argile ; sécher le yoga et avaler une raclette au petit déjeuner ; envoyer bouler vos enfants le dimanche matin et torturer une poupée vaudoue à l’effigie de votre ex le samedi soir, par exemple… Allez-y. Défoulez-vous, faites vous du bien, faites vous plaisir, et offrez vous cette liberté que vous vous êtes longtemps refusée : vous le méritez, et amplement. En revanche… Avez-vous, « droit » à Thomas ? Je ne suis ni juge, ni shérif, ni curé. Jamais je ne me permettrais pas d’interdire quoique ce soit à qui que ce soit, et surtout à une grande fille comme vous. Mais vous me demandez mon avis… Alors je fais le tri. D’abord, on évacue la différence d’âge : à quel moment ça devrait nous poser problème ? Thomas est majeur : légalement, rien ne vous empêche de jouer au grand culbuto avec lui. Socialement, c’est vrai, ça peut piquer un peu – demandez à Brigitte Macron si elle n’en a pas pris plein la poire… Mais, chère Clarisse, le fait que les mentalités françaises soient un peu étriquées n’est pas tout à fait ce qu’on appelle un scoop. Et à quarante-sept ans, il serait peut-être temps de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière des préjugés – ça aussi, vous pouvez. Et vous verrez, le frisson de la transgression est assez délicieux, dans le genre… Maintenant : ferez-vous du mal à Thomas ? Cette perspective doit-elle suffire à vous freiner ? Euh… Il est plus jeune que vous, mais ça reste un adulte doté d’un cerveau, et donc de la capacité de penser par lui-même, non ? Et pardon, mais sans vouloir vous offenser, je me demande ce qui vous permet d’écrire la fin de l’histoire avant de l’avoir seulement commencée… Arf. Cet argument là aussi, il va falloir me le mettre au compost. J’en ai un, en revanche, que vous ne semblez pas avoir effleuré… Thomas est votre stagiaire. Vous êtes sa supérieure hiérarchique. Vous êtes donc, l’un et l’autre, dans une relation parfaitement déséquilibrée. Or si le consentement mutuel doit être le fondement de toute relation affective, amoureuse, ou sexuelle, ce consentement, lui, se doit d’être libre et éclairé. En l’occurrence, il ne l’est pas. Un « oui » n’est un vrai « oui » que quand on peut réellement dire « non ». Et au fond, tout au fond de vous, vous le savez : en l’état actuel des choses, Thomas n’est pas en position de refuser sereinement quoi que ce soit de votre part. Il aura toujours, en lui, la crainte d’en payer le prix au boulot. Cette question là, que vous le vouliez ou non, à un moment donné, finira par s’infiltrer entre lui et vous. Or, quand le ver du doute s’invite dans la pomme d’amour, il a toutes les chances de la pourrir avant même que vous ne l’ayez vraiment savourée. Sans vouloir filer la métaphore maraîchère, attendez que le fruit soit mûr pour pouvoir le cueillir : les stages, ça se termine un jour, non ? »

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