Santé

Avoir trop de choix : cette source d’angoisse typique de notre époque

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Chaque année, au moment de la course aux cadeaux de Noël, Sarah, 42 ans, vit la même chose : « Je me retrouve dans les grands magasins complètement déboussolée. Il y a tellement de choses à acheter ! J’hésite sans fin dans les rayons livres, vinyles, CD… Je prends un roman pour mon neveu, puis je me dis que ce n’est pas suffisant par rapport à ce que j’ai pris pour sa sœur, alors je prends un deuxième livre, puis j’hésite, je le repose, je le reprends… Et c’est comme ça pour toute la famille ! Parfois, au milieu d’un rayon, je me retrouve paralysée avec l’envie de péter un plomb. Au bout de plusieurs heures, je pars avec trois fois trop de cadeaux et un sentiment de dégoût. » Cette expérience, nous la faisons tous au moment des fêtes et de leur marathon consumériste. Mais elle n’est que le reflet de ce que nous vivons toute l’année. Au quotidien, dans nos sociétés capitalistes, nous sommes confrontés à une profusion immense de produits en tout genre, d’options de vie qui rendent le choix très difficile : nourriture, vêtements, biens de consommation, produits culturels, plateformes de streaming, séries télé, forfaits téléphoniques, destinations de vacances ou de week-end, thérapies diverses, choix éducatifs, choix professionnels… Autant de possibilités qui sont certes séduisantes, mais qui parfois nous paralysent et nous angoissent.

Ce vertige au moment de choisir, on n’en parle pas trop, on se dit que c’est personnel. Aujourd’hui, un livre le met en lumière et en fait un vrai problème de société. Dans « Submersion » (éd. Grasset), l’essayiste Bruno Patino, également président d’Arte, décrit notre ultramoderne épuisement face à cet hyperchoix qui s’offre à nous, notamment dans le domaine des produits culturels. Il écrit : « N’ai-je pas sur mon téléphone, à portée de pouce, 7 865 titres de musique que j’ai préalablement sélectionnés, 2 300 épisodes de séries que je n’ai pas encore regardées, 842 films que j’ai étiquetés dans ma liste, 14 abonnements aux journaux, 529 livres en format numérique ? » Pourtant, bien souvent, il n’arrive pas à se décider. « Tout est là et pourtant c’est beaucoup trop. Je suis le roi, je peux tout choisir, mais je suis fatigué à la simple idée de devoir le faire. » On le comprend. Qui ne s’est pas retrouvé devant Netflix à hésiter sans fin devant les centaines de séries disponibles ?

Cent jours à choisir

Une étude britannique (NOW, 2021) montre que nous passons en moyenne cent jours de notre vie à décider de ce que l’on va regarder ! Et cette situation risque de s’aggraver dans les années qui viennent. « L’intelligence artificielle, explique Bruno Patino, va amplifier dans des proportions inimaginables le déluge de signes, de textes, d’images, de sons qui nous entourent. Selon une étude, la production de données va augmenter de 40 % par an de 2023 à 2028 ! Nous risquons d’être engloutis dans cette offre infinie. » Et c’est aussi vrai, bien sûr, pour l’électroménager, les meubles… Ainsi, les différentes marques de savon et de détergents disponibles dans un supermarché sont passées de soixante-cinq en 1950 à deux cents en 1963, puis à plus de trois cent soixante en 2004 ! Normal que nous ayons du mal à choisir…                

Ce problème ne concerne pas que les séries télé ou les robots ménagers. La philosophe et sociologue Renata Salecl s’est intéressée aux grandes décisions que nous avons à prendre dans nos vies : trouver un job, un partenaire amoureux, un parcours qui ait du sens… Résultat : son excellent livre, « La Tyrannie du choix » (éd. Albin Michel, 2012). Elle y explique comment l’injonction à être heureux qui règne dans la société provoque en nous des remords permanents. « Nous sommes sans cesse encouragés, dit-elle, à choisir ce que nous voulons être, à réinventer notre vie. Mais cette idée, loin de nous apporter plus de satisfaction, augmente au contraire notre anxiété. Croire qu’il est toujours possible de faire les bons choix procure un sentiment de culpabilité devant les échecs et rend très critique envers soi-même. » Aïe. Côté biens de consommation, l’hyperchoix semble aussi provoquer regrets et amertume. Le psychologue américain Barry Schwartz cite, dans son livre de référence « Le Paradoxe du choix » (éd. Michel Lafon), l’exemple du jean. Quand, autrefois, un individu était confronté à trois jeans, il pouvait essayer les trois. Une fois son choix fait, il s’estimait satisfait. Mais, quelques années plus tard, le même magasin lui propose quarante jeans. Notre consommateur éprouve alors un sentiment de paralysie car il ne peut pas les essayer tous, mais aussi de frustration. En sortant du magasin, son choix péniblement fait, il se dit qu’il devait sans doute exister un autre modèle qui lui aurait convenu encore mieux…

“Que veux-tu manger ce soir ?”

Ce vertige devant les possibles touche également les enfants. Le pédopsychiatre Daniel Marcelli et le psychanalyste Antoine Périer viennent d’écrire un livre percutant : « Trop de choix bouleverse l’éducation » (éd. Odile Jacob). « Aujourd’hui, les très jeunes enfants sont exhortés à devenir autonomes, donc à choisir, constate Daniel Marcelli. “Que veux-tu manger ce soir ?”, “De quoi as-tu envie aujourd’hui ?” Les parents ne cessent de leur poser ce genre de questions. Et on les comprend, les adultes, voulant bien faire, refusent l’autoritarisme. Le problème, c’est que si on demande sans cesse à un enfant ce qu’il veut, on peut créer chez lui des grandes situations d’angoisse. C’est lui faire peser un poids écrasant sur les épaules. Face à cela, certains enfants choisissent de ne pas choisir, en refu-sant systématiquement toute proposition des adultes. » Rendez donc service à vos enfants : décidez pour eux ! Pour revenir à nos problèmes face aux achats des cadeaux de Noël, que faire lorsqu’on n’arrive pas à choisir ? On peut essayer d’organiser la rareté autour de soi. Se désabonner de Netflix et de Spotify, par exemple, et revenir à une offre de produits réduite. Mais cette solution a ses limites. Le mieux, selon les psys, c’est d’engager une réflexion en profondeur. « Choisir, c’est renoncer, rappelle Daniel Marcelli. C’est accepter de ne pas pouvoir obtenir tout ce qui s’offre à nous. Donc, dans un choix, il y a forcément une souffrance, une frustration. Nous devons les prendre en compte. Hélas, dans notre société, nous sommes de plus en plus intolérants à ce sentiment. Il nous faut réapprendre la frustration. » Autre piste : il est important de ne pas mettre un enjeu trop grand sur notre décision. Comme le dit Renata Salecl, « il ne faut pas prendre la question du choix trop au sérieux. Entre l’option A et l’option B, souvent il n’y a pas tant de différences. Il faut accepter l’idée de se tromper, ce n’est pas si grave. Nous sommes vulnérables, limités, et il faut savoir laisser de la place à l’imprévu ». Renoncer à tout contrôler, faire des erreurs, voire mal faire ? Pour certains d’entre nous, résoudre ce problème du choix impliquera sans doute une véritable révolution mentale.

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