Santé

C’est mon histoire : « J’étais amoureuse d’un imposteur »

« Nous ne pouvons pas rentrer chez nous »

La lumière de la cuisine est allumée. Du taxi, je tique sur ce détail. Il nous ramène de la gare à notre appartement parisien, après avoir présenté notre fille Jeanne à nos familles et à nos amis à Strasbourg. Marc me rassure, mais grimpe les escaliers quatre à quatre. Quand je le rejoins avec notre bébé dans les bras, il me dit que la serrure de notre appartement a été changée. Nous ne pouvons pas rentrer chez nous. Panique totale. « Votre logement a été vendu aux enchères », annonce la voisine. Marc, c’est mon grand amour. Très bons copains au lycée avec une connexion basée sur le même humour, nous nous plaisons sans nous le dire. C’est un garçon brillant, cultivé et curieux. Après six ans d’amitié, aucun de nous deux ne prend à la légère notre histoire d’amour. Marc parle très vite de vivre ensemble. Chez nous voisinent nos piles de cours, lui en droit, moi en histoire. Je passe le concours d’instit et j’entre dans la vie active. Quand il valide son master, une société de production de cinéma lui propose un poste de juriste spécialisé dans le droit d’auteur à Paris. En attendant ma mutation, Marc rentre à Strasbourg tous les week-ends et je le rejoins pendant les vacances. L’année suivante, j’obtiens un poste à Paris par le rapprochement de conjoints ( nous sommes pacsés). Marc travaille d’arrache-pied et suit une formation sur le financement de films. Il me raconte ses soirées mondaines avec des réalisateurs et des producteurs. Il ne ramène jamais de collègues à la maison, et même s’il se montre très sociable, c’est toujours moi qui crée des amitiés autour de nous. Malgré ses absences régulières, notre relation demeure complice, nous continuons à parler de tout et de rien, à rire. Mariage, achat d’un appartement. Marc parle le premier d’un bébé. L’annonce de ma grossesse nous fait sauter de joie. Les premiers mois, Marc m’apporte le petit déjeuner au lit avant d’aller travailler. Mais il ne touche pas mon ventre ni ne parle de prénoms – il finira par acquiescer à ceux que je propose. Je prépare seule la chambre du bébé, je vais chercher seule le lit trouvé sur Le Bon Coin. Quand je commence à m’en agacer, il me suit à l’échographie qui révèle que cet enfant à venir est une fille. La seule fois où mon mari assiste au cours de préparation à l’accouchement, il fait rire tout le monde, pose mille questions à la sage-femme, émue de son implication. 

« J’ai envie de mourir »

Au fil du temps, Marc m’a si souvent plantée que j’ai peur qu’il ne réponde pas au téléphone le jour de l’accouchement. Un soir, de retour à la maison avec trois heures de retard, il m’explique qu’un homme lui a volé son portable en lui mettant un couteau sous la gorge. Le stress me fait perdre les eaux avec trois semaines d’avance. La naissance de Jeanne, pour qui je ressens un coup de foudre instantané, est un moment intense pour nous deux. Très câlin, Marc la fait dormir sur lui pendant sa sieste et la porte pendant des heures. Lors des fêtes de fin d’année, nous la présentons, heureux, à nos familles et amis à Strasbourg avant de rentrer chez nous à Paris. C’est là que nous découvrons la lumière dans la cuisine, la clé qui n’ouvre plus la porte et la vente aux enchères. Squat ou arnaque ? Je suis dans un état de stress absolu. Les policiers appelés ne peuvent rien pour nous. Une amie nous héberge. Le lendemain, Marc et moi téléphonons ensemble à l’organisme de prêt. Notre interlocutrice explique avoir été en relation avec lui pour la vente aux enchères. Mon mari nie : c’est une usurpation d’identité. Il s’occupe des démarches, moi de Jeanne. Mais comme rien n’avance, je contacte notre banque. Deux lignes diffèrent entre nos relevés et les leurs: celle du prêt et celle du salaire de Marc. Je m’effondre en raccrochant. J’ai compris que nous ne payons pas notre appartement et que Marc n’a aucun revenu. Je l’appelle cent fois. Il ne répond pas. Je ne le reverrai jamais. Je n’ai plus qu’une seule pensée : j’ai envie de mourir. Ma vie s’est effondrée en un instant. Je perds l’homme que j’aime, je me retrouve seule avec une enfant de 2 mois. Une amie m’épaule. Elle appelle tous mes proches et confirme, après vérification, que Marc n’a jamais mis les pieds dans sa société de production. Démasqué, de quoi est-il capable ? Un copain nous accueille chez lui, Jeanne et moi. Je reste en état de sidération. Mes parents, venus immédiatement d’Alsace, m’emmènent porter plainte, mais le vol n’existe pas entre époux, et chacun est en droit d’abandonner son foyer. Je découvre des impayés, des crédits à la consommation à mon nom, et tous nos comptes vidés. J’ai zéro euro, pas d’appart et un bébé. Mon mari a obtenu de ne pas libérer tout de suite le logement après la vente en expliquant que sa femme et son bébé venaient de mourir. J’accepte de repartir à Strasbourg avec mes parents. Je ne suis plus capable de m’occuper de ma fille – ni de moi. Un milliard de questions tournent dans ma tête. Que faisait Marc de ses journées ? À partir de quand a-t-il menti ? Ma mère m’accompagne chez l’avocat, la psy, aux impôts, etc. Comme la vente aux enchères de l’appartement n’a pas recouvert le montant de l’achat, demeure une dette de 100000 euros. Les grands-parents de Marc décident de prendre en charge ma part. Accepter l’idée de divorcer de l’amour de ma vie me prend plusieurs semaines. Faute de confrontation, j’éprouve des difficultés à l’associer à cet effondrement. En plus de dix ans ensemble, j’ai vécu avec lui des choses belles et sincères. Tout n’a pas été que mensonges. La psy m’aide à cesser d’être en boucle: j’ai maintenant suffisamment d’éléments pour comprendre qu’il ne raisonne pas comme une personne sensée, dotée d’un peu d’humanité et de bon sens. 

« Il faut que tu parles à ta fille de ce qui arrive »

Mes parents se montrent très aidants. Quand je suis incapable de me lever, ma mère dépose Jeanne dans mon lit pour des câlins. Un jour, en la voyant changer sa couche, je me dis que je dois reprendre mon rôle de mère en main. À Paris, un ami avait insisté : « Il faut que tu parles à ta fille de ce qui arrive. » J’avais trouvé cette idée bizarre. Je finis par me lancer avec des mots simples: « Papa est parti, mais moi je suis là. Je t’aime, je vais te protéger. Notre vie va être belle quand même. » Lorsque Jeanne a 3 mois, je prends conscience qu’elle a besoin de me voir sourire. Je dois mettre ma douleur de côté. Très vite, je commence à dessiner de petites scènes. Cela me réconforte. J’aime ajouter une part de dérision sur les situations, comme ce moment où mes parents venus d’un village d’Alsace rencontrent mes amis parisiens dans une atmosphère effervescente où se mêlent inquiétude et rires. À la rentrée de septembre, reboostée par ma famille et mes proches, je reviens à Paris. La première année est rude. En maman solo qui travaille, je dois tout gérer. J’obtiens le divorce et la garde parentale exclusive. Comme Marc n’a répondu à aucun message, le juge n’exige pas de lui une pension alimentaire. Les années passent sans qu’il se manifeste. Jeanne, âgée de 6 ans, et moi avons une relation forte et complice dans une vie chouette et un peu rock’n’roll où je la trimballe partout. Elle pose parfois des questions sur son père, mais elle ne veut pas le voir. Elle va bien. Après la publication de ma bande dessinée*, je reçois plus d’une centaine de messages de femmes qui me disent : « J’ai vécu la même chose que vous. » Ce genre de manipulations arrive aussi à d’autres. Quant à faire confiance à un autre homme, le chemin est long. Trouver un compagnon dont je sais qu’il me veut du bien n’est pas facile. Mais je l’ai peut-être enfin trouvé.

* « L’IMPOSTURE », de Marie Bosch (éd. Les Enfants rouges).

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