Santé

Arnaques sentimentales : « 5 200 euros de perdu pour une histoire d’amour qui n’était qu’un leurre », Anna, 50 ans

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’argent…

Chaque fois, c’est la même histoire, un homme, une femme au physique attirant crée un faux profil sur un réseau social. Sur Facebook, Instagram ou encore Twitter, ils contactent leurs victimes en leur envoyant un message enivrant et alléchant pour les attirer dans leur filet. Pendant plusieurs semaines, ces arnaqueurs, appelés aussi brouteurs, envahissent leurs victimes de mots d’amour et de tendresse virtuelle pour finalement leur soutirer de grosses sommes d’argent.

Difficilement punissable sur le plan juridique compte tenu du caractère international du crime, les arnaques sentimentales sont pourtant de plus en plus répandues en France et dans le reste du globe. Mais, alors, qu’est-ce qui pousse un individu à devenir une victime ?

Le fantasme fallacieux

L’histoire d’amour d’Anna commence sur les réseaux sociaux l’été 2019. Elle est en couple depuis une vingtaine d’années avec des enfants. Mais, le couple qu’Anna a construit avec son conjoint bat de l’aile, les sentiments s’estompent peu à peu pour laisser place à la distance. Le couple ne s’aime plus et ne se désire plus et la situation pèse sur le moral d’Anna.

Sur Facebook, la quinquagénaire gère une page de télénovela, des feuilletons télévisés essentiellement produits dans les pays d’Amérique latine ou en Espagne.

Quand on a plus ça dans son couple, ça fait plaisir d’être traitée comme ça

Un jour, Anna reçoit un message d’un certain Antonio Radu sur sa page. Il est brun, un physique avantageux et des yeux marron clair captivants. Antonio Radu dit être légionnaire à Aubagne. Il inonde la jeune femme de compliments et de belles paroles. Anna tombe sous le charme du jeune homme « tout m’attirait chez cet homme, son physique, sa gentillesse, la façon dont il me parlait et me traitait. Quand on a plus ça dans son couple, ça fait plaisir d’être traitée comme ça. J’étais un peu perdue, comme ça n’allait plus dans mon couple, j’étais peut-être un peu fragile » confie Anna.

L’engrenage

Anna fait les premiers versements presque frénétiquement, l’amour qu’elle ressent pour Antonio est plus fort que tout. Le loyer, l’argent pour les courses, tout y passe jusqu’au jour où l’ex-compagnon d’Anna découvre le pot aux roses et la confronte. Il fait des recherches sur le vrai légionnaire et découvre la supercherie « mon ex-conjoint m’a fait voir des photos de ce militaire mais je n’ai pas voulu le croire, j’étais dans le déni » confesse Anna.

Le couple se sépare et Anna continue de converser avec son amoureux virtuel sans pour autant oublier les informations recueillies par son ex-conjoint « j’ai intégré un groupe de faux profils avec des profils usurpés de militaires. J’ai inspecté les photos sur Google. Après, j’ai compris qu’il fallait que je mette un terme à tout ça. J’ai fait plein de recherches sur internet avec une aide extérieure et j’ai découvert le vrai Antonio Radu » explique Anna.

5200 euros de perdu pour une histoire d’amour qui n’était en réalité qu’un leurre

L’homme existe bien, mais il n’est pas français. D’origine roumaine, Antonio Radu vit en Roumanie et il n’est plus membre de la légion étrangère. Pire encore, l’homme a une enquête de la direction générale anti-corruption sur le dos pour une affaire de faux comptes. Il aura fallu deux ans à Anna pour s’éloigner de son Don Juan manipulateur et 5200 euros de perdu pour une histoire d’amour qui n’était en réalité qu’un leurre.

Une agilité dans la conversation

Pour Liz, 35 ans, la méthode est la même. En 2020, la jeune femme est étudiante en journalisme à Paris. Célibataire, sa vie amoureuse est chaotique. Fatiguée de renouveler les mêmes expériences décevantes, Liz se renferme sur elle-même, elle envisage même de tirer un trait sur les hommes « l’idée de vivre une nouvelle déception m’effrayait. L’amour dans ma vie, ça ne m’attirait plus. Psychologiquement, je n’étais pas bien et je pense qu’il faut être dans un état d’esprit tourmenté pour tomber dans le panneau » se dit Liz.

Un dimanche après-midi, Liz profite du soleil et se repose, tout ce qui a de plus classique en pleine saison estivale. Sur son compte Instagram, elle reçoit un premier message, mais, elle n’y prête guère attention la première fois, toutefois les messages se multiplient. L’image d’un beau jeune homme aux cheveux châtains comme elle les aime l’intrigue.

C’était un romantique hors pair

Il s’appelle Chase, il a 39 ans, il est militaire dans la prestigieuse armée américaine et vit à Frisco au Texas. Fraîchement divorcé, l’homme a un petit garçon prénommé Austin et souhaite rencontrer du monde. Liz n’est pas dupe, elle se méfie. Pourtant, les conversations se multiplient pour laisser place à la romance. Liz commence à se laisser séduire « c’était un amoureux des mots, un romantique hors pair, mais ce qui m’a le plus séduite, c’est ce côté rassurant, il voulait toujours me rassurer quand je montrais un peu d’appréhension sur la vie et les relations amoureuses » se souvient Liz.

Un sentiment de sécurité s’installe peu à peu et la jeune journaliste en herbe se laisse aller à de petites confidences. Pendant deux mois, les deux amoureux vont se parler par messagerie instantanée. L’homme lui laisse parfois quelques messages vocaux et la charme avec des photos et des montages vidéos auxquelles la jeune femme répond par des mots doux et des photos intimes. Mais, Liz veut voir son amoureux. Il lui annonce qu’un départ en mission doit se faire dans les prochains jours et qu’à son retour, il ne manquera pas de l’appeler en vidéo.

Le temps passe, les mensonges restent

Liz n’ose pas se l’avouer, mais elle est attachée à Chase. Pendant plusieurs jours, la jeune femme regarde sa messagerie Instagram, ses mails et même messenger, pas un mot, pas une photo. Liz s’impatiente. Chase, de retour en ligne, dit être en mission au Proche-Orient. Cependant, la mission est secrète, il ne peut en dire plus : « quand je lui posais des questions sur son travail, il m’en disait toujours le moins possible, j’ai toujours pensé qu’il voulait me protéger et ne pas m’inquiéter, je trouvais ça adorable » explique Liz.

La jeune femme est pourtant inquiète, elle regarde les informations et se renseigne sur la vie des militaires. Elle scrute machinalement les sites sur l’armée américaine et prend part à des discussions sur des forums et des blogs américains.

Sur les sites d’informations, on y décrit le quotidien de ces soldats avec quelques nouvelles des bases américaines. Tout ce qui a de plus banal, à un détail près. Des avertissements indiquent aussi que des personnes se cachent parfois derrière des profils frauduleux de soldats américains.

Sa photo aura totalisé pas moins de 2800 faux profils

Les conversations s’enchaînent et alors que Liz se sent enfin en confiance, l’homme lui demande un premier versement pour une carte Apple store à 50 euros « au début, il me disait qu’il en avait besoin pour pouvoir s’acheter un téléphone pour pouvoir me joindre plus facilement et en secret, parce qu’ils n’ont droit qu’à quelques minutes de téléphone par jour et à certains moments de la journée. Il voulait me joindre la nuit » précise-t-elle.

Après plusieurs autres demandes, les raisons deviennent confuses et Liz commence à s’interroger. Elle commence à mener sa petite enquête avec une aide extérieure et découvre que Chase s’appelle aussi, Casey, Philip ou encore Kelvin. Sa photo est présente sur tous les réseaux sociaux et sur des applications de rencontres amoureuses. Au total, la photo du mystérieux fraudeur aura totalisé pas moins de 2800 faux profils sur trois réseaux sociaux. Plusieurs adresses mails avec son nom sont même divulguées sur des blogs antifraudes.

Et dans la vie de ces escrocs, comment ça se passe ?

Cet homme derrière cette mystérieuse photo, il a 43 ans, il est retraité de l’armée américaine et connaît bien la situation. Il a déjà été contacté à de multiples reprises par des femmes et même des hommes, sans toutefois pouvoir régler la situation.

Liz décide de confronter son fraudeur. Chase lui avoue avoir besoin de distraction avec l’achat d’un téléphone et d’autres petits gadgets. Il ajoute qu’avec le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan ordonné par l’ancien président américain Donald Trump, son retour aux Etats-Unis est imminent « j’étais soulagée, ce qui ne m’a plus fait penser aux dépenses effectuées » dit l’intéressée. Mais le voleur n’en a pas fini avec sa victime.

Chase, dont le fils de 5 ans est apparemment très malade, a besoin d’une somme d’argent pour payer les frais médicaux de son fils que son ex-compagne ne peut pas payer. Liz ne croit plus un mot de son amoureux. Elle apprend en parcourant la toile que les cartes Apple sont souvent revendues sur des sites spécialisés. Après avoir perdu 396 euros, la jeune femme continue son enquête, car elle souhaite porter plainte et mettre fin à cette romance.

En 2018, la fraude sentimentale est la septième arnaque la plus souvent signalée

Sur le site du FBI, de nombreuses informations sont listées pour alerter et protéger le public d’éventuelles futures escroqueries. Des victimes partagent leur histoire, mais rien n’indique qu’une procédure judiciaire notoire existe surtout lorsque l’arnaque est commise à l’étranger. Le site met en garde contre une tendance à la hausse de ce type de crime.

En 2018, la fraude sentimentale est la septième arnaque la plus souvent signalée et la deuxième arnaque la plus coûteuse aux Etats-Unis. En France, des conseils sont publiés pour aider les victimes, les procédures sont compliquées, mais des avocats en droit pénal peuvent outiller les victimes. Mais alors qu’est-ce qui pousse un individu à devenir une victime ?

Jouer sur la corde sensible

L’amour, ce moyen de pression efficace pour arriver à leurs fins, les brouteurs l’ont bien saisi. Car les victimes sont peut-être un peu vulnérables sur le plan sentimental « les escrocs savent très bien choisir les personnes fragilisées. Ce sont un peu des manipulateurs, ils arrivent à toucher là où il faut pour que l’on tombe dans leur filet » explique Anna.

Aujourd’hui, l’agent de restauration va mieux, mais il lui aura fallu beaucoup de temps et de force pour se reconstruire et une aide psychologique « on m’a conseillé de suivre une thérapie, mais ce qui m’a vraiment aidé, c’était de trouver du travail. Aller travailler, rencontrer de nouvelles têtes, ça m’a aidé à ne plus y penser. J’étais très mal psychologiquement » Anna avoue même avoir eu des pensées suicidaires.

Confiance, psychologie et tendresse comme techniques phares

Pour ceux et celles qui en étaient convaincus, l’estime de soi n’est pas nécessairement le principal facteur de cette cybercriminalité. Laura Bottini-Porsolt est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Pour ELLE magazine, la psychologue énumère quelques facteurs notables dans ce type de criminalité « un des traits importants ça va être des idéaux que l’on peut avoir. Dans cette cybercriminalité au début, tout est beau, tout est magique, ça vient un peu leurrer les personnes qui vont avoir des grands idéaux de perfection romantique » constate Laura Bottini-Porsolt.

D’autre part, la confiance en l’autre est un autre facteur psychologique à prendre en considération « il va y avoir des traits de personnalités comme la tendance à faire confiance parce que ce sont des personnes qui sont ce que l’on décrirait comme des bons citoyens, des personnes gentilles, qui sont fiables et qui vivent dans cette idée que les autres aussi se comportent en tant que tel » explique la psychologue clinicienne.

Ce sont les hommes qui ont tendance à perdre plus de grosses sommes

Du côté du genre, contrairement aux idées reçues, les femmes ne sont pas forcément les plus touchées « les femmes vont plus en parler mais finalement quand on regarde les sommes perdues, ce sont les hommes qui ont tendance à perdre plus de grosses sommes. Du coup, même si dans les chiffres on a l’impression que ça atteint plus les femmes, il est probable que ce soit un peu biaisé par l’ouverture sur le sujet » rappelle Laura Bottini-Porsolt.

Si le profil des victimes est important, les situations singulières de chacune influencent en long et en large le travail des arnaqueurs « ces situations où finalement, on est déstabilisés, on perd nos repères ça va grandement aider ces criminels. Les personnes vont avoir perdu une personne qui joue un rôle dans leur vie, parce qu’il y a eu un deuil, parce qu’il y a un changement professionnel là où on se ressource. Ces changements de contextes font que finalement, on a moins la distance aussi puisque l’on est plus ému, on est moins calme pour voir ce qui en train de se passer » souligne celle qui est aussi psychothérapeute.

Et les solutions à toute cette mascarade ?

Comment venir en aide à ces personnes ? Comme une perte ou un décès, il faut apprendre à accepter la situation et entamer une période de deuil « c’est assez douloureux et c’est fragilisant, si la personne a perdu de grosses sommes ou si elle a coupé les ponts avec la famille, il va y avoir la réalité de tout ce qu’elles ont perdu au cours de cette relation. La première étape, c’est d’accepter. Il faut déjà prendre conscience de tout ce qui s’est passé, de toutes les implications, pour pouvoir ensuite se reconstruire. Il va y avoir ensuite une phase de deuil, d’acceptation » explique la psychologue.

Elle ajoute que faire le deuil de ce qu’aurait pu être la relation ou ce que la victime aurait voulu dans cette relation est primordial. Il faut éviter à la victime de s’isoler et reprendre une vie sociale, trouver des hobbies, se lancer dans un projet « Il faut se raccrocher à des ressources qui peuvent être si on est parent par exemple, ça va être de se réengager dans des associations scolaires, c’est vraiment ce qui est en lien avec les valeurs de la personne » rappelle La psychologue.

Il faut éviter à la victime de s’isoler et l’aider à reprendre une vie sociale

Laura Bottini-Porsolt conclut en rappelant l’importance de la résilience dans ce type de relation et l’idée qu’il faut investir dans les besoins essentiels de chacun pour sortir de ce cercle infernal « ces personnages abusifs pour maintenir les victimes dans cette relation, ce qu’elles font, c’est qu’elles isolent ou elle coupe la résilience de la personne ». Il faut donc investir dans les besoins essentiels rappelle la psychologue « que ce soient des besoins essentiels comme le sommeil, parce que lorsque l’on envoie des messages tard la nuit, le sommeil de la victime commence à se dégrader, il y a des messages qui arrivent à 3h du matin, ça vient vraiment affecter le fonctionnement de base. Finalement, c’est comment on se reconstruit en regardant ses besoins essentiels : sommeil, alimentation ».

L’an dernier, face à une recrudescence des plaintes et avec son expérience, Anna a décidé avec une autre victime de créer une association pour aider les victimes « j’ai vu qu’il n’y avait pas d’associations qui aidaient les victimes. Alors avec une amie j’ai créé cette association qui vient en aide aux victimes d’escroquerie sentimentale. Les victimes nous contactent via la page Facebook de l’association et on leur donne des conseils » explique Anna qui remonte doucement la pente.

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page